Chroniques rebelles
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Samedi 18 février 2017
Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique
Pierre Bance (éditions Noir et rouge)
Article mis en ligne le 19 février 2017
dernière modification le 20 mars 2017

par CP

Voici un certain temps déjà que des auditeur.es posaient des questions sur le Kurdistan et sa population, sur l’oppression qu’elle subissait, mais aussi sur ses luttes. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, qui a vu le partage de l’ancien empire ottoman avec de nouvelles frontières moyen-orientales suite aux accords Sykes-Picot, le peuple kurde est assigné à vivre dans quatre pays constitués à cette époque : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Les persécutions des différents États autoritaires à l’encontre des droits de la population kurde n’a cessé depuis lors, d’où certainement la détermination de la lutte de libération ancrée chez celle-ci.

L’article de Janet Biehl, traduit par Jean-Jacques Gandini pour le n° 37 de la revue Réfractions dont nous avons parlé récemment dans les chroniques rebelles deRadio Libertaire, abordait « le système judiciaire au Rojava », région du Kurdistan située en Syrie. Si les débats et les questionnements se multiplient sur la démocratie — représentative ou directe —, sur la résurgence de mouvements autoritaires, voire fascisants, et sur la mise en place d’une société sans État, les tentatives des Kurdes en Turquie et en Syrie, notamment au Rojava, peuvent fournir des exemples pour la réflexion.

« Dans la presse, chez les militants de gauche ou les politologues, on parle beaucoup des exploits des combattants et combattantes kurdes. Pourquoi réussissent-ils [et elles], là où les autres échouent ? Parce qu’au-delà de la défense de leur identité, une idée nouvelle leur fait espérer un autre futur : le confédéralisme démocratique. Et de cela, on ne parle pas. » Un autre futur pour le Kurdistan. Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique de Pierre Bance paru aux éditions Noir et rouge comble ce manque d’informations.

« Au début des années 2000, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) abandonne le marxisme-léninisme et son ambition de construire un État-nation kurde. Il adopte alors l’idée et la stratégie du confédéralisme démocratique pensé par son leader, Abdullah Öcalan, lui-même fortement influencé par le municipalisme libertaire du philosophe américain Murray Bookchin qui place l’écologie sociale comme moteur de la révolution.

Les organisations de la société civile (associations, syndicats, coopératives, communautés ethniques et religieuses, partis...) se mettent en réseau sans que leur stratégie exclut la conquête de municipalités et l’élection de parlementaires. Le but est de marginaliser l’État et finir par le rendre inutile, tout comme le capitalisme. Le confédéralisme démocratique ne se limite pas au Kurdistan, il a une vocation universelle.

En Turquie, le PKK souhaitait abandonner la lutte armée pour se consacrer à la fédération, déjà bien engagée, des communautés kurdes dans le cadre d’une nouvelle constitution turque. Le processus de paix ayant été rompu en 2015 par le gouvernement turc, une lutte acharnée se poursuit sur les terrains militaire, social et politique.

Au Nord de la Syrie, le Rojava, sous contrôle du Parti de l’union démocratique (PYD), s’organise selon l’autonomie démocratique, phase préalable au confédéralisme démocratique. Un « gouvernement » appelé auto-administration démocratique assure la gestion de la région. Ce pouvoir se dissoudra-t-il dans la société civile confédérée ou maintiendra-t-il un État ? Dit autrement, le fédéralisme libertaire sera-t-il assez fort pour vaincre le fédéralisme politique mis en place et justifié par la conduite d’une guerre incertaine ?

