Chroniques rebelles
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Accumuler du béton, tracer des routes
Une histoire environnementale des grandes infrastructures

de Nelo Magalhaes (la fabrique)

Entretien avec Nelo Magalhaes

Une histoire environnementale des grandes infrastructures, nous voilà en plein dans le sujet : la dépendance au béton. Et pour éveiller l’attention et l’imagination des lecteurs et lectrices, Nelo Magalhaes adjoint à son étude très documentée et très argumentée un avant-propos, inspiré par un roman d’anticipation, La Bétonite, situé dans les années 1990. Scénario troublant lorsque le béton se désagrège en poussière et transmet un virus qui infecte la planète entière… Quelques décennies plus tard, la pandémie du covid et les mesures de confinement, donneront à penser, de même que la menace du réchauffement de l’espace urbain bétonisé : « La grande vertu du livre est de rappeler que le bâti en béton n’est pas un cadre extérieur à la société : c’est le résultat d’une certaine production d’espace. Dans les périodes de reconstruction, les nouveaux rapports sociaux produisent un nouvel espace physique et symbolique. »
Et comme l’accumulation du capital ne connaît pas de limites, la sphère marchande doit évidemment toujours grossir, « le monde concret [doit] s’y soumettre. Le besoin de croissance infinie du capital est incompatible avec la finitude de la planète. L’Anthropocène est logiquement un Capitalocène. » On revient là irrémédiablement à une histoire de profit et d’extension du capitalisme — logique du Capitalocène, il faut employer les mots justes —, autrement dit, dans la réalité et le monde concret, il faut construire des routes pour toucher et impacter le plus de monde possible et ainsi généraliser la consommation. Et cette construction accélérée après la Seconde Guerre mondiale va favoriser « un extractivisme ordinaire, local, majoritairement conduit par des PME et qui fournit la première matière de l’économie. L’argument a une portée générale […] : la bétonisation d’un pays représente nécessairement un extractivisme alluvionnaire intranational. »
Dans la seconde partie, nous aborderons les espaces déchets, comment l’État et les entreprises dissimulent les dégâts pour continuer à tirer des profits, avec, côté résistance, les Soulèvements de la terre, les ZAD, les Gilets jaunes, luttant contre la « volonté de disqualifier et de dissoudre ces mouvements [ce qui] donne un indice de la menace qu’ils représentent pour l’État. »

Accumuler du béton, tracer des routes. Une histoire environnementale des grandes infrastructures de Nelo Magalhaes (éditions la fabrique).
Illustrations musicales : Pierre Desprats, BOF Conan. Les Femmouzes T, Résistantes. The Pogues, Navigators. Frasiak & Jérémi Bossone, Espèce de cons. La rabia, Faudra bien qu’ça change. BOF Neptune Frost. Nino Ferrer, La Maison près de la Fontaine. Travelling avant. Jolie Môme, C’est dans la rue qu’ça se passe.

L’Affaire Vinca Curie
Film de Dragan Bjelogrlic (5 juin 2024)

