Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Erreur d’exécution plugins/auto/escal/v5.0.5/inclusions/inc-une_derniers.html

2024 — Les jeux olympiques n’ont pas eu lieu
Marc Perelman (éditions du Détour)

En compagnie de Marc Perelman

Rediffusion de l’entretien avec Marc Perelman à propos de son livre, 2024. Les jeux olympiques n’ont pas eu lieu, avec des lectures de textes par Nicolas Mourer.
C’était il y a trois ans et le livre reparaît en seconde édition complétée, toujours aux éditions du Détour. Marc Pérelman évoquait déjà une nouvelle étape de la compétition — l’I-Sport —, et avec l’intelligence artificielle, qui fascine tellement sans qu’il y ait réellement de réflexion hormis quelques exceptions, tout devient possible question capture des esprits. Les JO ? Un miroir aux alouettes, des promesses sans lendemain, des chantiers qui coûtent une blinde sans intérêt pour la population ?

Si l’on examine le terme de “Jeux olympiques”, correspond-il à l’idée, à la nature du jeu ? Au lieu de répéter naïvement les injonctions induites dans les médias, à savoir voir dans les Jeux olympiques une grande fête populaire transcendant les différences de classes, un vecteur anti discriminatoire ou encore une élévation des esprits… Soyons sérieuses et sérieux, la grand messe olympique ne représente certainement pas une libération, mais plutôt la célébration du profit et de la compétition.

Dans son ouvrage, Marc Perelman explique s’être « astreint à l’étude, la plus précise possible, de l’organisation matérielle, idéologique et politique de cet événement ». Autrement dit, « analyser le cœur du projet olympique et de ses valeurs, ainsi que les conséquences sociopolitiques sur nos territoires et dans nos vies. » Pour cela, il revient sur l’historique des Jeux olympiques, rappelle certains des événements qui en ont dévoilé les enjeux, et propose avec vingt et une thèses un point sur la propagande largement distillée.

Marc Perelman est venu présenter son livre, 2024 — Les jeux olympiques n’ont pas eu lieu, dans les chroniques rebelles en février et en juillet 2021, il est reparu cette année en version réactualisée aux éditions du Détour. Et il nous a paru intéressant de rediffuser cette émission, en y ajoutant toutefois une note sur les JO de Tokyo en 2021, largement commentés dans l’émission par Marc Perelman.
Note sur les Jeux olympiques d’été de 2020 déplacés en 2021. Deuxièmes Jeux olympiques d’été organisés à Tokyo, après ceux de 1964, les dates initialement prévues du 24 juillet au 9 août 2020 ont été décalées en raison des risques de reprise de la pandémie du Covid-19. Reportés comme l’indique Marc Perelman, les JO se sont finalement déroulés, après de longues tergiversations, du 23 juillet au 8 août et du 24 août au 5 septembre 2021 pour les Jeux paralympiques. L’élection de la ville hôte avait eu lieu le 7 septembre 2013 à Buenos Aires avec trois villes en lice pour accueillir les Jeux : Istanbul, Tokyo et Madrid. Il s’agissait déjà à l’époque du plus faible nombre de villes candidates retenues depuis les Jeux olympiques d’été de 1988.
Le nom des Jeux est resté inchangé : « Jeux olympiques de Tokyo 2020 » programmés en 2021. Et comme la sécurité sanitaire était menacée — reprise de la pandémie —, le CIO et les organisateurs ont décidé que la tenue des Jeux olympiques aurait lieu sans public, à huis clos… Quant à la flamme olympique, son relais était interdit au public et arriva à Tokyo le 9 juillet 2021… dans un stade vide.
Rediffusion de l’entretien avec Marc Perelman à propos de son livre, 2024. Les jeux olympiques n’ont pas eu lieu, lectures de textes par Nicolas Mourer. C’était il y a trois ans et le livre reparaît en seconde édition complétée, toujours aux éditions du Détour. Marc Pérelman évoquait déjà une nouvelle étape de la compétition — l’I-Sport —, et avec l’intelligence artificielle, qui fascine tellement sans qu’il y ait réellement de réflexion hormis quelques exceptions, tout devient possible question capture et domination des esprits. Les JO ? Un miroir aux alouettes, des promesses sans lendemain, des chantiers qui coûtent une blinde sans intérêt pour la population ?
BA JO Sport mondialisé : du pain et des jeux #DATAGUEULE

