Chroniques rebelles
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Daniel Blanchard est mort le 3 mai.
Ancien membre du groupe Socialisme ou Barbarie, écrivain, poète… Il a été également actif au sein du Mouvement du 22 mars en mai 68.
Il est l’auteur d’un quinzaine de livres, le dernier, La Vie sur les crêtes (2023, éditions Sandre), revient sur sur son itinéraire, ses rencontres et ses engagements.

Daniel Blanchard et Helen Arnold, sa compagne, ont fait connaître Murray Bookchin en France. En 2000, Daniel nous avait dédicacé un petit livre précieux, à Larry et moi, , Debord, dans le bruit de la cataracte du temps, suivi de Préliminaires pour une définition de l’unité de programme révolutionnaire par G-E Debord & P. Canjuers (éditions sens & tonka).
Salut Daniel

Gravures rebelles

Histoires sans paroles
Les romans en gravures de Frans Masereel

Samuel Dégardin (l’échappée)

Samedi dernier, à la librairie Quilombo, il était question de gravures rebelles autour de cet ouvrage, de même que de l’influence de Frans Masereel auprès de « graveurs sensibles à un mode narratif universel et à un contenu social fort. Par exemple et pour ne citer qu’eux : Otto Nückel (Destin, 1928) et Carl Meffert/Clément Moreau (Nuit sur l’Allemagne, 1937-1938) »…

C’est la première partie de cette après-midi qui se termina par un ciné-concert, l’Idée, un film réalisé par Berthold Bartosch en 1932, à partir de l’œuvre de Frans Masereel et accompagné par le duo Last Frame is Beautiful. La première question : qui était Frans Masereel ?

Mon pire ennemi
Film de Mehran Tamadon (8 mai 2024)

Mojtaba, Hamzeh, Zar et d’autres ont subi des interrogatoires idéologiques en Iran, à différentes périodes de leur vie. Mehran Tamadon, le réalisateur, leur demande de l’interroger, comme le ferait un agent de la République islamique. Il aimerait ensuite que le vrai tortionnaire en Iran se voit à travers le film comme s’il se regardait dans un miroir. L’expérience est violente, se mettre dans la tête du bourreau place dans ses victimes dans une situation impossible de souffrance et de révolte.
En prologue, s’inscrit sur l’écran : « Ce film a été réalisé avant le mouvement “Femme Vie Liberté” et la violente répression du peuple iranien par la République islamique ». Générique.
Le réalisateur montre son passeport en très gros plan et les visas qui témoignent de ses nombreuses visites en Iran. Puis les dernières photos de rencontres… Et le 20 septembre 2012, deux jours après la fin du tournage, son passeport est confisqué… Convocations et interrogatoires se concluant par cet avertissement : il vaut mieux ne pas revenir en Iran. Après huit années loin de son pays, Mehran Tamadon imagine un scénario pour y revenir. Il demande à un réfugié iranien de l’interroger comme le feraient les agents du régime, de manière à le déstabiliser. Un interrogatoire filmé avec lequel il retournerait en Iran, histoire de confronter l’oppresseur ? Un film à double face, l’oppression et l’opprimé. Est-ce l’idée d’ôter le pouvoir à celui qui interroge, ou bien lui faire prendre conscience de son rôle ?
Ce qui est effrayant est de ne pas savoir où l’on est lors d’un interrogatoire, révèle l’un des témoins. Le flou et le rapport de force créent d’emblée la situation de peur. Un autre témoin raconte que, enlevé en pleine rue par des hommes en civil et sans mandat d’arrêt, il a été malmené sans explication et, au moment où ses amis sont intervenus pour l’aider, l’un des hommes a pointé une arme dans leur direction. Plusieurs anciens détenus témoignent de leur mise au secret, des tortures, des gens attachés à un radiateur ans un couloir pendant des semaines, des mois, entre les tortures… La stratégie des interrogateurs est de briser les personnes et leur faire avouer des griefs fantasmés par les autorités. Très souvent, les motifs d’accusations tournent autour des renseignements livrés à l’étranger et l’espionnage.
Mehran Tamadon cherche à inverser les rôles pour comprendre ce qui transforme en tortionnaire celui ou celle qui interroge. L’un des hommes qui a subi ces interrogatoires est incapable d’endosser le rôle de celui qui interroge : « Je n’ai pas le tempérament pour vous questionner en qualité d’interrogateur. Ce n’est pas dans ma nature. » « Ce qui est effrayant », souligne un autre, c’est que cette violence peut-être exercée par n’importe qui, « c’est la situation qui les rend comme ça. Tout homme dans cette situation devient monstrueux. » Si, au départ, on accepte la situation, ce « travail », on devient très vite un monstre.
Tout le système est biaisé puisque s’il n’y a pas de preuves, elles sont simplement fabriquées et le juge condamne au vu de celles-ci, sinon les personnes demeurent en prison sans procès. L’accusation d’espionnage est courante et il faut terroriser la personne arrêtée pour corriger une supposée déviance. C’est ce qui est enseigné aux tortionnaires, humilier, torturer pour obtenir des aveux, qui sont en fait une délivrance pour la victime.

