Chroniques rebelles
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Samedi 30 juin 2018
Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël de Martin Barzilai (Libertalia). Le socialisme sauvage. Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours. Charles Reeve (L’Échappée)
Article mis en ligne le 28 juin 2018
dernière modification le 31 mai 2018

par CP

Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël

Martin Barzilai (Libertalia)

Et
Le socialisme sauvage. Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours

Charles Reeve (L’Échappée)

Deux entretiens avec les auteurs.

Refuzniks

Dire non à l’armée en Israël
Martin Barzilai (Libertalia)

La militarisation de la société israélienne et ses conséquences sur la population sont profondes et graves. « Depuis la création d’Israël en 1948, on désigne chaque génération de la société juive israélienne selon le nom des guerres, des conflits armés ou des opérations menées par son armée. […] L’armée fait partie intégrante de l’identité intime et collective de chaque Israélien et de chaque Israélienne. » Dans sa préface, Eyal Sivan qualifie même le passage obligé du service militaire de « rituel d’initiation collective » — 3 ans pour les garçons et 2 ans pour les filles.

Dès l’enfance, la pression de l’État s’exerce pour former une jeunesse prête à « défendre » son pays. L’insoumission est tabou. La haine de la population palestinienne occupée est littéralement instillée par une propagande omniprésente. Dès 1948 pourtant, des Israéliens et des Israéliennes se sont rebellé.es contre. Arna Mer Khamis, par exemple : «  j’ai été entraînée par la Haganah dès l’age de 12 ans. [En 1948,] j’ai assisté au début de l’expulsion des Palestinien.nes. J’étais un témoin attentif de toute la tragédie : les corps dans la rue, les milliers de personnes sur les routes, chassées et poussées à l’exil… Alors je me suis insurgée, je faisais partie de l’aile gauche du mouvement qui avait pour slogan : “un pays pour deux peuples”. Je me souviens encore des discussions autour de la décision de tirer ou non sur les populations ». Également l’avocate Léa Tsemel : «  je peux situer ma prise de conscience en 1967. L’occupation m’a fait comprendre la réalité de la situation — l’oppression de la population palestinienne — et m’a fait me poser beaucoup de questions, jusqu’à la conclusion que le sionisme était négatif. J’ai décidé alors de ma future carrière, en cohérence avec mes engagements politiques. » Entrer en dissidence a toujours été lourd de conséquences, refuser l’occupation, c’est être considéré.e comme traître.

Il faut donc du courage pour déclarer son refus de servir dans l’armée israélienne d’occupation. Au début des années 2000, le mouvement des Refuzniks a commencé à faire parler de lui. Radio Libertaire a reçu Matan et Michal, qui ont expliqué leur engagement dans les Anarchistes contre le mur et leur refus de l’armée. Il faut du courage en effet pour s’élever contre les pressions de l’État, malgré les conséquences sociales et parfois le rejet familial. Martin Barzilai laisse une parole libre aux Refuzniks et les photographie.

Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël est un livre important, non seulement pour les témoignages, les itinéraires de prise de conscience, mais également l’ébauche de portrait d’un autre Israël et des problèmes qui l’agitent. Rendre compte de l’occupation et de la détermination des Refuzniks à Dire non à l’armée en Israël soulève bien des réflexions, notamment celle de Udi Segal : « Avant de parler d’une solution : un État, deux États, pas d’État… Il faudrait commencer par arrêter le contrôle israélien en Cisjordanie. » J’ajouterai, de même que lever le blocus de Gaza et cesser l’occupation du Golan.

En compagnie de Martin Barzilai et Matéo du mensuel CQFD.

Le socialisme sauvage Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours

Charles Reeve (L’Échappée)


Qu’est-ce que le socialisme sauvage ? Une expression dévalorisante utilisée par la social-démocratie allemande en 1919 ? « Un mouvement informe et immature » qui n’aboutit à rien sans avant-garde, leaders ou maître à penser ? À l’inverse, on peut considérer le socialisme sauvage comme un moment historique, une opportunité d’autonomie possible, un mouvement spontané où la hiérarchie est rejetée et reléguée comme instrument de la domination.

Aujourd’hui, avec le recul, l’échec du socialisme d’État et l’évolution de certains mouvements « révolutionnaires  » autoritaires font que le socialisme sauvage n’a plus ce caractère « immature » qu’on lui avait attribué et, bien au contraire, présente une voie à expérimenter contre les formes de domination et d’exploitation, une forme de conscience et d’action politique.

Le livre de Charles Reeve, le Socialisme sauvage. Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours, est un ouvrage à la fois dense, ambitieux et structuré. Si bien que l’on peut aisément le consulter sur telle ou telle époque, en y décelant le fil conducteur qui unit l’action politique pour la construction d’une société anticapitaliste, l’importance de l’autonomie des individus contre la domination d’un parti ou d’un quelconque groupe s’autoproclamant d’avant-garde révolutionnaire.
Comme dirait l’autre, nous avons déjà vu le film…

Cette année, il est à parier que de nombreux livres seront publiés sur Mai 1968, entre interprétations diverses, imaginaire et roman national. Sur ce moment, il faut garder en tête, comme le souligne Charles Reeve dans son livre, ce qu’écrivait Claude Lefort : « “De la révolte étudiante, on a dit et répété qu’elle avait servi de détonateur. C’est une manière d’en éluder le sens, de se débarrasser de ce qui est à penser comme le plus étrange et le plus neuf de la situation, un moyen de rétablir le schéma classique de la lutte des classes, de se laisser capter par les péripéties de la partie engagée entre les syndicats et le patronat ou l’État. » Une « façon de gommer les contenus subversifs nouveaux portés par la révolte étudiante » et de nier son désir de « s’affronter au pouvoir d’État ».

Et aujourd’hui, direz-vous : «  Les forces sclérosées du passé dominent encore celles de l’imagination, de la créativité collective. La poésie et la couleur de la subversion de la vie sont toujours étouffées par la grisaille de la soumission aliénée. […] Octavio Paz a écrit dans un texte sur le surréaliste Benjamin Péret : “Seuls sont dignes d’espérance ceux [et celles] qui ont perdu leurs illusions.” » Alors puisque l’ancien projet n’est pas le nôtre et que « le nôtre n’en est qu’à ses balbutiements. Comme disait le slogan des jeunes du mouvement Carré Rouge, au Québec en 2012 : “Nous voici arrivés à ce qui commence !” »