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Samedi 6 août 2016
La paix des ménages. Histoire des violences conjugales XIXe-XXe siècle de Victoria Vanneau. Marthe Richard. L’Aventurière des maisons closes de Natacha Henry
Article mis en ligne le 1er août 2016
dernière modification le 5 juin 2016

par CP

La paix des ménages. Histoire des violences conjugales XIXe-XXe siècle

Victoria Vanneau (Anamosa)

Marthe Richard. L’Aventurière des maisons closes

Natacha Henry (Librairie Vuibert)

La paix des ménages. Histoire des violences conjugales XIXe-XXe siècle

Victoria Vanneau (Anamosa)

Après la lecture du livre de Victoria Vanneau, La Paix des ménages. Histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle, on serait tenté de dire que l’on vient de loin en ce qui concerne les droits des femmes durant les deux derniers siècles. Mais presque immédiatement se posent des questions cruciales par rapport à la mobilisation des femmes aujourd’hui pour défendre leurs droits, sur le backlash régressif amorcé dans les années 1980, de même que sur l’évolution des mentalités qui parfois semblent émerger d’un autre âge… Il est vrai que lorsque que l’on aborde la question des violences conjugales, des pratiques de harcèlement, des habitudes soi-disant « naturelles » de domination masculine, on constate que l’on est loin du compte concernant le respect mutuel ou la reconnaissance de l’égalité des droits… Les traditions sont tenaces et imprègnent, qu’on le veuille ou non, les esprits des femmes et des hommes dès la petite enfance.

Autant dire que la vigilance est essentielle et que la lutte est quotidienne vis-à-vis des tendances machistes qui ne disent pas forcément leur nom. Les chiffres officiels des violences contre les femmes sont effrayants. Aujourd’hui, une femme décède tous les trois jours sous les coups de son actuel ou ex-compagnon, environ 223 000 femmes, entre 18 et 75 ans, subissent des violences physiques et/ou sexuelles. Et seules 14 % des victimes vont jusqu’à déposer une plainte, la plupart se taisant pour protéger les enfants ou par peur des représailles. Selon l’association Osez le féminisme, la volonté politique d’agir contre le phénomène des violences est plus que tiède comparée aux moyens de communication et de prévention mis en œuvre pour inverser la courbe des chiffres des victimes d’accidents de la route.

Dans ce contexte, l’étude de Victoria Vanneau, La paix des ménages. Histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle, donne des pistes importantes pour comprendre les origines de non droit au féminin, de sa justification, depuis l’esclavage des femmes et leur dépendance pour justifier leur «  incapacité légale  ». On connaît l’argument : « la femme est l’inférieure de l’homme », et cela de « tout temps » et de « toute éternité » ! D’ailleurs, « tout l’édifice marital tient dans l’inégalité des sexes ».

« La femme a une certaine place dans notre société », qu’elle y reste ! Et à ce sujet, les religions viennent à la rescousse : tant le Pape que certains évêques, de même les Frères musulmans et les Salafistes sont finalement d’accord sur le rôle dévolu aux femmes : à savoir procréer en demeurant à la place subalterne qui leur a été assignée par… des hommes. Il faut attendre le 4 juin 1970 pour que la mention « L’épouse doit respect et obéissance à son mari » soit remplacée par « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille ».

Le recul des droits des femmes dans les sociétés, c’est le recul pour toutes les femmes. Et une société qui ne respecte pas la moitié qui la compose — les femmes — est une société en perdition.

Or, comme le souligne Victoria Vanneau dans son introduction, « la justice, comme toutes les administrations d’État, mène, on le sait, des politiques, ajuste des répertoires d’action, développe des savoir-faire et les met en circulation. »
Donc, dans le cas où le mari, ou bien le compagnon, est autorisé à user de son pouvoir sur la personne de sa femme, il « reste alors à cerner de quel ordre est ce pouvoir.  »

Marthe Richard L’Aventurière des maisons closes Natacha Henry (la librairie Vuibert)

C’est en quelque sorte un roman de gare que l’histoire de Marthe Richard, un récit de vie à surprises et rebondissements, celui d’une femme hors du commun, pour laquelle on a parfois du mal à démêler le vrai du faux, la réalité de l’imaginé, la sincérité de l’opportunisme… Elle est certainement une véritable aventurière dont il n’est guère possible de mettre en doute la détermination.