En pleine guerre froide, où s’opposent deux blocs — l’Ouest et l’Est —, après la Seconde Guerre mondiale, autrement dit les deux grandes puissances, les Etats-Unis et l’URSS, la course aux armements domine et la bombe nucléaire représente l’arme ultime de dissuasion et de défense. Au sein du bloc de l’Est, la Yougoslavie occupe alors une place très particulière, non soumise à la tutelle stalinienne, le pays s’efforce de conserver une manière d’indépendance vis-à-vis des grandes puissances et mène une politique étrangère non-alignée, sans pour autant négliger ses recherches sur l’arme fatale.
L’enjeu du nucléaire est crucial et il n’existe que cinq instituts de recherche dans le monde. Or, des recherches secrètes, et très surveillées, sont poursuivies en Yougoslavie, et lors d’essais en octobre 1958, plusieurs scientifiques sont irradiés et envoyés en France pour des soins, qui ne sont pas forcément curatifs. Un hôpital expérimental les accueille, qui soigne des personnes en stade terminal souffrant de maladies pour lesquelles, il n’existe pas de traitement. « Le professeur Mathé y faisait des recherches sur la guérison des radiations et c’est ainsi que les choses se sont enclenchées. Mathé a décidé de faire les transplantations sur les patient∙es, car il n’y avait plus rien à perdre. »
L’Affaire Vinca Curie s’inspire de faits réels : «  Je me souviens de cet événement [révèle le réalisateur], je savais qu’il s’était passé quelque chose au centre de Vinča, mais on ne savait pas exactement quoi. Le fait qu’ils aient passé le Rideau de fer pour venir à l’Ouest se faire soigner, que des docteurs aient essayé de les aider, je crois — mais je n’ai pas de preuves — qu’il y a eu une sorte d’arrangement entre deux services secrets, qui ont fait que les informations soient sorties au compte-goutte, de manière superficielle. » Et il ajoute : « Tous les faits et les noms des personnages sont dans le film, mais l’intrigue est de la fiction, les relations entre les personnages et tout ce qu’entourent les faits. Tous mes films, comme la série que j’ai réalisée, sont une combinaison de faits et de fiction. »
Il faut dire qu’à l’époque, l’espionnage bat son plein, qu’il s’agisse de l’espace, des avancées technologiques, industrielles, et plus encore s’agissant du nucléaire. L’accident intervenu au laboratoire de physique nucléaire en Serbie, prend donc un caractère politique très important, en dehors du fait que la vie des cinq chercheurs — une femme et quatre hommes —, semble condamnée. Le professeur responsable de l’équipe détient d’ailleurs un carnet où il a noté les expériences menées sur les composantes de la bombe et ses résultats.
Gardé.es au secret à l’hôpital Curie, dans le service du professeur Georges Mathé, ce dernier tente en dernier recours des greffes de moelle osseuse sur les cinq physicien.nes. Au sein de l’équipe des scientifiques yougoslaves, le doute subsiste, ranimé par le silence du professeur sur l’accident, et même s’amplifie après les promesses de celui-ci : « Ne vous inquiétez pas. Tout va bien se passer. » Ce à quoi, l’un des jeunes rétorque : « Professeur, vous nous avez menti à Belgrade, et ici vous mentez aussi. » Par ambition, le professeur a en effet fait prendre des risques à sa jeune équipe, ses étudiants.
S’affrontent donc des médecins qui cherchent à sauver la vie des condamné.es et un chercheur qui rêve de fabriquer la bombe nucléaire, sans mesurer complètement les conséquences que sa découverte pourrait avoir. Il promet d’ailleurs, s’il survit, de continuer ses expériences, sur le carburant notamment. Des liens s’établissent entre l’équipe des soignants et les malades en sursis, avec des scènes parfois moins tendues, comme celle où tout le monde entonne la chanson de Dalida, Bambino. Quant à la question des donneurs et des donneuses, c’est en effet, comme le souligne le réalisateur « d’un autre calibre moral. »
L’Affaire Vinca Curie est à la fois un thriller psychologique, humaniste, politique, avec en fond nationalisme et climat de méfiance, notamment lors de flash back sur l’accident, où tout le monde soupçonne tout le monde. Et dans l’épilogue de cet affrontement diffus guérir/détruire, il y a cette réaction en chaîne de la vie… et les papillons, un battement d’ailes dans un pays peut avoir des conséquences à l’autre bout de la planète… C’est aussi une réflexion sur la course au nucléaire qui est toujours d’actualité.
L’Affaire Vinca Curie de Dragan Bjelogrlic au cinéma le 5 juin.

Dissidente
Film de Pier Philippe Chevigny (5 juin 2024)