Dans la seconde partie du film, sans doute la plus troublante et la plus forte, une femme, Zar Amir Ebrahimi revient sur la démarche même du cinéaste : « Tu cherches à montrer la violence entre les Iraniens ici en France ? Et tu veux montrer ça en Iran aux vrais interrogateurs ? » Infliger la violence à un peuple fait partie du système de domination, donc lorsque Mehran Tamadon tente d’explorer la part de violence ancrée en chacun.e de nous, se demande Zar, quel est le sens ou l’enjeu de la mise en scène ? « Tu conçois un jeu où des gens t’interrogent, qu’ils ressortent leurs traumas pour t’aider à être interrogé. Est-ce nous qui sommes violents ou toi ? » Et commentant les explications du cinéaste, elle l’apostrophe : « d’où sort ce baratin ? C’est vraiment la première fois que je l’entends. La question de ton film serait la violence que les Iraniens de France exercent entre eux ? Tu vas emmener ça en Iran et tu leur diras “j’avais pas compris”. Grâce à ça, ce film pourra même être vendu en Iran. C’est magnifique. » Les responsables du système seront sans doute ravis de voir ce film et se diront : « les Iraniens qu’on avait interrogés dans le passé, maintenant ils s’interrogent entre eux. »
Au nom du cinéma a-t-on le droit de faire souffrir les gens ? Cette mise en scène ressemble-t-elle aux tortures endurées dans les geôles iraniennes ? Ici est abordé le problème de l’éthique du cinéaste, être financé par des productions françaises pour faire des films « exotiques et pourris » (selon Zar), est-ce vouloir « utiliser les gens d’ici pour prendre le pouvoir sur l’interrogateur » ? Est-ce que ce film changera la situation ? Toute cette partie du film avec Zar qui décrit les interrogatoires et les tortures, dont elle a souffert est bouleversante par la simplicité crue avec laquelle elle en fait la description. Les deux jours, durant lesquels elle prend la place du bourreau, sans « aller jusqu’au bout », sont une réelle souffrance, car se projeter dans la logique de l’interrogateur est une épreuve extrêmement éprouvante. « Si je devais ressortir mes cicatrices pour les déverser sur toi, ce serait terrible. […] C’est très dur de laisser jaillir en soi cette part si laide et violente ». Dépasser ses principes pour laisser s’exprimer la violence à l’égard de l’autre, « c’est un projet qui fait mal ». On finit par se « répugner ».

Autre film de Mehran Tamadon, Là où Dieu n’est pas, également « réalisé avant le mouvement “Femme Vie Liberté” et la violente répression du peuple iranien par la République islamique », donne la parole à une femme et deux hommes qui témoignent des interrogatoires et des pressions exercées durant leur incarcération.
Le cinéaste et un ancien détenu, Taghi, marchent dans la rue, celui-ci, après plusieurs arrestations, a en tout passé quatorze ans en prison. Il a finalement quitté le pays en 2010.