Tout n’est pas parfait au Rojava, l’État n’a pas disparu, la démocratie directe est loin d’être générale, et le fédéralisme libertaire des communes auto-administrées balbutie. Cependant, trouve-t-on ailleurs une telle volonté radicale de changement dans un contexte politique, culturel et militaire si peu propice ? La révolution ne se fait pas en un jour, alors pourquoi douter que les Kurdes parviennent à construire un autre futur d’émancipation ? Leur expérience est un exemple, non un modèle, pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement social.  »

http://orientxxi.info/lu-vu-entendu/le-blues-des-kurdes,1683

Entretien avec Pierre Bance et Frank Mintz (Noir et rouge)

La défiance à l’égard des politicien.nes est aujourd’hui quasi-générale. Certes les masques tombent rapidement ces derniers temps et les « affaires » se multipliant, la défiance se renforce. Cependant, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette défiance n’engendre pas de remise en question de l’État et du capitalisme ni ne suscite de prise de conscience générale sur le fait qu’ils génèrent hiérarchie et privilèges, d’où la domination d’une minorité sur la majorité. Il est vrai que la menace d’absence d’État est constamment brandie par les autorités politiques, médiatiques et autres qui répètent à l’envi que sans le sacro-saint État, c’est le chaos, c’est l’anarchie…

Pourtant l’ordre sans le pouvoir, l’organisation ensemble et sans la domination… Un système sans hiérarchie, donc sans patriarcat, sans caste, ni privilèges et autres injustices, c’est quand même plus logique et pragmatique que l’arrivée d’un chevalier blanc (ou d’une chevalière) nous prenant pour des imbéciles, ou bien d’une avant-garde garantissant la justice et le bien être du peuple ! Il faudrait « distinguer l’ordre de la bureaucratie et voir cette société pour ce qu’elle est : non pas ordonnée mais bureaucratique, non pas tournée vers la pratique, mais obsédée par les symboles hallucinatoires du pouvoir et de la richesse, non pas réelle et rationnelle […], mais fétichiste et paranoïaque. »

Pour en finir avec toutes les dominations, pourquoi ne pas reconsidérer l’idée du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, qui préconisait de « remplacer le capitalisme par une société écologique fondée sur des relations non hiérarchiques, des communautés décentralisées, des technologies écologiques comme l’énergie solaire et l’agriculture biologique, et des industries à l’échelle humaine — bref des formes démocratiques d’établissement, économiquement et structurellement adaptées à l’écosystème où elles se trouvent. » Irréaliste ? Peut-être. Mais attendre que le système se délite de lui-même, quand l’on sait ses capacités à se recycler, et adopter un anticapitalisme qui se borne à critiquer ses dérives et ses aberrations, cela paraît tout aussi irréaliste.

Dans la première partie de son ouvrage, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Pierre Bance revient sur l’œuvre de Murray Bookchin, notamment sur « la théorie du municipalisme libertaire [tombée] aux oubliettes [lorsque] des Kurdes, en Turquie et en Syrie, lui donnèrent une nouvelle actualité. Sous le nom de confédéralisme démocratique, ils tentent [en effet] une expérience concrète d’un municipalisme libertaire adapté par Abdullah Öcalan à une situation géopolitique compliquée. »

Dans ce texte, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, il s’agit ni de rejeter, ni d’adhérer sans restriction à cette tentative, mais plutôt de l’analyser. D’ailleurs, précise Pierre Bance dans le paragraphe intitulé « L’État dans la tête », « les Kurdes ne nous demandent pas de les aider, mais de les accompagner. Considérer leurs idées et leurs réalisations dans un esprit d’ouverture et un soutien critique, c’est un moyen de sortir de la situation décourageante dans laquelle le mouvement social s’enlise, de régénérer la pensée révolutionnaire, de cesser de croire que nous sommes dans l’action et la revendication alors que nous sommes dans la plainte, d’aller chercher ailleurs, non pour projeter notre incapacité sur des mouvements fantasmés, mais pour construire ici. »

Dans l’immédiat, la question n’est pas d’abolir le pouvoir, mais plutôt de définir qui a le pouvoir : une minorité dans sa bulle ou le peuple ? On peut estimer vaine l’expérience émancipatrice menée par la population du Rojava, au Kurdistan, n’empêche que c’est une bonne base pour commencer à remettre en question l’État et le capitalisme que de dire : « la liberté et l’égalité ne peuvent voir le jour sans égalités entre les sexes ».