Une autre vie que la mienne
Film de Malgorzata Szumowska et Michal Englert (29 mai 2024)

L’histoire d’Andrzej se passe dans une petite ville polonaise, depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, dressant ainsi le portrait d’un pays marqué par une époque de bouleversements politiques et sociaux, la tutelle soviétique, la répression, les grèves, les luttes syndicales, Solidarnosc, le passage au néo-libéralisme.
La première séquence du film se déroule au cours d’une communion — la religion est omni présente en Pologne — durant laquelle Andrzej s’empare du voile d’une communiante et, poursuivi par une horde d’adolescentes voiles au vent, il grimpe sans vertige au sommet d’un grand arbre. Les images de cette première partie sont magnifiques, l’enfant blond coiffé d’un voile, entouré par une couronne de filles au pied de l’arbre, des images annonçant en quelque sorte le sentiment de l’adolescent et de sa transformation. Les années passent et, peu à peu, les doutes trahissent une conscience de sa véritable identité, c’est tout d’abord facétieux, il refuse de retirer ses chaussettes qui dissimulent ses ongles de pieds vernis et est réformé. Lors de sa rencontre avec Iza, en grimpant sur le tréteau pour accrocher la banderole « Vive le premier mai », Andrzej arrache le sexe d’un ange de plâtre et le glisse ensuite dans la main de la jolie infirmière, une déclaration comme une blague. Amoureux, ils se marient, ont deux enfants, mais il est de plus en plus mal à l’aise dans son corps et ne comprend pas ce qui lui arrive. En plein doute, il se confie à un médecin sur ses attirances et son manque de virilité, et celui-ci lui prescrit un traitement à base de testostérones, qu’il revend en douce, puisque là n’est pas son problème réellement. Andrzej tente désespérément de comprendre sa véritable identité, fait une recherche en bibliothèque, consulte des magazines, lit des témoignages sur des cas similaires au sien, « ne pas être aligné avec son identité de genre n’est pas une farce ». Parallèlement au passage d’un régime à l’autre — du communiste au capitalisme —, Andrzej vit sa transition de genre et l’expérience d’une personne à qui l’on interdit d’être elle-même. Après la naissance de son second enfant, Andrzej se dissimule encore pour se maquiller, porter des vêtements féminins, et il tient un journal de sa transition.

Si l’on remarque au passage les affiches de films comme Pretty Woman ou la Double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski, cela ne signifie aucunement l’ouverture, sinon superficielle, de la société. Elle garde ses œillères, l’évolution de la société et des mentalités stagnent et n’évoluent guère concernant le changement d’identité de genre. En Pologne, cela semble impossible, et devenir Aniela est un long combat, tant dans son milieu familial que professionnel. Après consultation d’un avocat, il s’avère obligatoire de passer par la justice, c’est-à-dire attaquer ses propres parents, divorcer puisque le mariage entre deux femmes est totalement illégal, et finalement risquer le rejet de ses enfants. À ces violences administratives — des démarches dignes du Procès de Kafka —, il faut ajouter l’ostracisme au quotidien à l’égard de Andrzej/Aniela, qui est d’ailleurs virée de son boulot.
Une autre vie que la mienne est aussi une très belle histoire d’amour entre Aniela et Iza, son épouse, car le couple, bousculé et après des années de séparation, se retrouve près de l’arbre majestueux de la première séquence, sans se soucier des normes sociales.
Une autre vie que la mienne évoque les doutes, les craintes, les désirs, les besoins, les questionnements sur les différentes étapes, graves et parfois douloureuses, de la transition. Aniela regarde à la fenêtre le jour se lever…
« Aujourd’hui, la Pologne n’a toujours pas de loi sur la reconnaissance de genre ». Le combat pour le respect des droits des personnes LGBT se poursuit et le film leur est dédié.
Une autre vie que la mienne de Malgorzata Szumowska et Michal Englert au cinéma le 29 mai.

