Chroniques rebelles
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Alain Delon
Amours et mémoires

de Denitza Bantcheva (éditions de La Martinière)
(Entretien)

En relisant le Bloc notes de la revue Positif, mentionnant la conférence de Denitza Bantcheva sur quatre films de René Clément dans lesquels Alain Delon tient un rôle important, une exposition consacrée à Paris brûle-t-il ? que l’on peut voir jusqu’au 22 septembre, la sortie du Samouraï en version restaurée, dans un cinéma à New York, consacrant une rétrospective de onze films à Alain Delon, considéré aux États-Unis comme le plus célèbre acteur européen, enfin parce que ce chef-d’œuvre de Jean-Pierre Melville fera le tour des salles d’art et d’essai états-uniennes, il nous a semblé important de rediffuser intégralement cet entretien.
Alain Delon
Amours et mémoires

de Denitza Bantcheva (éditions de La Martinière)

Nous revenons donc sur l’ouvrage de Denitza Bantcheva, qui offre un large panorama de l’itinéraire cinématographique d’Alain Delon, avec une quarantaine de films remarquables, leurs synopsis, les critiques, les commentaires et la réception du public. Alain Delon fut non seulement l’interprète de grands réalisateurs, mais fut également producteur et même le réalisateur de deux films. Parmi les chefs-d’œuvre et les films cultes auxquels il a participé en tant que comédien, on peut citer Le Guépard de Luchino Visconti, Plein soleil de René Clément, Le Samouraï de Jean-Pierre Melville ou encore Monsieur Klein de Joseph Losey, mais aussi des films d’auteur marquants, L’Insoumis d’Alain Cavalier, Les Centurions de Mark Robson, Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Le Professeur de Valerio Zurlini, Quelle joie de vivre de René Clément, L’Éclipse de Michelangelo Antonioni, ainsi que des films populaires comme Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil avec Jean Gabin et Lino Ventura, Paris brûle-t-il ? de René Clément, La Piscine et Borsalino de Jacques Deray. On trouve également dans le livre les témoignages de proches, de comédiennes et de comédiens ainsi que de personnes qui l’ont côtoyé lors de tournages.
Doté d’une iconographie exceptionnelle, parfois inédite, l’ouvrage décrit aussi une facette méconnue de sa carrière au théâtre et à la télévision, qui bat en brèche l’image parfois caricaturale souvent associée au personnage.
Cet ouvrage est le fruit d’une dizaine d’années de recherches tant dans la collecte des articles de presse que dans les livres et, surtout, dans la connaissance des interprétations de Delon au cinéma, au théâtre et à la télévision. Denitza Bantcheva donne à voir le parcours d’un artiste qui, à travers son travail, a fait connaître le cinéma tant français qu’international bien au-delà de frontières, de même que le processus de création cinématographique et les métiers qui la constituent. Autrement dit le travail d’équipe incontournable au cinéma !
À noter que l’entretien d’Alain Delon rapporté dans un autre livre de Denitza Bantcheva, René Clément, et évoqué dans les chroniques rebelles de Radio Libertaire avait déjà éveillé notre intérêt par sa réflexion passionnante sur le cinéma et les metteurs en scène de légende qui l’ont dirigé.
Denitza Bantcheva a publié des romans, des récits, des poèmes et des ouvrages sur le cinéma dont Jean-Pierre Melville : de l’œuvre à l’homme, René́ Clément et Un florilège de Joseph Losey (éd. du Revif). Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Positif.
Alain Delon. Amours et mémoires de Denitza Bantcheva est coordonné par Liliana Rosca (éditions de La Martinière)
Pour les illustrations musicales vous avez certainement reconnu des extraits de bandes originales des films : Quelle joie de vivre (René Clément/Nino Rota. Le Guépard et Rocco et ses frères (Luchino Visconti), Monsieur Klein (Joseph Losey), Le Chemin des écoliers (Michel Boisrond), Les Félins (René Clément), Pauvre Rutebeuf (Duo Nana Mouskouri / Alain Delon), Le Clan des siciliens (Henri Verneuil), etc.
Dernièrement sont parus deux autres livres de Denitza Bantcheva : un recueil de poésies, Liens de sel, à l’atelier du grand Tetras et Objets perdus, on pourrait imaginer à propos de cet ouvrage une histoire de famille, d’amitiés, d’enfance, de disparu.es, de souvenirs chéris ou enfouis qui, ressurgissent à la vue d’un objet, d’un agencement, d’une odeur, d’une couleur… Nous en parlerons prochainement.

Eat the Night
Film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (17 juillet 2024)

Pablo et sa sœur Apolline s’évadent de leur quotidien en jouant à Darknoon, un jeu vidéo qui les a vus grandir, surtout Apolline qui, sous l’égide son frère aîné, s’y consacre complètement. Elle crée son costume, dessine sa vie rêvée, sa créativité tourne autour de Darknoon et par là aussi la relation avec son frère. Alors lorsque la fin du jeu s’annonce, Apolline est affolée, d’autant que Pablo, qui l’a initiée à l’aventure fantasmée dont tous deux sont les héros, voit cela comme naturel et un passage à autre chose, d’ailleurs il s’éloigne d’elle. Il a rencontré Night, l’associe à ses deals de MD, vit avec lui une histoire passionnelle, mais cela provoque la colère d’une bande rivale qui voit dans ces outsiders un danger pour leur commerce. Cela donne lieu à des affrontements, des courses en motos où les plans se juxtaposent parfois à ceux du jeu et des personnages de Darknoon. Dans toute la première partie de Eat the night, on est loin du trip hallucinogène et de l’aventure sublimée, non c’est plutôt l’univers du speed pur et dur…
De son côté, Apolline se projette de plus en plus dans son avatar de superwoman toujours victorieuse face à tous les dangers, trucidant avec l’énergie du désespoir sachant la fin annoncée d’un monde fabriqué, mais qui lui appartient et qu’elle contrôle.
Parallèlement, cela devient chaud dans la vraie vie pour Pablo et Night, c’est une lutte contre la mafia du quartier, et tout va très vite s’emballer.

