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Samedi 21 avril 2018
Nobody’s Watching de Julia Solomonoff. Transit de Christian Petzold. Mai 68, la belle ouvrage de Jean-Luc Magneron. Cinq ans de métro. Récit de Fred Alpi
Article mis en ligne le 14 mai 2018

par CP

Transit

Film de Christian Petzold

Mai 68, la belle ouvrage (25 avril 2018)

Film de Jean-Luc Magneron

Mai 68, la belle ouvrage

de Jean-Luc Magneron

(25 avril 2018)

Nobody’s Watching

Film de Julia Solomonoff (25 avril 2018)

Cinq ans de métro

Fred Alpi (Libertalia)

Transit de Christian Petzold

Transit de Christian Petzold est un film extrêmement troublant. Il décrit la situation des réfugié.es juifs et antifascistes qui tentent de fuir devant l’avancée des nazis et espèrent obtenir des visas pour l’Amérique ou le Mexique. Les rafles, les arrestations par les autorités françaises, les suicides, les voyages en clandestinité sont filmés avec âpreté…

À Marseille, zone encore non occupée, une foule attend pour des visas avec l’espoir d’embarquer pour un ailleurs sans retour. Cependant, personne ne veut de ces réfugié.es, on les ignore au mieux, ou on les arrête. Transposer ce moment d’angoisse en suspens et cette chasse aux êtres humains dans la ville de Marseille, non pas dans les années 1940 comme dans le roman d’Anna Seghers, mais aujourd’hui, est un choix du réalisateur. Christian Petzold situe en effet l’action de nos jours, ce qui renforce le récit et fait naturellement le lien avec la situation des réfugié.es, actuellement persécuté.es par les polices.

Vient se greffer sur le récit de la traque une histoire d’amour entre un Allemand, Georg, qui a usurpé l’identité d’un écrivain suicidé, et Marie. La jeune femme est désespérément à la recherche cet homme, qui était son compagnon, sans savoir qu’il a préféré se donner la mort sur le point d’être arrêté par les nazis.

Transit de Christian Petzold sort le 25 avril.

Mai 68, la belle ouvrage

de Jean-Luc Magneron

Le film documentaire diffuse, en prélude, une archive avec le discours officiel de De Gaulle parlant, non pas de « casseurs » comme ce serait le cas aujourd’hui, mais de « pègre » pour désigner les manifestant.es, les « fauteurs de trouble », adeptes du « vandalisme ». Suivent des images tournées au cœur des événements de mai 68, alternées avec des témoignages saisissants sur les violences policières. Mai 68, la belle ouvrage se fait l’écho des paroles recueillies à l’époque auprès de ce ceux et celles, anonymes, qui manifestaient, auprès des blessés, des médecins et des journalistes. Tous et toutes se disent attéré.es par la haine et l’acharnement systématique des forces de l’ordre.

CRS SS ! commente l’un des témoins, « ce n’est pas tellement faux, car ce n’était que des manifestations de rue et lorsqu’on voit la violence, la sauvagerie, le plaisir qu’ils avaient à frapper des gens, des jeunes, souvent des mineurs, qui n’étaient pas armés, sans aucune défense, c’était de la bestialité à l’état pur et du sadisme ». Avec le film de Jean-Luc Magneron, l’histoire officielle est quelque peu « secouée ».

Le film, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1969, a été encensé, mais jamais distribué. C’est donc un film inédit, en copie restaurée, que l’on peut découvrir le 25 avril.

Nobody’s Watching

Film de Julia Solomonoff (25 avril 2018)

Nico est un comédien, connu en Argentine pour avoir joué dans une série, Rivales. Il est venu s’installer à New York pour des raisons professionnelles — espérant un rôle dans une production internationale —, également pour des raisons plus profondes et personnelles. Nico se cherche et c’est donc une double rupture qu’il vit, avec un amour qui le dominait et avec un lieu.