Memory
Film de Michel Franco (29 mai 2024)

Toute la vie de Sylvia est organisée autour de sa fille Anna, qu’elle surprotège, de son travail dans une association comme travailleuse sociale et de ses réunions d’ancienne alcoolique. Sa sœur cadette, Olivia, dont elle est proche l’incite à sortir un peu de cette routine, mais Sylvia n’est guère enthousiaste à l’idée de lier connaissance avec d’autres personnes. Pourtant, malgré ses réticences, elle se laisse convaincre un soir pour se rendre à une soirée d’anciens élèves du lycée avec sa sœur, qui s’amuse de ces retrouvailles. Mal à l’aise, Sylvia s’ennuie et semble constamment sur ses gardes à l’idée de rencontres et devant les verres d’alcool qui défilent sous son nez. Elle est observée par un homme et lorsque celui-ci s’approche, elle se lève et part. L’homme la suit sans l’approcher, dans la rue, puis dans le métro et finalement jusque chez elle, où elle s’enferme et même se barricade. Le lendemain matin, l’homme est toujours à sa porte, transi et recroquevillé sur le sol. Il ne répond pas à ses questions, elle s’inquiète, mais en ses poches, elle trouve ses papiers un numéro de téléphone et appelle des proches en expliquant la situation et son frère vient le chercher. Saul est en fait atteint de démence précoce et a perdu la notion de mémoire immédiate.
La famille de Saul propose à Sylvia de s’occuper de lui quelques après-midi pour lui tenir compagnie, de peur qu’il se perde à nouveau en sortant seul. Tout d’abord elle refuse, puis accepte car elle semble hantée par des souvenirs qu’elle veut tirer au clair. Au cours d’une promenade dans un parc, elle le questionne, encore troublée par le fait qu’il l’ait suivi le premier soir, lui parle de l’un des élèves dont il était ami. Ce dernier l’avait violée entre 12 et 18 ans, en la menaçant, jusqu’à ce qu’elle change de lycée. Elle accuse alors Saul d’avoir participé à ces viols : « et ça, tu ne t’en souviens pas ? Tu te rappelles des choses quand cela t’arrange. » Il ne se souvient de rien et elle l’abandonne dans le parc, mais se ravise et le ramène chez lui.
Saul est au premier stade de démence, il se souvient cependant que, s’il connaissait en effet cet élève, il n’avait fréquenté ce lycée que tardivement et ne pouvait pas avoir connu Sylvia. Elle s’excuse et l’on se rend compte que le passé de la jeune femme est lourd et pèse sur son comportement et sa méfiance, elle refuse tout contact avec sa mère avec qui elle a définitivement coupé les ponts. Michel Franco se dit influencé par John Cassavetes dans Minnie and Moskowitz « parce que c’est une love story entre deux quadragénaires, qui tombent amoureux presque comme des adolescents. » Une histoire ponctuée par la chanson de Procol Harum, A Whiter Shade of Pale, aux paroles énigmatiques, que Saul écoute sans cesse. Une histoire d’amour cernée par d’obscurs drames de famille, dissimulés la plupart du temps. « Parmi les proches de Sylvia et Saul, il y en a qui pensent vraiment agir pour leur bien, tout en les blessant avec condescendance. […] Je suis aussi obsédé [souligne Michel Franco] par cette idée que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je l’ai développée dans plusieurs de mes films précédents. C’est tragique, mais c’est beaucoup plus intéressant que le mal à l’état pur. »
Memory, la mémoire y est évidemment centrale, mais dans le sens d’opposer deux êtres, l’une hantée par des souvenirs traumatisants et l’autre les perdant peu à peu, ce qui est peut-être plus important, c’est la mémoire du passé transformé au crible des dénis pour la mère de Sylvia, et la crainte d’Olivia enfant de ne pas obtenir l’amour de ses parents. La scène de famille chez Olivia est d’une rare violence, admirablement mise en scène, entretenue par la mère perverse, incroyable Jessica Harper, face à sa fille Sylvia (Jessica Chastain). C’est Anna, la fille et petite fille, qui a la meilleure réaction, la plus pragmatique de ne pas enfouir encore une fois les secrets de famille. C’est vrai que l’on peut là aussi penser à John Cassavetes dans Une femme sous influence et que, encore une fois, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Memory de Michel Franco au cinéma le 29 mai.