Dans la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice entre le patron et les ouvriers guatémaltèques. Très vite, elle se rend compte des conditions de travail déplorables imposées à cette main d’œuvre, malléable et exploitée sur toute la ligne. Par exemple, ils payent des cotisations syndicales, mais ne bénéficient ni des conseils ni de la défense des syndicats. Tiraillée, Ariane entreprend, à ses risques et périls, une résistance quotidienne pour lutter contre les abus dont les ouvriers sont victimes.
Dans un précédent film, Tala, le réalisateur s’est intéressé aux aides ménagères philippines travaillant dans des familles bourgeoises québécoises, et c’est ainsi qu’il a rencontré la communauté des migrants guatémaltèques, au cœur du film Dissidente.
Le programme des travailleurs.ses temporaires, venant de l’étranger, est un mécanisme du gouvernement fédéral canadien, qui permet aux entreprises d’importer de la main-d’œuvre de différents pays du tiers monde avec lesquels le Canada a des ententes diplomatiques. C’est le cas du Mexique, du Guatemala et des Philippines. Si les Philippines fournissent surtout des femmes qui deviennent aides ménagères, l’Amérique Centrale offre des bras masculins pour travailler dans les champs ou dans les usines de transformation alimentaires.
Dissidente de Pier Philippe Chevigny est en salles mercredi prochain et nous rencontrons le réalisateur la semaine prochaine.

Orlando
Ma biographie politique

Film de Paul B. Preciado (5 juin 2024)

Rencontre avec Naelle Dariya Arabidurant le 45ème festival CINEMED : un film lumineux !
En 1928, Virginia Woolf écrit Orlando, le premier roman dans lequel le personnage principal change de sexe au cours d’une histoire qui se déroule sur plusieurs siècles. « Les habits ne sont qu’un symbole de la réalité enfouie au-dessous. Ce fut un changement intime qui poussa Orlando à choisir des vêtements et un sexe de femme [écrit Virginia Woolf]. Si différents que soient les sexes, pourtant ils se combinent. Tout être humain oscille ainsi d’un pôle à l’autre, et bien souvent, tandis que les habits conservent seuls une apparence mâle ou femelle, au-dessous le sexe caché est le contraire du sexe apparent. »

De ce roman, l’écrivain et activiste transgenre Paul Preciado réalise un film dans lequel 26 personnes trans et non-binaires contemporaines, âgées de 8 à 70 ans, incarnent chacune Orlando. C’est un film d’une extrême originalité et d’une poésie éblouissante qui bringuebale entre le texte de Virginia Woolf et la vision de Paul Preciado qui s’adresse ainsi à l’écrivaine : « Le roman a été écrit avant ma naissance, alors je t’écris après ta mort. » 26 personnes se déclarant Orlando dont l’une d’elles, Naelle Dariya Arabi est venue à Montpellier pour présenter le film…

Orlando, ma biographie politique de Paul Preciado le 5 juin en salles.
Tunnel to Summer
Film de Tomohisa Taguchi (5 juin 2024)

Green House
Film de Lee Solhui (29 mai 2024)

Moon-Jung vit dans une pièce aménagée sous bâche au milieu de nulle part et travaille comme aide-soignante à domicile auprès d’un couple de personnes âgées, l’homme est aveugle et sa femme est atteinte de démence, parfois violente. Moon-Jung vit séparée de son mari, sa mère est hospitalisée et son fils est dans une institution. On ne sait rien des antécédents familiaux, mais tout paraît dramatique. Moon-Jung a besoin de ce travail qu’elle accomplit avec beaucoup de patience et de compassion, malgré le rejet de la vieille femme agressive qui l’accuse de vouloir la tuer. Elle n’a pas d’autre moyen pour gagner son autonomie, trouver un appartement et pouvoir y accueillir son fils… Dès la première scène, on comprend qu’elle mène une lutte quotidienne, elle se gifle elle-même afin de poursuivre le but qu’elle s’est fixé. « Je voulais montrer que chaque journée requiert d’elle une combativité extraordinaire, c’est une question de survie [explique la réalisatrice]. J’ai décidé intentionnellement de ne pas expliquer au public la relation entre Moon-Jung et son mari. Sa raison de vivre est son fils. La scène dans laquelle il lui dit “tu pourras me supporter ? À chaque fois, je te ferai penser à papa” montre que si de nombreuses familles vivent heureuses et en harmonie, la famille peut malgré tout être un espace de violence. Les membres d’une famille peuvent ne pas se côtoyer, se rejeter, se haïr ou vouloir disparaître. »
Green House décrit aussi l’accompagnement de la vieillesse, la dépendance, les maladies — la démence, Alzheimer — l’éloignement de la famille et en cela le sujet devient universel et dépasse largement les frontières de la Corée. Comme le souligne la réalisatrice, « bien que mon traitement de cette question prenne une direction trouble, et même sombre, il était inévitable pour moi, dans ma mise en scène, d’aller jusqu’à cet extrême et d’aborder ce thème de cette manière. »