« En 2003, Je me souviens [raconte Homa], on est dans un bus, environ 72 prisonnières. De la prison d’Evin, on nous conduit à celle de Ghezel Hessar. » Les détenues soulevaient le bandeau sur leurs yeux pour regarder dehors, les rues, les gens, les magasins qui ouvrent, les enfants qui vont à l’école… « J’ai été condamnée à douze ans » dit l’ancienne prisonnière, et « nous étions très contentes de nous retrouver ». Les prisonnières sont réparties dans différentes sections selon les dires des prisonnières collabos, les sections punitives, 7 et 8, pour celles qui tenaient tête, et les autres pour celles qui se tenaient à carreaux. Reconstitution d’une cellule et de son exiguïté, où étaient entassées jusqu’à 25 et 30 prisonnières, des ados de 17 ans, la plus âgée avait 35 ans. Privation de sommeil, entassement, mais c’était préférable à l’isolement. L’une racontait des textes, l’autre leur apprenait des mots en français, une autre encore parlait de son mari exécuté, ou de son enfant qui lui manquait. Chacune se confiait dans la nuit en attendant son tour de pouvoir dormir, « chacune a une histoire. Nous étions très proches. […] On pleurait souvent et beaucoup. Je n’oublierai jamais ma chère amie qui me racontait l’exécution de son mari. Elle me décrivait leur vie de couple, la maison où ils habitaient. »

Mazyar, un autre détenu, évoque la salle où il était tabassé, une salle de sport et de torture, où il y avait une table de ping-pong. Les tortionnaires s’amusaient entre les séances de tortures pour se détendre ! L’un d’eux était particulièrement violent et « quand je demandais : pour l’amour de Dieu, ne me tape pas ! Il répondait : Ici Dieu n’existe pas. » Alors que Mazyar décrit avec une précision effrayante les tortures, le souvenir de la douleur l’envahit jusque dans sa chair. Il a été dénoncé comme espion israélien parce qu’il avait obtenu un marché à la télévision, puis il a été accusé « d’action contre la sécurité nationale par voie d’espionnage pour les étrangers », ensuite il a été décrété terroriste et enfin l’accusation fut transformée en « assassin de chercheurs en nucléaire. J’aurais fait exploser l’usine de fabrication de missiles et des bases pétrolières et même tué un imam en Syrie ». Un scénario ridicule écrit pour 107 personnes accusées, qui de plus ne se connaissent même pas entre elles.
Lorsque le film reconstitue le décor et les moyens de torture d’après ses indications, Mazyar remarque : « j’espère juste que les gens qui regardent arrivent à imaginer ce que les gens subissent dans ce pays ». Cela continue aujourd’hui, sauf que maintenant, ils tuent à l’intérieur des prisons pour éliminer les témoins. « Tout ça ne change pas. Parce que personne ne proteste. » Pendant la reconstitution de la torture, le cinéaste lui demande : « vous vous sentez mal de montrer ça ? Je me répugne [répond Mazyar], même pour faire un film. Vous êtes moi et moi je suis l’interrogateur. Je vois bien quelle action répugnante j’exerce. » Il raconte les sévices et les incitations à dénoncer et ironise… « Voici qui sont nos hommes pieux, noyés dans la spiritualité. » Puis, les bourreaux passent aux menaces d’exécution, mais le témoin avoue ne pas avoir ressenti de la peur cette fois-là, mais plutôt la promesse d’une délivrance des souffrances endurées et la fin de la recherche pour sa famille, laissée dans l’ignorance de son sort.
Homa, se souvient d’un bruit qui la terrorise dans l’attente de connaître son sort, persuadée que l’on préparait son cercueil : « Ce cauchemar m’a poursuivie durant de longues années. » Comment les tortionnaires ont brisé la volonté des personnes détenues ? Homa s’est mise à prier, à porter le tchador et a été responsable de la section punitive 7, où des femmes ont été fouettées. À force de tortures, Mazyar avoue tous les crimes, aussi absurdes soient-ils.

