Chroniques rebelles
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Samedi 18 mars 2017
33 révolutions de Canek Sánchez Guevara (éditions Métailié)
Les 29e Rencontres de Toulouse, Cinelatino
Article mis en ligne le 20 mars 2017

par CP

« Il le sait, il n’y a rien de positif à attendre d’aujourd’hui. Dans des jours pareils, la vie lui semble un exercice littéraire en vain, un poème expérimental, un traité de l’inutile et du superflu, et il marche lentement, les yeux rivés au sol, avec l’envie de tomber dans le caniveau et de mourir écrasé par l’habitude ».

33 révolutions de Canek Sánchez Guevara est un livre de poésie urbaine, un roman composé de scénettes courtes qui disent le quotidien des Havanais. Si on veut comprendre Cuba au XXe siècle et aujourd’hui, il faut lire le roman de Canek Sánchez Guevara, 33 révolutions.

Ce titre fait référence aux vieux disques vinyles, ces 33 tours qu’on écoutait au siècle dernier. Dans le roman, ce 33 tours est un disque rayé, pour avoir trop joué, et qui devient le symbole de tout ce qui ne fonctionne pas dans la révolution cubaine, des espoirs déçus désormais enlisés dans le sable brûlant d’une plage, des promesses d’une vie meilleure qui ne se concrétisent jamais, des discours répétitifs des dirigeants et des appels à la mobilisation face à l’ennemi d’en face dont on ne voit jamais le visage : « le pays entier est un disque rayé (tout se répète : chaque jour est la répétition du précédent, chaque semaine, chaque mois, chaque année ; et de répétition en répétition, le son se dégrade jusqu’à n’être plus qu’une vague évocation méconnaissable de l’enregistrement original... »

Canek s’invente un avatar à la peau noire. Fonctionnaire dans un ministère à saveur économique, où il travaille « huit heures aussi interminables que l’été ou la solitude », rond de cuir désespéré et désespérant plongé dans une routine ennuyante sans surprises, sans changements, sans nouveautés, « masochiste narcissique fasciné par sa propre misère existentielle ». Le disque rayé tourne sans cesse, répercutant la rumeur qui se transforme de bouche en bouche, « rendant impossible la distinction entre réalité et imagination ». Comme des milliers d’autres Cubains désillusionnés, il fuira son pays, sur un radeau de fortune. Son sort demeurera incertain.

Canek Sánchez Guevara. Pas facile de vivre avec un tel nom, d’appartenir à une telle lignée de héros révolutionnaires. Sa mère, Hildita, dont la propre mère était mexicaine, est la première fille du guérillero argentin et cubain, Ernesto Che Guevara, et elle a toujours été fidèle à la Révolution cubaine. Son fils, Canek, né sept ans après l’assassinat du Che, a été élevé entre La Havane, Mexico et Barcelone. Ne se sentant guère d’affinités pour les études secondaires – il avait refusé l’école d’officiers fréquentée par les fils des cadres de la Révolution –, il a été guitariste dans un groupe rock cubain avant de se consacrer à une autre forme de rébellion, celle du refus de toute forme d’autorité.

Refus de marcher sur les traces de sa descendance. Refus de militer et de rallier les rangs d’une organisation révolutionnaire cubaine, avec son cadre rigide et sa nécessaire discipline. « J’appartiens à la génération hédoniste, dit-il, et chaque fois qu’on entendait le mot “sacrifice”, on se tirait vite fait. [...] Le plus important, c’était l’amitié, les fêtes, les concerts de rock au Patio de Maria et l’affirmation de notre différence dans un pays où égalitarisme était synonyme d’uniformatisation. »

Très jeune, il s’est défini comme anarchiste, « rebelle par nature », préférant la marge à la culture officielle. Il a donc refusé tout ce que lui proposait son statut de petit-fils du héros argentin, tout en rejetant les étiquettes de droite qu’on lui accolait de son vivant, se maintenant toujours très loin de la dissidence cubano-américaine de Miami.

La nouvelle 33 révolutions, publiée par les éditions Métailié est, et sera, le seul livre de Canek Sánchez Guevara. Celui qui fut également le petit-fils de Che Guevara est mort en janvier 2015 à Mexico des suites d’une opération du cœur.
Daniel Pinòs

Les 29e Rencontres de Toulouse, du 17 au 26 mars, offre 150 films, longs et courts métrages de fiction et des documentaires, issus d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Chili, de Colombie, de Cuba, du Mexique et de la République Dominicaine… Des films qui abordent les domaines sociaux, politiques, mémoriels, intimes… Cette année, c’est la Colombie, avec un focus sur CALIWOOD, qui est à l’honneur.

