Chroniques rebelles
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Samedi 3 mars 2018
La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher. Féminin plurielles de Sébastien Bailly. Trait de vie de Sophie Arlot et Fabien Rabin. L’ordre des choses d’Andrea Segre. Fragments de vie d’une femme rebelle, Andrée Michel
Article mis en ligne le 6 mars 2018

par CP

La Nuit a dévoré le monde

Dominique Rocher (7 mars 2018)

Entretien avec le réalisateur.

Trait de vie

Sophie Arlot et Fabien Rabin (28 février 2018)

L’ordre des choses

Andrea Segre (7 mars 2018)

Il Figlio, Manuel

Dario Albertini (7 mars 2018)

En deuxième partie de l’émission, rencontre avec Sébastien Bailly pour son film : Féminin Plurielles

Féminin plurielles de Sébastien Bailly (7 mars 2018)

Nous parlerons également du projet de rétrospective à propos de l’œuvre d’Andrée Michel : Fragments de vie d’une femme rebelle

La fête est finie

Marie Garel-Weiss (28 février 2018)

Trait de vie

Sophie Arlot et Fabien Rabin (28 février 2018)

Le salon de l’agriculture, rendez-vous des politiques et de l’industrie agro-alimentaire, c’est jusqu’à demain… Mais, dans cette foire organisée, qu’en est-il des alternatives ? Des idées qui ne seraient pas estampillées «  progrès », compétition et profit ? Bref, des initiatives pour mieux vivre et respecter la terre, les animaux, et donc les humains.
En plein salon de l’agriculture sort un film, Trait de vie de Sophie Arlot et Fabien Rabin, qui justement imagine une autre agriculture, une manière différente de vivre de la terre. C’est l’expérience de maraîcher.es, de débardeurs, de céréalier.es qui voient la vie de paysans et de paysannes autrement, qui travaillent avec des animaux de trait, et le film, Trait de vie, leur donne la parole.

Une utopie ? Mais nous sommes sur Radio Libertaire et c’est une qualité d’y croire à l’utopie. Elles et ils refusent de vivre soumis aux règles du soi-disant progrès et du crédit aliénant des banques, alors peut-on qualifier pour autant cette décision de régression ? Ces pratiques sont bien au contraire ancrées dans une vision à long terme, dans l’idée de préserver une nature malmenée et des métiers dévalorisés qui, peu à peu, disparaissent.

« Quand on s’installe en tant que paysans, c’est une façon de vivre, un art de vivre et, du coup, forcément ça touche à plein de choses : […] faire un maraîchage qui nous permette d’avoir un petit peu de revenus pour réaliser ce qu’on a envie de faire à côté. Pour nous, dire ça, c’est faire une petite ferme autonome. […] ce qu’on fait, c’est dur, mais au moins, ça ressemble à notre petit idéal. » Dans Trait de vie, le témoignage de Martial illustre la détermination des protagonistes du film. Martial a fait des études d’agronomie et met en pratique ses connaissances sur le terrain avec sa compagne Amandine, aidé.es par l’âne Chouchou. Un vrai numéro celui-là.

Sophie Arlot et Fabien Rabin ont eu le désir de montrer ces expériences de paysans et de paysannes qui travaillent avec des animaux de trait et il leur a fallu deux années de préparation et de repérages pour réaliser Trait de vie. C’est un film documentaire ambitieux, généreux, qui se démarque des idées reçues sur l’agriculture et la manière de vivre de la terre. Manu « forme une équipe » avec ses chevaux, ses « collègues » comme il dit, sur les chantiers pour le transport du bois. « Mettre un animal au travail, c’est reconnaître son intelligence. Une communication s’installe avec le meneur et ils entretiennent des liens réciproques de confiance. » Le retour à la traction animale génère une autre relation avec les animaux que celle habituellement vécue dans la société, « entre “l’animal-peluche” idéalisé par une partie de la société déconnectée de la nature et “l’animal-marchandise” produit par l’industrie agro-alimentaire. »

Préserver la forêt, la terre, c’est la vision de Philippe qui a abandonné l’usage du tracteur et a cherché des réponses pour améliorer le travail des animaux de trait. Réadapter des idées ancestrales et chercher des solutions alternatives, c’est résister à la machine infernale de l’agro-alimentaire.

