Chroniques rebelles
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Samedi 26 mai 2018
Jacques Roux, le curé rouge de Walter Markov. Voyage en outre-gauche Paroles de francs-tireurs des années 68 de Lola Miesseroff. Mai 68, la belle ouvrage. Film de Jean-Luc Magneron. Reprise. Film d’Hervé Leroux
Article mis en ligne le 29 mai 2018

par CP

Plusieurs regards sur les révoltes et les révolutions…

Jacques Roux, le curé rouge
Walter Markov
Traduction de Stéphanie Roza (Libertalia)
avec un appareil critique Jean-Numa Ducange et Claude Guillon

Et

Voyage en outre-gauche
Paroles de francs-tireurs des années 68

Lola Miesseroff (Libertalia)
En compagnie de l’auteure et de Claude Guillon

CINÉMA

Mai 68, la belle ouvrage de Jean-Luc Magneron

Reprise d’Hervé Leroux

Sans doute est-il nécessaire d’emprunter, de passer par plusieurs regards, plusieurs réflexions sur les révoltes, les soulèvements, les révolutions, sur Mai 68, pour déceler le lien entre l’émergence de mouvements radicaux, l’action politique pour la construction d’une société anticapitaliste et l’importance de l’autonomie des individus pour lutter contre la domination de quelque nature qu’elle soit.

En cela, le livre de Charles Reeve, le Socialisme sauvage. Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours (publié par l’échappée), a certainement une part d’influence pour la conduite de cette émission. En effet, pourquoi se limiter à la période de 1968 pour s’interroger sur les courants contestataires, les mouvements subversifs, les luttes révolutionnaires, leurs tentatives et même leur échec, si tenté que l’on considère ainsi l’inaboutissement immédiat des revendications et des espoirs soulevés. Donc revenir à la Révolution française, avec les Enragés et Jacques Roux, est une manière intéressante de remonter le temps vers une radicalité égalitaire qui a laissé des traces dans l’histoire, malgré la violente répression exercée par la Convention à l’encontre des sans-culottes, qualifiés d’« enragés ».

Outre le fait que les ouvrages dont il est question aujourd’hui — Jacques Roux, le curé rouge de Walter Markov et Voyage en outre-gauche de Lola Miesseroff — sont publiés aux éditions Libertalia, tous deux relancent des questions essentielles pour le débat actuel. Le livre de Markov, inédit en français, fait découvrir les textes des « damnés de la terre » et les aspirations du peuple révolutionnaire. Le Voyage en outre-gauche de Lola Miesseroff nous entraîne, à la manière d’un micro-trottoir, dans une suite de rencontres, de commentaires, reflètant la multiplicité des idées et la richesse d’un moment insurrectionnel. Un autre point intéressant est celui du rappel des luttes de la génération de l’après-seconde Guerre mondiale, de la prise de conscience et de la politisation de toute une jeunesse, étudiante et ouvrière, à l’écoute des événements nationaux et internationaux.

Dans un moment où les publications commémoratives sur Mai 1968 sont certes nombreuses, mais semblent le plus souvent éviter, sinon nier le désir exprimé par toute une frange de la population de « s’affronter au pouvoir d’État », on ne peut que rappeler ce qu’écrivait alors Claude Lefort : « “De la révolte étudiante, on a dit et répété qu’elle avait servi de détonateur. C’est une manière d’en éluder le sens, de se débarrasser de ce qui est à penser comme le plus étrange et le plus neuf de la situation, un moyen de rétablir le schéma classique de la lutte des classes, de se laisser capter par les péripéties de la partie engagée entre les syndicats et le patronat ou l’État.  »

Avec Voyage en outre-gauche, l’auteure propose un journal des impressions, des critiques, des idées, revenant sur la formation politique et le Scandale de Strasbourg, qui a précédé Mai 68 ; le livre est une sorte d’enquête chorale et personnelle, retraçant des itinéraires anonymes, mais très proches, dans un va-et-vient entre passé, présent et… et après ! « La question de la révolution reste d’actualité et […] la lutte de classes est la seule façon d’éviter que la faillite du capitalisme soit la destruction de l’humanité. »

CINÉMA

Mai 68, la belle ouvrage de Jean-Luc Magneron

Reprise d’Hervé Leroux

Deux films sur mai et juin 1968 qui portent une réflexion toujours actuelle sur les violences d’État et sur les pratiques de trahison du mouvement social. De Gaulle et les autorités qualifiaient de « pègre » les manifestant.es en les accusant à l’époque de vandalisme — on connaît l’antienne — pour justifier le retour à l’ordre et minimiser la barbarie des différents corps de police.