Le groupe d’expression fait également le constat du mal être dans la société coréenne, la prise de parole de la jeune Soon-Nam en est une illustration et la rencontre entre les deux femmes est déterminante, surtout pour la jeune fille, qui a toujours été rejetée. Les deux destins deviennent alors étroitement liés, ne serait-ce que par la frustration qu’elles ressentent toutes deux dans les relations, qu’elles subissent plutôt qu’elles ne les contrôlent ou même les vivent. « À aucun moment, Moon-Jung n’accorde une réelle importance à Soon-Nam, la compassion dont elle fait preuve est simplement le reflet de sa personnalité. Mais pour Soon-Nam, qui a toujours été rejetée et à qui l’on n’a pas donné de place dans la société, ce peu d’attention va lui suffire pour s’épanouir, et sa relation avec Moon-Jung va entraîner des conséquences importantes dans sa vie. »
La trame du film semble avancer vers une fatalité écrite à l’avance pour les deux femmes, mais il demeure néanmoins une ambiguïté, une possibilité, malgré la fin radicale certes, table rase du passé, qui laisse au public une ouverture, un dénouement double : un nouveau départ ou l’enfermement dans un cul-de-sac.
Green House de Lee Solhui au cinéma depuis le 29 mai 2024.

Tunnel to Summer
Film de Tomohisa Taguchi (5 juin 2024)

Deux ados et un tunnel magique où le temps passe plus lentement qu’au dehors. Selon la légende urbaine, trouver et traverser le mystérieux tunnel d’Urashima offre à celui ou celle qui s’y aventure la réalisation de son vœu le plus cher. Seulement voilà, l’expérience n’est sans risques, puisque quelques secondes à l’intérieur du tunnel se transforment en plusieurs heures dans la vraie vie.

Kaoru, un jeune lycéen, veut tenter l’aventure, car il aimerait tant retrouver sa petite sœur disparue accidentellement, dont il pense avoir une part de responsabilité dans l’accident et en est traumatisé. Peut-être lui parler… De plus, son père est d’un caractère violent. Solitaire, sensible et plutôt secret — il faut bien qu’il se protège ! —, Kaoru fait la connaissance d’une nouvelle venue dans sa classe, Anzu, qui arrive de Tokyo, est très délurée, complètement en décalage avec les autres élèves. Elle dessine des mangas à l’exemple de son grand-père, a beaucoup d’imagination, ne s’en laisse pas conter, désire accompagner son ami dans cette expérience et est prête à découvrir le tunnel mythique pour en vivre les transformations d’espace-temps.
Anzu persuade donc le jeune homme de l’accompagner sans savoir ce qu’elle attend elle-même de l’exploration du tunnel. Et les voilà en route vers une expérience qui, sans aucun doute, participera de leur évolution et de leur relation.

À l’origine, Tunnel To Summer est un light novel, des œuvres assez légères, très en vogue au Japon. Cependant, « ce roman-là a un aspect très littéraire, plus construit et profond. C’est cela qui m’a plu [explique le réalisateur]. Depuis toujours j’avais très envie d’adapter un roman à l’écran ; mais l’animation au Japon ce n’est pas forcément simple et certains projets ne sont pas faciles à mettre en œuvre. »
Les images sont très belles, la découverte du tunnel est prétexte à la création d’images fantastiques, quant au récit, il débouche sur des réflexions à propos des traumatismes, qu’il s’agisse du deuil, de la violence, des différences entre milieu urbain et vie à la campagne. Et bien sûr sur le temps écoulé…
Tunnel to Summer de Tomohisa Taguchi au cinéma le 5 juin.

Tunnel to Summer de Tomohisa Taguchi a été présenté au festival d’Annecy en 2023
et cette année le Festival d’Annecy se déroule du 9 au 15 juin :