À la question du réalisateur sur la conscience des tortionnaires, Taghi répond qu’ils sont convaincus de sauver le pays et de bien faire en torturant des traitres. Pourtant Taghi rêve de pouvoir retourner en Iran, d’y vivre avec sa famille… Même si c’est impossible actuellement.
Deux films de Mehran Tamadon : Mon pire ennemi au cinéma depuis le 8 mai et Là où Dieu n’est pas, sur les écrans le 15 mai.

Plus de 800 personnes ont été exécutées en Iran en 2023, des exécutions visant à décourager de futurs soulèvements et toute velléité de révolte. Le système judiciaire iranien organise des procès fictifs contre toute forme d’opposition. En 2022, le peuple iranien a de nouveau revendiqué un changement de régime et la libération des prisonniers et prisonnières politiques. La semaine dernière, nous avons parlé de la lutte des femmes iraniennes : Femmes Résistance Liberté !

Les 4 âmes du coyote
Film de Aron Gauder (15 mai 2024)

Des activistes amérindiens s’opposent à un projet d’oléoduc sur leur territoire ancestral. Le soir autour du feu, ils se réunissent autour de leur Grand-Père qui leur fait le récit de la Création. Le conte rappelle à tous et toutes la place de l’être humain sur la Terre et son rôle dans la destruction de la nature.

Un cinéaste hongrois qui raconte l’histoire mythique des Indiens-américains ? Pourquoi pas ?
« Pendant mon enfance... Quand la Hongrie était un pays communiste, derrière le Rideau de fer, notre accès à la culture était très limité : peu de livres, séries et films, mais les livres sur les Indiens étaient très, très populaires auprès des gamins à l’époque. Je crois que c’était même of ciel, le régime avait beaucoup de sympathie pour eux parce qu’ils combattaient l’armée américaine, au fond. Et comme les communistes n’aimaient pas l’armée américaine...

Bref, quand j’étais petit, on jouait tous aux cow-boys et aux Indiens. Voilà comment ça a commencé. Puis l’URSS s’est effondrée, Internet est arrivé et a complètement changé la façon dont on a eu accès au reste du monde. Et aussi, parce que quand j’avais 18 ans, on a campé dans la forêt pendant deux semaines et on a dormi dans des espèces de tipis. On faisait du feu et on essayait d’être proches de la nature. »

Tout le monde devrait raconter cette histoire du génocide qui a fondé les Etats-Unis, les Natives et toute personne sensible à cette histoire qui a été si longtemps détournée. Et puis les luttes sont toujours actuelles !

LES ÉVÈNEMENTS DE STANDING ROCK
Situé dans le Dakota du Nord aux Etats-Unis, Standing Rock est une réserve autochtone. Elle est principalement peuplée par les Lakotas qui est une tribu autochtone américaine du groupe ethnique sioux. La réserve de Standing Rock a une superficie de 9 251,2 km2 et une population de 8 542 habitants (en 2018) selon l’American Community Survey.
D’avril à décembre 2016, le projet de construction d’un oléoduc transportant du gaz de schiste mené par Energy Transfer mobilise des milliers de militants contre cette installation. Le principal argument des manifestants est que l’oléoduc Dakota Access Pipeline viole l’article II du traité de Fort Laramie, qui garantit « l’utilisation et l’occupation sans perturbation » des terres de la réserve entourant l’emplacement proposé pour l’oléoduc. En effet, le géant de l’industrie pétrolière prévoit la construction d’un pipeline de 1800 km qui traverserait la réserve historique. Une véritable menace écologique qui polluerait inévitablement les rivières Missouri et Mississipi qui fournissent en eau la réserve. Transformé en ZAD (Zone à Défendre), les militants paci ques sont dirigés par la doyenne LaDonna Brave Bull Allard. Les forces de l’ordre du Dakota du Nord ainsi que les gardes privés engagés par Energy Transfer répriment violemment les manifestants, arrêtant et blessant des centaines de personnes. Le mouvement prend alors de l’ampleur médiatiquement. Sur les réseaux sociaux, les soutiens utilisent le hashtag #NoDAPL (No Dakota Pipeline). Des célébrités se mobilisent sur place comme le musicien Neil Young ou encore les acteurs Mark Ruffalo et Shailene Woodley. Après de longs mois de
mobilisations, les manifestants obtiennent gain de cause le 4 décembre 2016. Les autorités refusent le permis de forage à Energy Transfer et annoncent que le futur tracé du pipeline ne passera pas finalement par la réserve de Standing Rock.
Plus d’informations : https://americanindian. si.edu/nk360/plains-treaties/dapl