Fainéantes
Film de Karim Dridi (29 mai 2024)

La nuit, deux femmes menottées dans un fourgon de police, dehors les gens courent, crient, tentent d’échapper aux flics… Toute la séquence se déroule hors champ, depuis l’intérieur du fourgon, sur une bande son qui colle parfaitement à la violence de l’expulsion du squat et aux brutalités policières. Un chien aboie, celui de Nina, il est abattu par un policier. Cette séquence nocturne traduit sans fioritures le drame vécu par des personnes à la marge, rejetées habituellement par la société parce qu’elles en refusent les règles.
Après cette séquence nocturne, Nina et Djoul décident de reprendre la route dans le camion de Djoul, pas question de s’attarder et de s’apitoyer, elles refusent d’être des victimes.
Et l’aventure commence avec les moments de complicité, les discussions, les galères, les rencontres qui dévoilent à la fois la tendresse des deux femmes, leur empathie et leur immense soif de liberté… Et même la solidarité existant dans un milieu ignoré en général.
Vivre en refusant les règles d’une société, qui condamne toute dérive subversive n’est pas simple, suppose l’abandon d’un cadre à la fois imposé, parfois plus facile même misérable, cela oblige à ne rien accepter de durable et de se laisser porter par les opportunités qui surgissent… Un boulot saisonnier, une rencontre amoureuse, une chienne abandonnée, un geste d’empathie, une bagarre qui se transforme en amitié, l’attente d’une vieille femme qui s’ennuie dans sa maison de retraite ; on se sépare et on se retrouve à l’occasion d’une fête. Tous ces instants rythment la vie des deux femmes et des personnes qu’elles croisent, les accompagnant un bref moment.

Le choix de plans larges s’impose dans le filmage des deux femmes, ensemble ou non, pour rendre compte de la dimension de leur itinéraire sans limites, la bande son installe l’ambiance, les dangers, l’intensité débordant de chaque plan, qui littéralement nous immerge dans des vies ignorées ou niées. Car le contre courant dérange, surtout lorsqu’il est décidé, il remet en question l’acceptation habituelle des codes et des critères. Le film de Didri plonge dans un monde invibilisé la plupart du temps, mais pourtant si proche : le quotidien de la marginalité de deux femmes, personnages extraordinaires de naturel et de spontanéité, incarnés à merveille par Faddo Jullian et Ju, entourées par une troupe de comédiens et de comédiennes étonnantes. La scène amoureuse de Nina et de Momo, toute en très gros plans, en est une illustration singulire et originale, on ne voit que Nina, et finalement sa main qui dessine sur la buée de la vitre de la caravane. « c’est à la lumière d’un téléphone portable qu’on a filmé la scène [explique Karim Dridi]. Une lumière qui se réfléchit sur le visage de Nina. C’est comme cela que nous avons été au plus proche de son plaisir. Et de son désir. À partir de là, comment découper cette scène ? Comment fragmenter ce désir ? Comment finir sur la main sur le pare brise en buée ? J’ai pensé à la peinture impressionniste. Et le découpage s’est construit de cette manière. » La dispute entre les deux femmes est aussi remarquable, le jeu n’existe pas, il est transcendé en réalité, de même les retrouvailles de Djoul avec sa famille, un pas de côté émotionnel dans un monde où elle ne peut rester, se poser, « trop de murs » dit-elle. Retour sur la route avec en prime l’accordéon et les chansons de Colette Magny.

Fainéantes ? Drôle de statut dont on les affuble, Nina er Djoul n’arrêtent pas de bosser dans ce road movie à travers le pays et les émotions, les sentiments hors normes. La réalisation est d’ailleurs elle-même hors normes, évitent tous les pièges du spectaculaire, croisant sans contraste documentaire et fiction, réalité et espoir…
Depuis Sans toit ni loi d’Agnès Varda, rares sont les films d’une telle force pour illustrer la marge et le désir de liberté des femmes.
Fainéantes de Karim Dridi à voir au cinéma le 29 mai.