Ce qui est fascinant dans ce film, c’est le passage sans transition de la réalité au game, si tenté qu’il y ait un passage conscient pour Pablo et Apolline de l’un à l’autre, ce qui est très bien rendu par le traitement de l’image. Et puis, très beau plan, emblématique et effrayant, que celui de la conclusion du jeu, la fin d’un monde avec compte à rebours et pluie des corps soudain annihilés.
Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel a été présenté à Cannes, à la quinzaine des cinéastes, et c’est une très belle représentation de l’influence de ces jeux sur la création, les rapports et l’imaginaire de toute une génération.
Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel en salles le 17 juillet.

Dos Madres
Film de Victor Iriarte (17 juillet 2024)

«  C’est l’histoire d’un crime atroce »… Dos Madres, dont le titre initial est Sobre todo de noche (Surtout la nuit), raconte la quête d’une femme pour retrouver l’enfant qu’on lui a volé à la naissance avec la complicité du médecin, du juge, etc.
En gros plan, un doigt suit des routes sur des cartes exposées sur un mur, Espagne, Portugal… à la recherche de traces effacées, niées, de crimes d’État, de mensonges. Entre 1940 et 1990, 300 000 bébés ont été volés à leur mère en Espagne, cela a commencé sous le franquisme et a perduré après la mort de Franco en 1975. Jamais, les autorités ne se sont souciées des réclamations faites par les mères, même après le changement de régime, mieux il y a eu prescription et les dossiers ont littéralement disparus.
Première partie : Vera lutte contre le déni et écrit une lettre à son fils, Egoz, qui relate les péripéties de sa recherche alors que toutes ses tentatives se heurtent aux barrières administratives. Voix off : «  C’est une histoire de violence. De rage et de violence. On m’a dit que tu étais mort durant l’accouchement, mais je me souvenais parfaitement de ton cri et de l’infirmière qui avait dit que le bébé allait bien ». Ensuite, l’enfant lui est enlevé et un faux certificat de décès lui est délivré, et finalement le dossier disparaît. Aucune trace, la naissance n’a jamais eu lieu. Vera commence alors sa bataille contre le silence et le mensonge, comme beaucoup de jeunes mères, oubliées, perdantes, invisibles. Une femme témoigne aux archives : « Ils nous ont ordonné de tout brûler ». Effacer toutes les traces d’une ignominie contre les femmes. Vingt ans pour retrouver son fils… « Cher Egoz, [dit Vera en voix of], je t’écris cette lettre »…

Deuxième partie : Egoz et Cora, sa mère adoptive. En voix off, Egoz, posant une foule de questions — qui est cette mère biologique qu’il découvre ? Pourquoi le silence autour du vol et de l’adoption, le mensonge à propos de sa mort ? —, et pourquoi ce temps long de recherche se demande-t-il en partant au Portugal pour la rencontrer ?
Cora a également reçu une lettre de Vera et décide de partir aussi pour rejoindre son fils ; elle lui laisse des messages pour expliquer et lui dire sa peur de le perdre : « Moi aussi, ils m’ont trompée, ils m’ont dit que ta mère était morte en couches. L’adoption était “légale”, tout a été fait dans les règles. Je sais que tu vas vers Vera ». Un voyage pour trois personnages, dont deux femmes piégées par un système patriarcal monstrueux et un jeune homme qui, lorsque lui est révélé le drame, exprime son désarroi par une danse extraordinaire et une chorégraphie tourmentée et chaotique.
Dos Madres est un récit traversé par l’un des crimes les plus terribles perpétrés dans l’Espagne moderne, un crime inavoué, dissimulé, pour lequel la justice n’a jamais été rendue. C’est un film engagé et politique pour rendre justice à la mémoire volée de milliers de femmes et d’enfants au nom du profit, de la spoliation de jeunes femmes avec la complicité d’abord des autorités franquistes, religieuses, mais aussi de médecins, de juges… sur fond de dossiers disparus et de tractations d’argent.
Dos Madres met en place un cadre simple, une histoire comme un voyage en plusieurs temps, avec trois personnages, trois voix off, Vera écrit une lettre, Egoz écrit une lettre, Cora écrit une lettre… La rencontre comme une apothéose des trois personnages au Portugal et la vengeance contre la machine de l’État.
Dos Madres est une quête et une enquête sur l’histoire d’un crime, la blessure vive d’un pays, la détermination d’une femme qui n’a jamais accepté de se plier à l’autorité et le récit d’un amour éblouissant et inattendu.
Porté par deux très grandes comédiennes, Lola Dueñas et Ana Torrent, et par Manuel Egozkue, dans le rôle du fils, le film est « un thriller. C’est un film noir, c’est une enquête policière.
C’est un mélodrame », déclare le réalisateur, il faut ajouter à cela que le film entraîne en quelque sorte le public dans un labyrinthe à la fois poétique et tragique.
Dos Madres (Sobre todo de noche) de Victor Iriarte est à voir en salles le 17 juillet.