Sylvia Solomonoff tourne la ville de New York comme rarement on la voit, presque d’une manière documentaire et du point de vue du personnage, qui traverse la ville en vélo ou à pied. C’est le regard d’un étranger pour « montrer les quartiers qui portent la marque des différents clivages culturels, sociaux mais aussi esthétiques. » Dans l’attente du fameux rôle, Nico enchaîne les errances et les petits boulots. Il garde le bébé d’une amie, avec lequel il construit une relation. Le temps passe, les saisons se succèdent et le projet de film est sans cesse repoussé.

Nobody’s Watching. Effectivement personne ne regarde, pourtant Nico est sans cesse en représentation, dans le rapport de séduction avec les autres pour être regardé. Les caméras du supermarché sont finalement les seules devant lesquelles il joue, mais sans être vu. Ses essais pour des castings n’aboutissent à rien, il n’est pas connu et ne correspond pas à l’image exotique du latino. Peu à peu, les rapports avec les parents du bébé se détériorent : « ne fais pas subir ton naufrage à mon enfant » lui dit son amie. « La culture états-unienne est très individualiste pour un latino-américain qui a un fonctionnement communautaire. » La ville le rejette et il en fait l’amère expérience.

Le film de Sylvia est sur l’identité, dans une ville, fascinante certes, mais beaucoup plus difficile à vivre qu’il n’y paraît.
Nobody’s Watching de Sylvia Solomonoff sort le 25 avril 2018.

Rencontre avec Julia Solomonoff

Et

Cinq ans de métro

Fred Alpi (Libertalia)

Ou « le récit d’une vie trépidante sous terre, avec une bonne dose d’humour, d’analyse et d’espoir ».

En 1989, Fred Alpi débarque à Paris, sans un sou, en direct de Berlin-Ouest… Juste avant la chute du mur. À Berlin, il était le bassiste du groupe Sprung aus den Wolken (Surgi des nuages). Les Angry Cats sont encore loin. Pour subsister comme on dit, Fred trouve alors un job de grouillot à tout faire dans une boîte de pub. Mais c’est vraiment pas son truc, alors il démissionne avant de péter un câble. Une erreur de casting qu’il faut assumer !

Fred Alpi explique, en exergue, que Cinq ans de métro est un roman, « à caractère autobiographique », inspiré de son expérience de cinq années « passées à chanter dans le métro à Paris. [que] Tout ce qui y est raconté n’est donc pas vrai, ou ne s’est pas passé exactement de la façon dont cela est relaté, ou au même moment. » Et d’ajouter « Tout n’y est toutefois pas faux, loin de là, et certains reflets blafards des néons qui ont éclairé cette époque nous éblouissent encore aujourd’hui. Malgré cela, une belle lumière illumine également le métro, de temps à autre. »

Revenons au récit. Fred a démissionné parce que décidément il n’aime pas l’autorité ni avoir un patron. « La liberté, dit-il, que je revendique depuis l’adolescence n’est plus seulement une illusion romantique à laquelle il faudrait, avec lucidité, renoncer à l’âge adulte, mais au contraire un mode de vie, perfectible certes, que je peux savourer ici et maintenant. Je me sens en paix avec moi-même, conscient que je ne serai jamais heureux dans un travail contraint. »

End of the story ? Fin de l’histoire ? Mais non, justement ça commence. Parce qu’il faut vivre, parce que la musique tient une place importante dans sa vie, parce qu’il aime chanter et que le métro, ça l’attire. On y croise des gens, toutes sortes de personnes, et même parfois on les rencontre, enfin c’est plus rare… Évidemment chanter dans le métro, c’est pas facile, parce qu’il y a un règlement promulgué le 9 décembre 1968, affiché dans les wagons. Et même que l’ordonnance est signée par un certain Maurice Papon. Bon, ça rappelle des souvenirs navrants. Il y a aussi les flics, et les nervis, ceux qui se croient investis d’une mission : chasser tout ce qui n’est pas dans le rang, c’est-à-dire les manchards, les musicos sans badge, les sans-abris, les clodos, enfin tout ce qui, pour eux, fait désordre…