Reprises : Aquarius de Kleber Mendonça Filho ; El Sicario chambre 164 de Gianfranco Rosi ; Rara de Pepa San Martin ; Poésie sans fin d’Alejandro Jodorowsky ; Neruda de Pablo Larrain ; Zona Franca de Georgi Lazarevski ; ou encore Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plà. Et L’histoire officielle de Luis Puenzo ou Le Sud de Solanas.

À Paris, on peut voir : Citoyen d’honneur de Mariano Cohn et Gastón Duprat (8 mars) ; Mate-Me por favor de Anita Rocha da Silveira (15 mars) ; El Sonador de Adrián Saba ; Jazmin et Toussaint de Claudia Sainte-Luce (29 mars).

Citoyen d’honneur. Le film de Mariano Cohn et Gastón Duprat est dans la veine comique et grinçante des Nouveaux sauvages de Damian Szifron. Il est question d’un lauréat du Prix Nobel de littérature, Daniel Mantovani, qui a quitté l’Argentine longtemps et vit en Europe. Mais il se trouve que les personnages de son œuvre sont inspirés des personnes qu’il a connues dans sa ville natale. En y revenant, il va avoir quelques surprises et nous aussi. Drôle et féroce. (8 mars 2017)

Mate-Me por favor d’Anita Rocha Da Silveira . Un tueur rôde dans une banlieue chic de Rio de Janeiro, une série de meurtres de jeunes filles, la fascination d’une génération paumée… Mate-me por favor (Tue-moi s’il te plaît) : tout un programme. Cinéma de genre et thriller sensuel. (15 mars 2017)

El soñador de Adrián Saba (Pérou/France) (15 mars) Pour échapper à sa vie de petit délinquant, Sebastián rêve. C’est le seul endroit où il peut échapper avec Emilia au monde réel. Mais la frontière entre rêve et réalité devient floue... Un univers onirique.

Jazmin et Toussaint (La Caja vacía) de Claudia Sainte-Luce (Mexique - France, 2016, 1h41) (29 mars) Un film intimiste qui aborde par allusions les événements politiques que Toussaint a traversés. Toussaint vient s’installer chez sa fille Jazmin, qui vit à Mexico et qu’il ne connaît pas vraiment. Il est d’origine haïtienne et a passé sa vie à partir. Toussaint est un inconnu pour Jazmin. Au gré de cette cohabitation forcée, Toussaint recompose le puzzle de son passé sous le regard agacé et sans complaisance de Jazmin.

Wrong Elements de Jonathan Littell (Sortie le 22 mars)

Le film documentaire de Jonathan Littell, Wrong Elements, raconte l’histoire des enfants enlevés en Ouganda par l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), formée en 1989 par Joseph Kony qui se disait guidé par les esprits. Pendant 25 ans, plus de 60.000 enfants ont été enrôlés de force, par la terreur, puis formatés par l’idéologie et la religion du chef. Le Nord de l’Ouganda a vécu sous la terreur à la fois des soldats et des rebelles qui se servaient d’une population disséminée dans les villages.

Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa font partie de ces enfants qui ont été enlevé.es à l’âge de 12-13 ans. Le grand-père de Geofrey a été tué lors de son enlèvement comme nombre d’habitants du village où il habitait. Après des années, il a finalement pu s’échapper des camps dans la brousse et, à son retour à Gulu, il est resté longtemps dans un camp de réhabilitation. Il fallait du temps pour que « l’esprit s’apaise ». Dans le film, il raconte : « La première personne que j’ai tuée, c’était une femme. Tu es obligé. C’était horrible, ils nous forçaient à tuer. » En regardant des photos d’adolescent.es, Nighty réagit : « Ça réveille de mauvais souvenirs. […] Les filles ont beaucoup souffert. Elles étaient distribuées aux vieux et aux chefs. J’ai vu une fille refuser, et être fusillée, sur le champ. »

Des histoires d’enfance volée, de mémoires douloureuses, de cauchemars, de l’impossible oubli des massacres. Ces jeunes sont à la fois des victimes et des bourreaux. De plus, souvent les jeunes filles sont revenues avec des enfants qu’elles élèvent. Toutes et tous ont été témoins d’exactions qui les dépassent, en ont commises aussi, et tentent à présent de se reconstruire, de retrouver une vie normale. Reste à savoir si la société pourra les accepter ?

Dans Wrong elements, le réalisateur filme ces jeunes qui ont accepté de dire ce qu’ils et elles ont vécu, de revoir des endroits qui signifient la traque, les massacres, le danger, les violences extrêmes.

Alors que l’armée ougandaise continue de traquer les derniers rebelles LRA dans la forêt centrafricaine, Joseph Kony, lui, reste introuvable.