« Sous l’effet de l’industrialisation culturelle capitaliste, les moyens étatiques de domination [que les Kurdes] dénoncent (nationalisme, sexisme, pouvoir religieux […]) sont confortés au point que “la société consent à sa propre captivité”, mieux, qu’elle finit par considérer les facteurs d’oppression “comme un souffle de liberté”. Si la société résout ses problèmes sans l’État, si elle s’émancipe de sa culture aliénante, elle le marginalise. C’est le projet du confédéralisme démocratique ».

Et si le projet échoue ? Ce n’est pas pour autant qu’il faut se résoudre à l’impuissance.

La Commune n’est pas morte.

Dans Terre de roses, le film documentaire de Zainê Akyol tourné au Kurdistan auprès d’un groupe de femmes comabattantes, on peut entendre ceci :
« La vie commence comment ? Avec la femme. La liberté commence comment ? Avec la femme. L’éducation, la protection culturelle, sociale, politique et du peuple ? Encore avec la femme. C’est la femme qui donne naissance au peuple et à la connaissance. Elle est l’essence de l’existence. C’est une force émotionnelle fondamentale. Elle possède l’intelligence analytique et émotive. Elle est la force morale fondamentale.
Ainsi le système capitaliste, incarnation de l’immoralité absolue, pourquoi se fierait-il aux femmes ? Que dira-t-il donc ? Frapper la femme pour frapper le peuple et l’anéantir.

Que fait le capitalisme ? Il réduit le peuple à néant, il affaiblit son cerveau ainsi que son âme. Il crée des personnes robotiques […]
Si tu te connais, tu sauras ce qu’il faut connaître et apprendre. Tu créeras ta liberté. La connaissance de soi est la base de tous les savoirs. Le mode de vie détruit les quêtes personnelles. Dans ce mode de vie, la liberté est-elle seulement possible ? »

Le film documentaire de Zainê Akyol, Terre de roses, sort le 8 mars.


Violences policières et état d’urgence devenu permanent, l’antiterrorisme a bon dos

Pour mettre le comble au rapport estimant que le viol de Théo relevait de l’accident, le soutien de Marine Le Pen aux policiers, le vote à l’Assemblée nationale d’un permis de tuer aux policiers ou bien la déclaration de ce syncaliste policier, disant que "bamboula, c’est à peu près convenable" , le policier violeur de Théo porte plainte contre sa victime, pour outrage et rébellion.

C’est absolument scandaleux, mais hélas pas étonnant puisque tous ces crimes, toutes ces bavures, ces tortures, viols, humiliations permanentes sont soutenues par l’État. Les flics sont absous et ont tous les droits. Le colonialisme a laissé des traces indélébiles dans la tête des dirigeant.es et de leur police.

Évidemment, le policier violeur déclare n’avoir « aucune idée de la façon dont cette plaie a été faite », en référence à la déchirure de 10 cm causée par la pénétration d’une matraque dans l’anus de Théo, son pantalon ayant soi-disant glissé et la matraque ayant été introduite par accident. Suite, bien entendu, aux « outrages et rébellion » dont Théo est accusé.

Nous sommes sous le coup d’un État d’urgence permanent, et l’agression de Théo s’inscrit dans une longue liste de méfaits, discriminations, violences aggravées, agressions sexuelles, dans les quartiers populaires. Or des policiers condamnés ou démis de leurs fonctions, il y en a très peu pour ne pas parler d’exceptions, alors que du côté des personnes tuées, malmenées, cassées à vie, la liste est longue. Si en terrifiant la population, les dirigeant.es imaginent obtenir la paix sociale… C’est une erreur grave et lourde de conséquences.

Pas de justice Pas de paix !