Réapprendre à cultiver la terre, respecter et aimer les animaux, c’est le but de ces paysans et de ces paysannes qui appliquent sur le terrain leurs convictions écologiques. Le profit, « faire du fric  » n’est pas le but, sinon il faudrait changer de métier remarque Amandine : «  notre travail, y a tellement de valeurs derrière, qui font que notre métier, tous les jours, a du sens. Un projet agricole, c’est un projet de vie, c’est tellement personnel que tous leurs projets d’agriculture, ça ne marche pas. Chaque ferme est différente. » Refuser la rentabilité comme les risques de s’endetter, c’est être hors des normes actuelles et pourtant, c’est regarder l’avenir.

Avec Trait de vie, Sophie Arlot et Fabien Rabin ont utiliser le cinéma comme un langage universel, « où l’on s’attache à comprendre les relations humaines avant de parler des chiffres. Le documentaire a l’oralité en commun avec la paysannerie, un rôle dans la transmission des cultures et des savoir-faire. »

Trait de vie de Sophie Arlot et Fabien Rabin est dans les salles depuis le 28 février.

L’ordre des choses

Andrea Segre (7 mars 2018)

Les États européens ont formé une brigade de policiers spécialisés pour mettre fin aux flux migratoires vers l’Italie notamment, autrement dit livrer les migrant.es à l’arbitraire des groupes représentant les autorités libyennes et les trafiquants. Évidemment contre des « aides » importantes pour aménager des camps de rétention, afin de sauver les apparences des droits humains, mais surtout pour multiplier les bateaux de surveillance qui vont stopper toute embarcation dans les eaux territoriales libyennes. La priorité pour l’Europe étant de fermer le corridor entre la Libye et l’Italie.

C’est donc la mission du commissaire Rinaldi, policier froid et méthodique, chargé de cette transaction avec les Libyens. Durant sa visite, les enchères montent et, entre les rapports tribaux, les intérêts des trafiquants, les conditions de vie des personnes retenues, les trafics d’êtres humains, les morts, il s’avère de plus en plus difficile de sauvegarder les apparences.

Dans l’un des camps, Rinaldi rencontre une jeune somalienne qui le supplie d’avertir sa famille, qui vit en Italie pour l’aider à sortir de cet enfer. Partagé entre sa conscience et la raison d’État, Rinaldi hésite à faire en sorte que cette jeune femme puisse rejoindre sa famille. Est-ce que cela l’obligerait à quitter un poste gratifiant ? Aura-t-il le courage de bousculer l’ordre des choses ?

Dans son film, Andrea Segre souligne par petites touches les différences obscènes entre la vie confortable de Rinaldi — son fils fait des études aux Etats-Unis, la famille vit dans une villa luxueuse… — et les camps surpeuplés en Libye, la violence vécue par les migrant.es. Cela amène à la question cruciale du partage, face à la logique des États.

L’ordre des choses a été tourné avant la découverte dans les médias de l’esclavage forcé des migrant.es et l’on peut dire, encore une fois, que la réalité dépasse la fiction dans l’horreur, le cynisme et l’indifférence face à la question migratoire. Les migrants et les migrantes peuvent souffrir, être liquidé.es, mis en esclavage… Mais, pas chez nous. Il faut donc financer les responsables du sale boulot de l’autre côté de la Méditerranée, sauver les apparences autant que faire se peut et servir des discours pontifiants, voire moralisateurs afin de défendre les privilèges.

L’ordre des choses d’Andrea Segre, grand film politique, sort le 7 mars.

Il Figlio, Manuel

Dario Albertini (7 mars 2018)

Décidément le 7 mars marque la sortie de plusieurs films d’auteur.es très intéressants, notamment un autre film italien, Il Figlio, Manuel de Dario Albertini, qui a obtenu en 2017 l’Antigone d’or au CINEMED, festival international du cinéma méditerranéen. Il Figlio, Manuel fait partie de ces films sociaux sur les jeunes dans la société italienne, comme Fiore de Claudio Giovannesi, sorti en mars 2017, ou encore le très réussi Cœurs purs de Roberto de Paolis, sorti en janvier dernier.

Il Figlio, Manuel de Dario Albertini raconte l’histoire de Manuel qui, à 18 ans, quitte le foyer dans lequel il avait été placé depuis l’incarcération de sa mère. Il vit alors une suite d’errances, de rencontres et tente de prouver qu’il est suffisamment responsable pour que sa mère obtienne l’assignation à résidence. À voir donc le 7 mars.

La Nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher

est adapté du roman de Pit Agarmen, pseudonyme Martin Page, (7 mars 2018)
Entretien avec Dominique Rocher.

Cela commence dans une fête. Sam vient récupérer des K7, sans doute après une rupture avec Fanny. Il est mal à l’aise, se cogne aux autres et entre finalement dans une chambre où il s’endort.

