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Samedi 20 janvier 2018
Enquête au paradis, film de Merzak Allouache. Production et distribution cinématographiques en Algérie. La douleur d’Emmanuel Finkiel. Marie Curie de Marie Noëlle. Concerts d’Ursus Minor.
Article mis en ligne le 19 janvier 2018
dernière modification le 20 janvier 2018

par CP

Enquête au paradis

Film de Merzak Allouache

Entretien avec Merzak Allouache à l’occasion de la présentation de son film au cours du Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, en octobre 2016. Regard sur la production et la distribution cinématographiques en Algérie.

La Douleur d’Emmanuel Finkiel

Marie Curie de Marie Noëlle

Ursus Minor : 15 ans

Enquête au paradis Film de Merzak Allouache

Le nouveau film de Merzak Allouache, Enquête au paradis, est un pavé dans la mare des clichés, de la méconnaissance, de la propagande islamiste, salafiste ou wahhabite. Sous forme d’enquête menée par une journaliste d’investigation — femme célibataire —, le film soulève des questions et des réflexions critiques et essentielles sur la représentation et l’imaginaire actuel dans la religion musulmane, d’une part, et plus largement sur les imageries véhiculées par les religions monothéistes. La mondialisation est en effet passée par là. La marchandisation de la religion, du dogme soi-disant « indépassable » et de ses avatars modulables et fantasmatiques, tourne au délire, engendrant violences et meurtres.

Et le paradis dans tout cela ? Il tient une place prépondérante et active dans la finalité d’une promotion de la soumission et de la mort, un attrape-djihadiste très efficace parmi les jeunes, souvent frustrés émotionnellement et dépourvus de sens critique, face à des sociétés qui ne leur offrent guère de perspectives. La propagande islamiste a bien compris l’intérêt de jouer sur l’enjeu culturel. En effet, l’instrumentalisation des jeunes, soutenue par les milliards de dollars saoudiens, ou d’autres États théocratiques, est en pleine expansion depuis des années. On ne compte pas moins de 120 chaînes télévisuelles islamistes essaimant des prêches effarants, des fatwas ridicules et dangereuses, des images de camps d’entraînement avec démonstrations de tirs et slogans hurlés, quand ce ne sont pas les punitions administrées en public, coups de fouet ou autres, et les exécutions…

C’est d’ailleurs un de ces prêches « allumés  », visionné par la journaliste, Nedjma, et son collègue Mustapha, qui sert de fil conducteur dans cette enquête au paradis, et non pas sur le paradis. Nedjma montre cette vidéo avant de poser la question : quelle est votre idée du paradis ?

L’irrationnel atteint des sommets lorsque la journaliste (interprétée par Salima Abada) réalise un micro trottoir dans lequel certains hommes évoquent les fameuses 72 houris, femmes idéalement belles, et vierges de surcroît, qui les guériraient de leurs frustrations sexuelles terrestres ! Comme le remarque la comédienne Biyouna avec un humour navré : « 72 ! Mais dans la vie, ils galèrent déjà avec une seule ! Aller au paradis pour des vierges, c’est honteux de dire ça. Comment en est-on arrivé là ? » Elle rappelle qu’en 1997, 450 personnes ont été massacrées lors d’une fête à Benthala, hommes, femmes et enfants par les islamistes. Une autre intervenante dans le film affiche la même incrédulité devant les promesses du prédicateur et avoue ne pas comprendre ce regain de religion sectaire, surtout après ce que la population a subi durant la décennie noire. Il est même étonnant que tout le monde ne soit pas ensuite devenu athée.

Pourtant, le constat est que beaucoup de jeunes sont attirés par les prêches diffusés sur le web et à la télévision et que, même si certains sont quelque peu incrédules, les paroles demeurent dans l’inconscient. Les islamistes touchent des points sensibles, la frustration sexuelle, l’ignorance, l’absence de perspectives, alors le discours d’un barbu, littéralement en transe, qui dit les avoir vues ces houris et les décrit comme ayant de longs cheveux noirs, une peau d’albâtre, la taille élancée, des joues, des jambes, des cuisses… Bref, des tops modèles, et en plus elles sont lumineuses ! De quoi fantasmer… Seulement ce n’est pas pour tout de suite et certainement pas dans cette vie, qui finalement ne vaut plus la peine d’être vécue, compte tenu des délices assurés dans l’au-delà. L’idéologie islamiste promet en quelque sorte un bail enchanté post mortem pour l’éternité ! On a le paradis chrétien avec les pauvres exploité.es qui deviennent les élu.es de dieu, il faut rajouter à celui-ci les jardins des délices peuplés d’une horde de houris soumises et lubriques.

