Chroniques rebelles
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Samedi 22 octobre 2016
Utopie et réalité. Projet de construction d’un éco-hameau dans les Cévennes. Le client de Asghar Farhadi
Article mis en ligne le 23 octobre 2016
dernière modification le 17 novembre 2016

par CP

Soudorgues. Dans les Cévennes méridionales, sept familles décident de vivre, de travailler et d’habiter autrement. À partir de ce désir, de cette détermination se construit un projet qui, peu à peu, suit son chemin : l’éco-hameau des Cadenèdes qui surplombera la vallée, le castel, la tour de Peyre et est entouré de chemins de randonnée.

Vivre et travailler à Soudorgues, dans une nature sauvegardée. Pour ce faire, les familles ont décidé de participer au projet, en auto construction. Le premier volet du projet a été initié avec la mairie pour la construction de plusieurs ateliers à disposition d’artisans du village.

Il faut dire que la commune de Soudorgues occupe un espace conséquent avec environ 300 habitant.es, parmi lesquel.les l’engagement fait partie du quotidien, par exemple la lutte pour garder l’école, la cantine bio, l’association Terre de Mauripe qui gère une coopérative bio, un four à pain… Bref le rêve en pratiques.

Nous avions évoqué l’année dernière dans les Chroniques rebelles de Radio Libertaire, le projet d’éco-hameau avec Jean-Louis et Wicky, notamment après la construction d’un espace pour des ateliers en pleine nature cévenole, avec des matériaux écologiques. Aujourd’hui, il sera donc question d’habitat groupé participatif — alternative à la maison individuelle —, quels que soient les moyens financiers des futurs habitants et habitantes, de projet partagé, d’auto construction… Le projet comporte huit habitations en deux bâtiments écologiques, un espace commun construit et géré ensemble, de même qu’un potager et une aire de jeux…

Lors d’une réunion de l’association,à la fin de l’été, l’idée a germé de filmer différents témoignages des protagonistes afin de hâter l’obtention d’un prêt pour l’achat du terrain, mais aussi pour informer sur l’initiative. Chacune, chacun s’est donc placé.e devant la caméra de Cédric, en acceptant comme ça, spontanément, de parler du projet, avec les rêves, les questionnements, les doutes aussi, les exigences de personnes décidées à vivre autrement… Elles s’adressent à nous, aux institutions, avec sincérité, critique et même drôlerie.

L’émission est en deux temps, Aymone retrace l’historique du projet d’éco-hameau, puis ce sera la rencontre avec plusieurs membres de l’association impliqué.es activement dans l’avancée du projet de l’éco-hameau des Cadenèdes. Merci à Christelle, Walter, Aymone, Caroline, David, Cédric, Céline et à toutes celles et ceux qui sont impliqué.es dans la réalisation du projet soudorguais.

Et CINÉMA

Ta’ang. Un peuple en exil, film documentaire de Wang Bing.

« Tous ceux qui peuvent marcher partent ». Histoire méconnue d’un exil forcé, celui d’une minorité ethnique birmane piégée par une guerre civile dans la zone frontalière entre la Chine et la Birmanie.

Wang Bing tourne dans l’urgence plusieurs camps de réfugié.es qui se construisent sous l’œil de la caméra, des abris de fortune pour se protéger du vent et de la pluie. Au loin les explosions, le village abandonné à la hâte, et sur le chemin boueux, des femmes, des enfants, des hommes qui fuient parfois avec une partie du troupeau. Une débandade effrénée et tragique dans un total désarroi, le danger rôde et on se sait plus lequel.

Tourné sur le vif, le film témoigne sans artifices de la fuite de cette population ignorée, condamnée par avance. Pendant deux heures trente, les plans se succèdent, comme des rushes, sans qu’ils semblent être montés. La durée permet de s’imprégner des gestes, de la langue, de l’organisation immédiate des femmes, de l’attention portée aux enfants. Nombreuses sont les femmes à être ainsi littéralement jetées sur les routes par la guerre, chassées de leurs maisons, de leurs champs par la violence de conflits dont elles ne comprennent pas les enjeux, dont elles ne disent rien, sinon qu’il faut fuir pour survivre. L’une d’elles a la nausée tant elle est fatiguée de la marche forcée à travers la montagne. Une autre n’arrive plus à dormir, d’ailleurs il n’y a plus de place dans l’abri que l’on réserve aux enfants.