La Morsure
Film de Romain de Saint-Blanquat (15 mai 2024)

Une forêt, un balancier, multiplication d’images très cut, puis un cri et Françoise s’éveille d’un cauchemar, où elle s’est vue disparaître dans les flammes. Le film se situe en 1967, la veille des cendres. Françoise est pensionnaire d’un lycée catholique et raconte à Delphine sa vision : c’était la nuit, des gens dansaient… et soudain le feu. Au matin, sous l’influence de son cauchemar, la jeune fille y voit l’annonce d’un futur proche et persuade son amie de faire le mur pour rejoindre un groupe de jeunes et vivre cette nuit comme la dernière. Cette escapade génère une série de rencontres, d’abord cet homme rencontré dans un café, qui les emmène dans une voiture volée vers le manoir inhabité où se déroule la fête. Françoise le questionne : « Vous étiez en Algérie ? Oui [répond-il], l’armée, l’hôpital, ça vous apprend à marcher droit. »
La morsure évolue entre rêve et réalité sans coupure, même si Delphine est moins sensible au mysticisme et à l’ésotérisme que Françoise. Pour elle, c’est une manière « de se révolter contre des croyances qui lui sont imposées [explique le réalisateur]. Elle prend la tangente en cultivant ses propres certitudes, sa manière singulière de décrypter le monde, ce qui l’apparente un peu à une sorcière. » Et finalement la fête est prétexte à la rencontre entre une fille qui se voit sorcière et un garçon qui se projette vampire. Tous deux se voient différents, isolé.es, comme souvent pendant l’adolescence, une façon de revendiquer plus ou moins consciemment son émancipation, mais une certaine marginalisation. Quant à l’attirance de Françoise pour le feu, résonance avec son rêve, c’est aussi un besoin de se libérer du passé.

Romain de Saint-Blanquat évoque aussi la littérature romantique et gothique concernant le personnage de Françoise, l’intensité candide de ses réactions. Ce que l’on retrouve « dans l’esthétique du film, dans l’attrait pour le morbide, la place qu’y tient la nature ou dans le choix de décors un peu délabrés, qui appartiennent au passé. Françoise a envie de faire table rase du monde des adultes qui, à ses yeux, appartient à un passé révolu et s’incarne dans ces lieux qu’elle habite. D’où son envie de les détruire. Mais je tenais aussi à ce que le film déjoue la vision des héroïnes romantiques fragiles et vouées à la mort et, qu’au contraire, elle puisse faire le choix inverse dans sa résolution. » Sa rencontre avec Christophe, le vampire, hésitant parfois, pousse Françoise dans sa volonté de hâter les événements.
La morsure est un conte où les interdits et les transgressions font partie de l’initiation de Françoise et de Christophe, comme le feu qui semble un passage vers un autre cycle. Premier long métrage au climat étrange, aux accidents réels ou fantasmés…
La morsure de Romain de Saint-Blanquat est en salles le 15 mai.