Document essentiel tourné à chaud, Mai 68, la belle ouvrage (sortie nationale en copie restaurée le 25 avril 2018) montre le décalage entre le discours officiel et la réalité sur le terrain. Véritable réquisitoire contre les violences policières, le film alterne les scènes d’affrontements, les combats de rue, les interventions des centres de secours, les transmissions entre forces de l’ordre, les témoignages percutants, en plan fixe, de blessés, de médecins, de journalistes, d’anonymes : « ce qui était très fort, c’était la peur de ces policiers et la haine en même temps ». D’autres intervenants soulignent le défoulement des forces de l’ordre, le matraquage systématique des manifestant.es, des passant.es, les incendies de voitures provoqués par les grenades des CRS, l’utilisation de grenades au chlore… « Ça a été vraiment un carnage. Les étudiants ont été pris un par un, matraqués. Il y en avait un, rue Cujas, tombé à terre, une flaque de sang sous lui. Il était inconscient et trois CRS ont continué à lui taper dessus. »

Quant aux cris de CRS SS ! « ce n’est pas tellement faux, car ce n’était que des manifestations de rue et lorsqu’on voit la violence, la sauvagerie, le plaisir qu’ils avaient à frapper des gens, des jeunes, souvent des mineurs, qui n’étaient pas armés, sans aucune défense, c’était de la bestialité à l’état pur et du sadisme »

Mai 68, la belle ouvrage est encensé à la première Quinzaine des réalisateurs en 1969, mais ne sera pas distribué pour autant. Sans doute trop dérangeant pour la précision et la force des témoignages, le film, demeuré inédit, a certes de quoi rafraîchir la mémoire sur les violences d’État en 1968 (Voir La police hors la loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968 de Maurice Rajsfus, Paris, Le Cherche Midi, 1996).

Mai 68 a été un moment de prise de conscience populaire et les deux films l’évoquent.

Reprise d’Hervé Leroux (sortie nationale en copie restaurée le 30 mai 2018) procède d’une autre démarche que Mai 68, la belle ouvrage, c’est une enquête cinématographique qui démarre grâce à une photo dans une revue cinématographique, puis une séquence tournée en juin 1968 par des étudiants en cinéma de la reprise du travail aux Usines Wonder de Saint Ouen. Le 10 juin 1968, des étudiants en cinéma filment la reprise du travail aux Usines Wonder de Saint Ouen. Une jeune ouvrière en larmes se révolte et crie qu’elle ne rentrera pas : « Non, j’rentrerai pas, j’mettrai plus les pieds dans cett’taule... Vous, rentrez-y, vous allez voir quel bordel que c’est... On est dégueulasses jusqu’à là ! On est toutes noires, hein faut l’voir vous ! »

1997 : le réalisateur Hervé Le Roux part à la recherche de cette femme en rencontrant d’anciens ouvrier.es, militant.es et syndicalistes, en leur donnant la parole. Les années ont passé. L’usine de Saint-Ouen est fermée. « Mais j’arrive pas à oublier le visage, la voix de cette femme. J’ai décidé de la retrouver. Parce qu’elle a eu droit qu’à une prise. Et que je lui en dois une deuxième. » Reprise d’Hervé Le Roux, qui disparu en juillet dernier, est une véritable enquête cinématographique sur un pan enfoui de l’histoire ouvrière.

Deux films dans lesquels il n’est aucunement question de nostalgie, mais d’analyses critiques sur un mouvement social réprimé par la violence étatique et les conséquences des accords de Grenelle vécues comme une trahison par la classe ouvrière.