Au matin, il découvre un appartement dévasté, comme après une panique générale, du sang macule les murs et lorsqu’il entrouvre la porte d’entrée, Fanny est devenue zombie et se précipite sur lui. Il n’a que le temps de fermer la porte. La nuit a transformé la population en zombies sans que l’on sache quelle est la cause de cette mutation. Sam semble être le seul à avoir échappé à « l’épidémie », à cette transformation fulgurante des autres et au basculement de l’humanité.

Il se barricade dans l’immeuble et dans un appartement voisin, un homme se suicide. Peu à peu, Sam organise son îlot, isolé du reste de la ville où les zombies sont partout. Il récupère l’eau de pluie sur le toit, des provisions dans les appartements de cet immeuble bourgeois haussmannien, tous différents qui fait ressembler ses déambulations à une étude sociologique, à travers les styles et l’ameublement.

Comme dans le film de Steeve Calvo, Livraison, la question de la normalité est prégnante. Finalement, qui sont les monstres ? Depuis le début du film, Sam incarne la figure du solitaire, mais l’impression de marginalité se renforce dans la situation : « c’est devenu la normalité d’être mort. [se dit-il] C’est moi qui ne suis pas normal  ». C’est peut-être pour cette raison qu’il peut survivre dans une totale solitude. Malgré tout, Sam compte les jours comme le ferait un prisonnier, « le plus dur, c’est de ne pas savoir ce qui est arrivé aux autres », aux proches.

La nuit dévore le monde est un film de genre certes, mais c’est aussi un regard critique sur la société actuelle et les conséquences d’une standardisation outrancière pour s’immerger dans le groupe. On pourrait y voir aussi un phénomène général de « possession », l’allégorie d’une forme de nazification de la société en quelque sorte. D’ailleurs les zombies et leur violence obsessionnelle à se nourrir des survivant.es sont aussi pitoyables que leur absence de futur.

Deux personnages vont cependant surgir dans l’îlot-bunker de Sam, un être dans l’entre-deux humain/zombie, incarné par Denis Lavant, et Sarah, interprétée par Golshifteh Farahani, lumineuse comme à son habitude. Sarah va faire surgir une question cruciale dans l’enfermement protégé et organisé de Sam : peut-on vivre sans les autres ?

La nuit a dévoré le monde, film de genre en plein Paris, est une adaptation du roman de Pit Agarmen.

Féminin plurielles de Sébastien Bailly (7 mars 2018)

Entretien avec Sébastien Bailly

Un récit en forme de triptyque, trois histoires,
Douce,

Où je mets ma pudeur,

Une histoire de France,

dans lesquelles quatre jeunes femmes vont s’affranchir des codes imposés par la société.

Touchantes, fortes, déterminées, drôles, elles bravent les interdits et l’hypocrisie pour s’affirmer. Essais sur la domination et l’émancipation ?

Féminin plurielles est une suite de trois films, trois chapitres en quelque sorte, abordant des sujets sensibles ayant pour trame la volonté d’autonomie de quatre jeunes femmes. Avec cette question : au sein des sociétés cadrées et régies par des codes, des coutumes, des protocoles, est-il possible d’échapper aux estampillages intériorisés depuis l’enfance et s’extraire d’un carcan imposé ? L’indépendance et la liberté de ressenti ou d’expression sont, il est vrai, loin d’aller de soi, comme on le voit dans ces trois histoires, trois court métrages de Sébastien Bailly qui décrivent des situations, des séquences de vie différentes, de même que des parcours variés, avec cependant un trait commun, le désir d’indépendance.

Trois courts métrages, Douce, réalisé en 2011, Où je mets ma pudeur, en 2013, et Une histoire de France, en 2015 ; trois films tournés à des moments différents bien que l’enchaînement se fasse sans rupture de ton, d’où le titre sans doute, Féminin Plurielles.

Les trois films touchent également, sinon à des tabous, à des polémiques virant le plus souvent aux amalgames et à l’interdit. En effet, il est question dans Douce de l’état de coma et de la perception physique ; dans Où je mets ma pudeur de la relation à l’art et à l’écho de la polémique du foulard. Enfin, dans une Histoire de France, il s’agit de la relation charnelle entre deux jeunes femmes, mais aussi du déni d’un moment tragique de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les notables de Tulle ont choisi, avec les nazis, les otages qui seraient pendus. Pourquoi ce tri qui a finalement visé les plus pauvres et les marginaux ? Ces questions sont demeurées sans réponses jusqu’à présent. De quoi évidemment déranger le roman national.