Roqya
Film de Saïd Belktibia (15 mai 2024)

Nour vit seule avec son fils, c’est une femme qui tient à sa liberté et est déterminée à la préserver. Séparée du père de son enfant, elle a organisé sa vie autour des affaires qu’elle entretient avec des guérisseurs et autres mages, qui pratiquent les sciences occultes, la roqya, et la sorcellerie. Elle n’a pas froid aux yeux, et bien qu’ayant des relations tumultueuses avec son ex, qui ne semble pas avoir accepté l’indépendance de Nour, elle sait se défendre, surtout si l’on met en danger sa vie fusionnelle avec son fils, et bien entendu son autonomie. Par ailleurs, elle se joue des croyances et des traditions, sans que l’on sache si elle y croit ou pas. Alors qu’un voisin l’appelle à l’aide un jour pour son fils, fragile et troublé, elle sort de son rôle de femme d’affaires, et l’histoire dérape, se terminant en drame. Elle est accusée de sorcellerie et de tous les maux imaginables, rumeur attisée par l’envie et la jalousie. La chasse à la sorcière prend vite un essor inquiétant sur les réseaux sociaux, alimentés par un courant islamiste qui voit d’un mauvais œil cette femme de caractère, indépendante et sans homme de surcroît. L’ex compagnon de Nour est embobiné par un soi-disant imam, qui pratique l’exorcisme, et sous son emprise, se met en tête de protéger son fils des possibles envoûtements de sa mère. Nour, déjà en mode défense contre le quartier très remonté contre elle, passe à l’attaque pour sauver son fils.

Roqya est le premier long métrage de Saïd Belktibia, dans lequel il aborde plusieurs thématiques, qui en font un film dense, d’abord les croyances et autres sciences occultes, qui prennent le pas de plus en plus sur les services publics. Avoir recours à l’occulte pour conjurer le mauvais œil ou encore se soigner, cela révèle comme l’explique le réalisateur, que « malgré notre système de santé unique au monde, certains ne peuvent toujours pas se payer un dentiste quand ils ne gagnent que 600€ par mois. Ou encore consulter un psychiatre car ce n’est pas remboursé. C’est sept heures d’attente aux urgences, trois mois pour avoir un rendez-vous dans un centre social. Ça révèle que personne ne répond plus à vos questions. Alors si on vous dit qu’une femme au septième étage, avec un peu d’encens, et pour quelques billets vous aidera à aller mieux ou à sauver votre enfant, c’est dur de ne pas y croire. D’autant plus quand on n’a plus personne vers qui se tourner, dans un monde en perte de sens. Tout cela est le quotidien de millions de gens et est largement sous représenté au cinéma. » On le constate avec la prolifération des cartes de guérisseurs et autres magiciens distribuées dans la rue et les boîtes aux lettres, qui promettent de résoudre tous les problèmes. Par ailleurs, les centres de roqya sont une réalité en France.
L’autre point important du film est l’emballement d’un harcèlement rendu possible par les réseaux sociaux, qui fonctionnent sur la rumeur, sans réflexion, et lorsqu’il s’agit de sorcellerie, tous les fantasmes sont permis, les accusations se multiplient et la meute est lancée. La rumeur a toujours existé, le film de Fritz Lang, Fury, le montre bien, mais avec les réseaux sociaux, la rumeur gagne en rapidité.

Dans ce film, l’image de la femme émancipée est provocante. Incarnée par Golshifteh Faharani, Nour est accusée de sorcellerie, car elle représente à plus d’un titre celle qui dérange par son indépendance et son refus de soumission au patriarcat et à la religion. « Lorsque j’ai lu le scénario pour la première fois [dit Golshifteh Faharani], je l’ai lu du début jusqu’à la fin, sans jamais le lâcher. C’est un bon signe. Le rythme était extraordinaire. Mais rien ne m’avait préparée à la complexité de l’histoire qu’on allait raconter. Pour moi, Nour est une femme forte. Elle subit une histoire d’injustice absolue. C’est très actuel : la société le fait énormément. Avec les réseaux sociaux, une personne peut être encensée et détruite aussi rapidement. » Nour est aussi une femme qui porte le récit jusqu’à la fin, se moque de ce que l’on pense d’elle, sait affronter l’adversité, se relève lorsqu’elle est attaquée… C’est la lutte d’une mère pour sauver son fils et elle-même.
Roqya de Saïd Belktibia à voir au cinéma le 15 mai.