Marthe Richard a donné son nom à la loi du 13 avril 1946 qui ordonna la fermeture des maisons closes, des lieux où la violence des « clients » était non seulement dissimulée, mais institutionnalisée. À tort ou à raison, elle est considérée comme une pionnière, ayant connu, elle aussi, la prostitution. Et lorsque 70 ans plus tard, une loi est promulguée visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, à accompagner les personnes prostituées, à adopter des moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, afin d’assurer leur protection, leur insertion sociale et professionnelle, on pense évidemment à Marthe Richard et à sa déclaration de 1946 :

« Il ne suffit pas de s’indigner, il faut démasquer l’existence des responsables de cette vague d’immoralité qui nous déborde : une mafia, à la fois capitaliste et internationale ; un grand trust dont on ne parle jamais, qui présente tous les caractères d’un commerce, d’un consortium méthodiquement organisé et même syndiqué. […] C’est par l’amélioration des conditions de la vie sociale des femmes que nous pouvons faire régresser la prostitution. […] Aujourd’hui, nous, les femmes, nous votons. Nous sommes des citoyennes, libérées de toute tutelle ; nous avons notre mot à dire, les temps ont changé… Il est de notre devoir et de notre souci de défendre nos semblables. La femme est un être humain et non une marchandise. » D’ailleurs, il n’existe pas de prostitution choisie et épanouie, c’est toujours une décision de survie, quand ce n’est pas une contrainte par un tiers.

« C’était une drôle de bonne femme. Elle a été aviatrice, espionne, une vraie aventurière » dira la tenancière d’une maison close renommée — le Sphinx —, en prétendant que Marthe Richard a été manipulée dans ce combat de la fin de la collaboration et de la Seconde Guerre mondiale. Les maisons closes étaient des lieux de « repos des guerriers » de la Wehrmacht, des magouilles des collabos, mais « contrairement aux insoumises, aux occasionnelles, aux femmes du quotidien tondues à la Libération et exposées en place publique pour avoir fricoté avec les “Boches”, les soumises bénéficient d’une certaine indulgence au sortir de la guerre. Assimiler ce “métier” à une volonté de collaboration ? Impossible, car une activité professionnelle n’est pas un choix politique.  »

Dans son livre, Natacha Henry retrace sans complaisance le parcours de vie de Marthe Richard, sans épargner les zones d’ombre avec le rappel d’un passé trouble et de ses compromissions. Mariée à plusieurs reprises, lucide sur les relations amoureuses et sur la domination patriarcale, Marthe Richard a su « naviguer » dans des périodes difficiles et construire une légende, la sienne dans un monde d’hommes.

C’est aussi, pour Natacha Henry, une autre manière d’aborder les tabous, les blocages, les non dits autour du système prostitutionnel et la mauvaise foi, notamment politique, qu’il génère. 70 ans et l’on se demande si les mentalités ont évolué sur ce que certain.es appellent encore communément « le plus vieux métier du monde ».

Christophe Betenfeld, arrière petit neveu de Marthe Richard et auteur de la postface de Marthe Richard. L’Aventurière des maisons closes, voit en elle « une femme du XXe siècle qui aura été à l’avant-garde de beaucoup de choses. Une femme émancipée, qui, malgré son enfance miséreuse et un passage à 16 ans par la prostitution, a été aviatrice, espionne ». Une belle image… Mais la légende de l’aventurière est écornée par ses déclarations réactionnaires lorsqu’elle oublie, à la fin de sa vie, ce qui l’animait, une soif de liberté !