Féminin plurielles, on le voit, génère des réflexions et, peut-être, engage aussi à revoir certaines convictions…

Féminin plurielles de Sébastien Bailly est sur les écrans le 7 mars. [1]

La fête est finie

Marie Garel-Weiss (28 février 2018)

C’est l’histoire d’un combat mené par Sihem et Céleste contre l’addiction. Deux rescapées arrivent le même jour dans un centre de désintoxication. Pas facile d’y vivre, avec les règles strictes et cette violence à l’état brut qui demeure en elles : « c’est l’armée ici  » dit Céleste. Peu à peu, de cette expérience naît une amitié indéfectible, une complicité face à des rêves brisés, mais lorsqu’elles se retrouvent dehors, comment survivre à la rage qui les habite, résister à la tentation et au désespoir ?

La fête est finie est un film bouleversant qui montre l’addiction à la drogue avec une justesse poignante, terrible… Les deux interprètes, Clémence Boisnard (Céleste) et Zita Hanrot (Sihem), sont remarquables de naturel.

La fête est finie de Marie Garel-Weiss est sur les écrans depuis le 28 février.

Andrée Michel et le projet d’un ouvrage Fragments de vie d’une femme rebelle

S’il fallait choisir seulement deux mot pour qualifier l’œuvre d’Andrée Michel, je dirais : féminisme et antimilitarisme. Andrée Michel est une femme qui m’a personnellement beaucoup appris et m’a encouragé à comprendre les enjeux des États liés aux complexes militaro-industriels. Auteure de nombreux ouvrages et de multiples d’articles, traduite dans plusieurs langues, Andrée Michel a toujours été et reste une femme engagée et une militante sans frontières. Elle s’est dernièrement impliquée dans la lutte contre le viol comme arme de guerre en République démocratique du Congo. Deux séminaires ont déjà été organisés autour de ses travaux le 1er mars et en février dernier, l’ouvrage, Fragments de vie d’une femme rebelle, est en préparation.

Son livre Surarmement, pouvoirs et démocratie décode les formules et casse les clichés sur la question des armes. Cette étude des complexes militaro-industriels, parue en 1996, garde toute son actualité, car Andrée Michel tente, au-delà de la dénonciation des États et du commerce des armes, une analyse des origines du phénomène de la guerre présentée comme le seul règlement possible des conflits, et ses conséquences dramatiques au plan mondial. Se pose alors la question : devons-nous nous soumettre au paradigme « qui assimile la résolution des conflits à la guerre et à la violence » ? C’est une réflexion à mener à la lumière des événements internationaux et du climat actuel de terrorisme, entretenu savamment, comme Andrée Michel le souligne, pour « plonger chaque individu dans une peur qui l’isole des autres et le rend encore plus dépendant de l’État, et de lui seul. »

Dans Surarmement, pouvoirs et démocratie, elle démontre la permanence entretenue d’une cinquantaine de conflits dans le monde — il faut bien écouler la marchandise… Et le marché des armes est de plus en plus fructueux, la France par exemple vend un tiers de sa production du matériel guerrier à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe, le gouvernement français est donc responsable, aujourd’hui, de la mort de civils, notamment au Yémen. « Après avoir été attribuées à l’ordre divin, la soumission de la société à la guerre et à la violence comme seul mode de solution des conflits et la soumission des femmes aux hommes comme seul mode de rapports entre les sexes furent présentées comme le résultat d’une fatalité et d’un déterminisme biologique, présidant à la nature humaine.

Plus que jamais engagée contre la militarisation du monde et les violences, Andrée Michel constate et met en garde : « La planète est une poudrière. Elle est au bord de la faillite et de la mort. Il faut que les jeunes générations s’investissent dans la recherche sur la militarisation et sur la paix et rompent totalement avec la real politique et la raison d’État, lesquelles sont fondées sur la violence des intérêts égoïstes de la nation Encore récemment, on voit que la guerre est choisie comme manière de résoudre les conflits alors que l’on aurait pu […], par exemple, commencer par bloquer l’argent des terroristes. […] Les jeunes doivent prendre conscience qu’il n’y a pas d’autres solutions que de sortir de cette sur-militarisation qui pollue la planète. Il faut prendre une indépendance par rapport à la classe politique qui ne cherche finalement qu’une chose : garder et reproduire le pouvoir.  »

Fragments de vie d’une femme rebelle, une rétrospective de l’œuvre d’Andrée Michel. À paraître…