5 films de Luigi Comencini : À cheval sur le Tigre,
Casanova, un adolescent à Venise, La Traite des blanches,
La Belle de Rome
et Maris en liberté. (8 mai)

Comencini est un réalisateur prolixe, il a réalisé trente films, dont cinq sont à voir sur grand écran et en copies restaurées depuis le 8 mai.

À cheval sur le Tigre : Giacinto Rossi a été condamné à trois ans de prison pour vol et abus de confiance. Il a presque purgé sa peine quand trois codétenus profitent de son poste d’aide-infirmier pour lui demander un certain nombre d’objets qui pourront faciliter leur évasion.

Et voilà Giacinto devenu leur complice malgré lui d’une cavale mémorable... Et une comédie douce amère… critique acerbe, mais drôle. Un film rare.

Casanova, un adolescent à Venise : Le jeune Giacomo Casanova passe 
une enfance assez pauvre à Venise entre sa
 grand-mère, une mère volage et un père subjugué par sa femme.
 Envoyé en pension à Padoue, il fait
 la connaissance du père Don Gozzi, 
qui sera à l’origine de sa carrière ecclésiastique. Devenu adulte, Casanova revient à Venise où il décide d’abandonner la soutane et de s’adonner au libertinage...

En 1969, Comencini réalise ce très beau film sur la jeunesse de Giacomo Casanova, qui en fait est une chronique sociale de cette époque à Venise et à Padoue au début du XVIIIe siècle, regorgeant de détails, dans des décors somptueux. Une merveille !

La Traite des blanches : Un film noir sur la misère qui pousse des jeunes femmes dans les griffes de maffieux, qui les embarquent pour un voyage sans retour. Réalisé en 1952, le film est dans la mouvance du néo réalisme, où Manfredi (Vittorio Gasman), petit voyou sans envergure et traitre à sa classe, propose à des jeunes femmes de participer à des marathons de danse en leur faisant miroiter des tournées pour les gagnantes. C’est un traquenard visant à les embrigader dans un réseau de prostitution... Un drame social de l’après-guerre qui annonce le film de Sydney Pollack, On achève bien les chevaux, quelques années plus tard…

La Belle de Rome : Mario, un boxeur un peu trop vif, se retrouve en prison après une altercation, ce qui laisse libre Nannina, sa fiancée, qui est courtisée tour à tour par Oreste, un veuf d’âge mûr et fortuné, et par Gracco, déjà marié. Elle rêve de devenir gérante d’un restaurant au nom prometteur, la Belle de Rome...
Comme le dit Jean Gili à propos du comédien Alberto Sordi : « le film offre la vision cruelle d’un personnage révélé dans son hypocrisie, sa duplicité, sa manière mercantile de concevoir les rapports avec l’église, sa roublardise, sa phraséologie de hâbleur. »

Maris en liberté  : À Rome, chaque année, au mois 
d’août, les épouses partent sur
 la côte en vacances pendant que
 leurs maris respectifs restent en ville pour leur travail. C’est une
 période bénie pour ces hommes en
quête d’aventures sentimentales.
 Sans leurs femmes, ils draguent dès qu’une femme passe. Mario, marié depuis peu avec Romana, tombe très amoureux de Lionella. Alberto, Fernando et Giacinto, ses amis, tentent aussi l’aventure... 7 ans de réflexion à l’italienne.
Comencini dit de son film : « Dans Mariti in città, il y a toujours mon goût pour les situations paradoxales. Ce sont les histoires, entremêlées, de plusieurs maris qui restent en ville l’été pendant que leurs femmes sont au bord de la mer avec leurs enfants. » Le commentaire de Jean Gili ne fait pas de cadeau : « Au-delà des divers rebondissements, le film est surtout le prétexte pour le metteur en scène de faire, dans la ligne de La belle de Rome, un portrait peu flatteur du mari italien, un homme hypocrite, irresponsable, et finalement assez peu courageux : ainsi, dans Mariti in città, lorsque Salvatori découvre que Giogia Mali est réellement amoureuse de lui, il n’a d’autre réaction que de penser qu’elle est folle. »