Et puisqu’il est question de houris, que deviennent les femmes au paradis ? À vrai dire, elles n’y ont pas vraiment leur place. Du moins l’accueil est bien différent, point d’éphèbes pour les séduire, ni de retrouvailles amoureuses, d’ailleurs les explications sont vaseuses et la plupart des avis divergent… Certains disent qu’elles embellissent, d’autres qu’elles sont vierges, les femmes elles-mêmes ignorent quelle sera leur place au paradis… Bref, comme le remarque Kamel Daoud, la condition des femmes est mauvaise ici-bas et mauvaise également dans l’au-delà ! La condition et le déni des femmes, déclarées responsables de toutes les turpitudes terrestres, ne s’arrangent pas au ciel… Pas de doute, le fantasme patriarcal y trône dans toute sa splendeur ! Il va falloir revendiquer les droits paradisiaques, comme le disent certaines dans le film. Et Kamel Daoud d’ajouter quant à lui : « Ma liberté passe par la liberté de la femme ».

Tourné en noir et blanc pour éviter toute association facile avec un « paradis coloré », le film souligne l’omniprésence de la bigoterie, tandis que les traces du terrorisme islamiste s’effacent. On le voit dans la séquence, sur les lieux où l’écrivain Tahar Djaout a été assassiné par les islamistes en mai 1993, qui rappelle le danger de l’oubli de cette période sombre du terrorisme.

À travers la parole des intervenant.es anonymes, activistes, artistes et intellectuel.les, se dessine une esquisse de la société civile algérienne, multiple, mais aussi ironique, critique et pleine de vitalité. Après Les Terrasses, Harragas et le Repenti, films dans lesquels Merzak Allouache observe les mutations de la société et le retour à la religion, le réalisateur explique : « Si l’on porte son regard au-delà des milieux petits-bourgeois, il existe une Algérie profonde où la vie est très dure. Les gens n’ont rien, en particulier les jeunes qui constituent la majorité de la population. J’ai vu leur “mal être”. Ils n’ont rien à quoi se raccrocher, sinon internet et les chaînes de télévision satellitaires qui ont façonné une jeunesse nouvelle, parlant très peu français et tournée vers le Moyen-Orient. »

Avec Enquête au paradis, Merzak Allouache nous donne à voir la société algérienne d’aujourd’hui. C’est un film absolument remarquable, sur tous les plans, que l’on devrait montrer dans les écoles, qui est un outil simple pour expliquer ce qu’est la manipulation islamiste, salafiste et wahhabite. Cela nous changerait des explications approximatives et des amalgames habituels. Le paradis et l’enfer légitiment aisément le pouvoir religieux qui, comme toujours, prône la résignation, la soumission et l’abandon de toute conscience critique.

Or, en Algérie, faute d’une véritable politique culturelle — absence notable de salles de cinéma, de théâtres, de scènes musicales médiatisées, les jeunes ne disposent que de trois moyens de se divertir et de s’évader : le football, la télévision et internet.

Dans cet entretien, réalisé en octobre dernier, au cours du Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, Merzak Allouache évoque sa filmographie et la production cinématographique algérienne.

La Douleur d’Emmanuel Finkiel

Juin 1944. lLa France est occupée par les nazis et Robert Antelme, écrivain et résistant, est arrêté, puis déporté. Commence alors pour Marguerite Duras, sa compagne elle-même dans la résistance, la recherche d’informations sur sa détention, puis sur le lieu de sa déportation. Elle rencontre ainsi un collaborateur français de la Gestapo, attiré par l’écrivaine, de qui elle espère obtenir des renseignements. Une relation ambiguë s’installe, dont on ne sait plus qui utilise qui, une situation remarquablement rendue par l’interprétation de Mélanie Thierry et Benoît Magimel.

Intervient alors la Libération et le retour des prisonniers des camps de concentration dont, officiellement, on ne veut pas vraiment parler. Marguerite Duras vit alors une attente insupportable dans un désordre douloureux des sentiments et de la pensée. Le film est une adaptation profonde et délicate du texte autobiographique de Marguerite Duras.

Très beau film sur les écrans le 24 janvier.

Marie Curie de Marie Noëlle

Première femme à obtenir le prix Nobel, première femme docteure en physique, la première aussi a être professeure à la Sorbonne, Marie Curie a cependant dû combattre le milieu phallocrate de la science et les préjugés pour que son travail soit reconnu. Elle travaille d’abord en équipe avec son mari, Pierre Curie, mais à la mort accidentelle de celui-ci, elle est soudain reléguée au rôle de la veuve d’un génie. Elle poursuit cependant sa carrière et élève seule ses deux filles.

En 1910, la presse française transforme sa liaison avec Paul Langevin, chercheur proche d’Albert Einstein, en un énorme scandale et réduit la chercheuse à une banale femme “adultère”, bien que Marie Curie soit veuve depuis cinq ans. La presse s’emballe, haineuse, et la condamne parce que c’est une femme, et qu’il est plus facile de l’attaquer sur le plan des mœurs que sur celui de la légitimité scientifique. Marie Noëlle réalise un portrait de femme libre, passionnée par ses recherches, enthousiaste et déterminée, confrontée au sexisme d’une société patriarcale.

Natacha Henry nous a fait découvrir les Sœurs savantes. Marie Curie et Bronia Dluska, dans son livre paru en 2015, et avec son film, Marie Noëlle réussit à retracer un moment crucial de l’itinéraire de Marie Curie, interprétée avec conviction par Karolina Gruszka.

À voir le 24 janvier.

Ursus Minor : 15 ans

Avec Christelle