La caméra s’installe au milieu des groupes de réfugié.es, se fait oublier et laisse ainsi deviner les marques profondes d’une guerre subie par la population, pour beaucoup des paysan.nes, des gens simples pour qui la fuite signifie la misère et le déracinement. Dans la dernière séquence, on sent que certain.es vont craquer et retourner au village où ils et elles ont tout abandonné. L’arrachement est trop fort, de plus la fuite ne protège pas non plus du danger.

Un tiers de la population se trouve ainsi forcée à l’exil, abandonnée, sans aide ni secours, avec parfois la rencontre de soldats qui placent des mines dans les chemins et les raccourcis.

« Tous ceux qui peuvent marcher sont partis » ou la terreur de la guerre et de l’exil sur les routes chinoises… mais qu’arrive-t-il aux autres, à ceux et celles qui sont resté.es ?

(Ta’ang. Un peuple en exil de Wang Bing est sur les écrans le 26 octobre 2016)

Le Client, un film de Asghar Farhadi pour lequel il a remporté deux prix au festival de Cannes, le prix du scénario et le prix d’interprétation masculine. Il sort sur les écrans le 9 novembre prochain.

Le Client est un film étonnant dans sa construction cinématographique : théâtre, réalité et cinéma sont dans un même récit qui croise les décors réels et les constructions fictives, les personnages…

« Quel désastre cette ville. » remarque Emad (magnifique Shahab Hosseini) en parlant de l’évolution de Téhéran, en écho au New York des années 1940-50 décrit dans la pièce d’Arthur Miller, Mort d’un commis voyageur et reprise sur scène dans le film. « C’est une pièce très riche, qui offre des niveaux de lecture multiples, [explique Asghar Farhadi]. Sa dimension la plus importante est celle d’une critique sociale d’un épisode de l’histoire états-unienne où la transformation soudaine de la ville a causé la ruine d’une certaine classe sociale. Une catégorie de personnes n’a pas pu s’adapter à cette modernisation rapide et s’est trouvée broyée. À ce titre, la pièce a une très forte résonance avec la situation actuelle de mon pays. Les choses évoluent très vite et ceux qui ne peuvent pas s’adapter à cette course effrénée sont sacrifiés. La critique sociale au cœur de la pièce reste valable en Iran aujourd’hui. »

Deux époques différentes, deux villes vivant une transformation frénétique, similaire. Le couple Emad / Rana à la ville interprète le couple Willy / Linda à la scène. Tous deux font partie de la classe moyenne urbaine travaillant dans le domaine culturel, d’où une ouverture d’esprit et de la tolérance. Pourtant un événement survient qui bouleverse leur vie et met en abîme la relation du couple.

Le film s’ouvre sur l’installation du décor de la pièce, Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller. Le générique se déroule sur la mise en place du décor et les essais lumière…
Fondu au noir sur la réalité. Panique de nuit dans un immeuble qui doit être évacué de toute urgence pour risque d’effondrement en raison d’un chantier tout proche. Les murs se fissurent, les vitres se brisent… Emad tente d’aider les voisins, Rana est hébétée.

D’emblée, le film se situe entre fiction et réalité, jouant de la menace que l’on perçoit dans l’appartement sur scène, ouvert et sans protection, et dans l’appartement de l’immeuble qui s’écroule.

« Comment un être humain peut se transformer en bête ? » demande en cours l’un de ses élèves, « progressivement  » répond Emad. C’est en effet progressivement qu’il va se transformer après l’agression de sa compagne dans un nouvel appartement. Si de l’agression, on ne voit rien, on ressent seulement la tension qui émane de la situation. Le suspens psychologique s’installe par touches subtiles sur fond de contexte social. Retrouver l’agresseur, le client de l’ancienne locataire, devient pour Emad une obsession.

L‘immeuble accidenté anticipe de la relation du couple, le décor tient un rôle important, mais Farhadi choisit une fin à plusieurs niveaux… Ouverte. Au public de choisir un dénouement, si tenté qu’il y en ait un, comme de choisir sa grille de lecture, sociale, morale, politique.

Comme À propos d’Elly, le Client joue sur la tension constante, un thriller social dont Asghar Farhadi est passé maître. Un des plus beaux films de la rentrée.
À voir absolument à partir du 9 novembre.

Entretien avec Asghar Farhadi.