Fred s’y lance quand même dans le métro et passe du rock à la chanson française. Dutronc, Brel, Brassens, Vian, Ferré, Prévert, Piaf… D’ailleurs chaque chapitre du récit est sous le signe d’une chanson, liée aux histoires, aux observations, aux mésaventures, aux sourires, aux blagues, aux découvertes, aux galères aussi… À l’écoute de la vie souterraine.

« Je me sens en phase avec le métro, avec l’odeur des freins sur les roues, ses cahots qui m’obligent à me tenir alternativement comme un surfeur ou un boxeur quand je chante et ses multiples sonorités mécaniques dont l’écho est renvoyé par les parois des tunnels. On entend parfois des grillons, dont le chant semble comme le mien appartenir à un autre lieu lorsqu’il résonne sur le traditionnel carrelage blanc qui couvre la plupart des murs des stations et des couloirs. J’ai pris l’habitude de m’accorder sur le signal de fermeture des portes des wagons, un mi approximatif qui se mêle parfois harmonieusement à certaines mélodies, tel un encouragement. »

Cinq ans de métro est un récit dont on a du mal à interrompre la lecture. Les événements ponctuent le récit, les mouvements sociaux, les disparitions, les anecdotes, les observations, les comportements… On lit le bouquin d’un trait, et on y revient ensuite… Parce que dans le récit, il y a la verve du conteur, et parfois des éclats de rire, par exemple cette phrase lancée par un sans-abri à un type qui lui faisait la morale : « Toutes les religions, c’est qu’une seule et même merde, c’est juste la couleur du papier cul qui change. » Après Cinq ans de métro, on ne prend plus le métro dans le même état d’esprit. On regarde, en panoramique, on s’imprègne des non dits pour imaginer, pour continuer l’histoire. Personnellement, j’aime la musique dans le métro, même s’il y a des ratages, c’est pas grave, c’est des saynètes de la vie et c’est certainement plus drôle et plus créatif que de se faire la tronche, non ?

Paris s’éveille
« Je suis l’dauphin d’la place Dauphine et la place Blanche a mauvaise mine. » Jusque-là, ça va. Mais j’ai l’impression d’avoir oublié tout le reste de la chanson. Ah merde, j’y vais ou j’y vais pas ? Ça fait une demi-heure que je tourne autour des escaliers qui plongent dans la station du métro Châtelet. Février, soleil sur Paris, et une petite dizaine de degrés au-dessus de zéro. Une belle lumière éclaire les façades des immeubles de la place Sainte-Opportune. Une lumière d’hiver, très blanche, très froide, mais j’ai chaud, très chaud. Respiration rapide, saccadée, anxieuse. Ma bouche desséchée semble incapable d’envoyer le moindre souffle vers mes poumons, oppressés par mon estomac en une inextricable torsade. Mes doigts sont paralysés, engourdis, incapables de sortir un son décent de la guitare que je serre fébrilement contre ma poitrine, de la même façon que si je voulais m’y accrocher. Je n’arrive pas à me décider à des- cendre dans le métro. L’impression de me jeter volontairement dans un précipice. En quelques jours, j’ai appris à jouer et chanter deux titres de Jacques Dutronc, plutôt simples, mais je ne les maîtrise pas encore. Surtout le texte, dont je n’arrive plus à me souvenir. Alors j’ai le trac. Un trac pétrifiant, tel je n’en ai jamais ressenti. Je me chante timidement les deux chansons, mais ma voix ne sort pas, prisonnière de mes tripes tétanisées. Et je transpire. Abondamment. Je dégouline de sueur sous le soleil pourtant bien innocent ce mois de février 1991.