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Samedi 28 juillet 2018
Cinéma français. Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico. 9 doigts Un film de FJ Ossang
Entretiens
Article mis en ligne le 27 juillet 2018
dernière modification le 14 juin 2018

par CP

Retour sur deux films marquants du premier semestre 2018, portés par une créativité fascinante, qui annoncent un nouveau courant du cinéma français dont on ne peut que se réjouir.

Les Garçons sauvages

Un film de Bertrand Mandico (28 février 2018)

9 doigts

Un film de FJ Ossang (21 mars 2018)

Des entretiens avec des réalisateurs qui posent des questions essentielles sur la vision de ce qu’est la fiction, le cinéma et son rôle…

Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico

C’est tout d’abord la surprise en découvrant les Garçons sauvages de Bertrand Mandico… Une surprise fascinée par l’univers onirique du cinéaste où la qualité des images est en parfaite harmonie avec celle du son. Une qualité qui ne joue pas sur la prouesse technique, mais imprègne le propos du film et les impressions ainsi créées. Du surréalisme certainement, du dadaïsme aussi pour la subversion et les allégories iconoclastes. L’humour est acide, halluciné et même hallucinogène…

Voilà que sont blackboulés les clichés, les poncifs attendus sur les genres, et que règne l’ambiguïté relationnelle entre les personnages, le trouble s’entremêlant, évoluant, inversant les valeurs pour mieux égarer et accrocher, à la manière des plantes addictives qui pullulent sur l’île tropicale, une île vivante, spongieuse, avec une flore érotique et luxuriante, des herbes qui attaquent, mordent, fouettent, sucent, ou éjaculent… Une île où va s’opérer la métamorphose.

« Connaissez-vous l’histoire de Tanguy et des garçons sauvages ? » questionne la voix off. C’est l’histoire d’une meute de garçons en rupture de ban et d’un voyage, qui rejoint des films mythiques comme le Chien andalou, l’Âge d’or de Bunuel, la Belle et la bête de Jean Cocteau pour les statues vivantes du procès des garçons… Ou encore certains films de David Lynch, entre autres allusions cinématographiques, et non des moindres, qui jaillissent au détour d’une scène, d’un plan, d’une séquence. Le tout filmé dans un noir et blanc sublime avec des interruptions brusques et inattendues de la couleur.

Des personnages hermaphrodites, Trévor — une entité mi-animale — qui inspire la bande de garçons incontrôlables, érudits et barbares, finalement soumis à des songes « merdeux », après l’ingestion de fruits poilus imposés par un capitaine de légende.

— Vous croyez en dieu ? Demande Séverine, sorcière ou Circé vivant sur l’île.

— Non, répond l’un des garçons. Ça sent l’huitre ici.

— Mais nous sommes sur une huitre et je suis sa perle, rétorque Séverine.

Poésie, sexe, merveilleux, transgression, métamorphose…
Les garçons sauvages fait partie de ces films qui ne donnent pas tout la première fois et gardent une part de mystère, pour le revoir sans doute…
Ce qui est anachronique dans le contexte actuel, comme le dit Bertrand Mandico…

9 doigts de FJ Ossang

9 doigts démarre comme un polar classique, dans un noir et blanc à la manière du Troisième homme de Carol Reed. Un homme fuit dans la nuit, ramasse un paquet de fric, que lui tend un homme, blessé à mort, et tout bascule…

Le film monte en tension et le thriller se teinte d’angoisse et de science fiction. De quoi perdre ses repères de genres et c’est tant mieux ! Poursuivi par une bande de malfrats, qui finalement récupère le magot, Magloire — c’est le nom du fuyard — est séquestré, puis, après un cambriolage raté et la débandade du gang, il est embarqué sur un paquebot avec une cargaison inquiétante. Tout le monde semble ignorer l’exacte destination du bateau et de la caisse, véritable boîte de Pandore, entreposée dans la cale.

Qui est Neuf doigts qui semble tirer les ficelles ? À quoi rime ce voyage sur un cargo qui change de destination, de nom, et que l’on pourrait tout autant nommer Armageddon ? Le Nowhere Land, sorte de nulle part mortifère, paraît inatteignable et pourtant le voyage se poursuit de zones interdites en morts à répétition. Le mystère s’épaissit encore, faisant penser au Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich avec les allusions au Manhattan Project et à la fin du monde.

Tourné en pellicule 35mm, le film de FJ Ossang joue du graphisme des images sublimes, du texte et des dialogues fascinants, de la poésie brute, des genres se mêlant pour mieux perdre le public, des îles à la dérive et d’un bateau-usine déglingué, habité par des personnages issus de l’expressionnisme, des « gueules » dans des éclairages à couper le souffle… Et si, ne rien comprendre au premier degré, c’était la clé du récit ? De quoi se faire piéger par le mystère et la grâce de cet ovni cinématographique.

9 doigts de FJ Ossang est un film hors du temps, hors des codes, un fantasme du réel…