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Samedi 18 août 2018
Le Scandale de Strasbourg Mis à nu par ses célibataires, même. André Bertrand et André Schneider (L’insomniaque)
Article mis en ligne le 23 août 2018
dernière modification le 26 juin 2018

par CP

Le Scandale de Strasbourg Mis à nu par ses célibataires, même

André Bertrand et André Schneider (L’insomniaque)

En compagnie des auteurs, Thierry Vandennieu et Yves Giry

Lectures par Nicolas Mourer et Yves Giry, notamment les extraits De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier.

Suivi de
Voyage en outre-gauche. Paroles de francs-tireurs des années 68

Lola Miesseroff (Libertalia)

Lectures par Nicolas Mourer

De nombreux livres sont publiés sur Mai 1968, diverses interprétations, imaginaires et autres, d’un roman national récupéré, autant dire une « façon de gommer les contenus subversifs nouveaux portés par la révolte étudiante » et de nier son désir de « s’affronter au pouvoir d’État ». Dans ce contexte, l’ouvrage d’André Bertrand et d’André Schneider, le Scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même, porte « un regard rétrospectif » sur « un processus auquel on n’avait prêté aucune attention particulière [ :] un prélude à cette fête révolutionnaire ».

Qu’est-ce que le « scandale de Strasbourg  » ?

En 1966, le milieu étudiant français était particulièrement inerte comparativement aux étudiants états-uniens, japonais ou allemands. Cependant, à Strasbourg, un groupe d’étudiants contestataires, placé sous l’influence des situationnistes et dont les sympathies allaient aux anarchistes, à Max Stirner, à Makhno et à Durruti, mais aussi aux surréalistes et aux dadaïstes, ont œuvré à libérer la vie quotidienne de l’aliénation du travail salarié, afin de «  vivre sans temps morts et jouir sans entraves ».

Tout a commencé le 14 mai 1966, lors d’un conseil administratif de l’AFGES (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg), branche locale de l’UNEF, où six de ces étudiants prosituationnistes, connus pour leurs idées extrémistes, et profitant du total désintéressement des étudiants pour leurs syndicats, se firent élire à la tête de son nouveau bureau. C’est aussi durant l’été 1966, que quelques étudiants, amis des nouveaux élus de l’AFGES sont reçus par les membres parisiens de l’Internationale Situationniste afin de demander des conseils pour « définir au mieux l’activité qui pourrait correspondre à leur bonne volonté subversive ». L’IS leur propose de rédiger et de publier un texte de critique générale du mouvement étudiant et de la société.

La rentrée universitaire à Strasbourg se déroule dans une ambiance qui laisse présager le « scandale ». Les étudiants prosituationnistes commencent, dès octobre 1966, à répandre dans l’Université un climat de contestation. Ainsi au début du mois de novembre, l’affichage d’un tract bande dessiné, Le retour de la colonne Durruti, conçu par André Bertrand, attire l’attention des étudiants et provoque, par la dérision du ton employé, l’amusement ou l’indignation. Le 16 novembre, le périodique de l’AFGES, Nouvelles, sort avec des articles marquant le ton du nouveau bureau : critique du mouvement Provo, article célébrant les dix ans de l’insurrection hongroise, articles sur la remise en cause de la stratégie syndicale de l’UNEF.

Le 22 novembre 1966, les étudiants du bureau de l’AFGES, invités, profitent de la cérémonie d’ouverture solennelle du Palais Universitaire, pour distribuer la brochure : De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. Tous les représentants des autorités de Strasbourg, de l’évêque au préfet, du général au recteur sont présents et reçoivent le pamphlet, distribué le lendemain sur l’ensemble de l’Université.

La brochure s’attaque au milieu universitaire : « Esclave stoïcien, l’étudiant se croit d’autant plus libre que toutes les chaînes de l’autorité le lient. Comme sa nouvelle famille, l’Université, il se prend pour l’être social le plus “autonome” alors qu’il relève directement et conjointement des deux systèmes les plus puissants de l’autorité sociale : la famille et l’État. Il est leur enfant rangé et reconnaissant. Suivant la même logique de l’enfant soumis, il participe à toutes les valeurs et mystifications du système, et les concentre en lui. Ce qui était illusions imposées aux employés devient idéologie intériorisée et véhiculée par la masse des futurs petits cadres. » Cependant, «  l’étudiant est un produit de la société moderne, au même titre que Godard et le Coca-Cola. Son extrême aliénation ne peut être contestée que par la contestation de la société toute entière. » Les professeurs y sont qualifiés de nostalgiques de la vieille université libérale bourgeoise, les modernistes de gauche et l’UNEF qui désirent une réforme structurelle de l’Université pour la réinsérer dans la vie sociale et économique sont assimilés aux tenants de la future « Université cybernétisée » adaptée aux exigences modernes du système d’exploitation capitaliste.

La brochure appelle donc les étudiants à rejoindre la fraction révoltée de la jeunesse pour porter une critique révolutionnaire totale de la société moderne. Le reste de la brochure expose les principales thèses situationnistes comme la critique des mythes révolutionnaires, le projet révolutionnaire prônant le pouvoir absolu aux conseils ouvriers, l’autogestion généralisée, le dépassement de l’économie marchande ; l’abolition du travail pour une activité créatrice libre ; la critique du spectacle ; la critique de la vie quotidienne ; la révolution vécue comme jeu et comme fête.

Les membres du bureau de l’AFGES tiennent une conférence de presse le 23 novembre 1966 devant trois journalistes locaux. André Schneider y annonce que le nouveau bureau a pris le pouvoir afin d’affirmer son mépris du syndicalisme étudiant et réaliser l’objectif de dissoudre l’association. À partir du 25 novembre, la presse se déchaîne contre les agitateurs étudiants de Strasbourg. Les premières réactions de la presse sont de fustiger les membres du bureau de l’AFGES en les qualifiants de provocateurs anarchistes et les assimilant aux situationnistes. Le scandale peut éclater par le biais des journaux. Afin d’éviter toute «  récupération spectaculaire », les membres du bureau de l’AFGES publie alors un communiqué de presse annonçant leur non appartenance à l’Internationale situationniste tout en affirmant se montrer solidaire de ses analyses et perspectives. À l’annonce de la convocation par l’AFGES d’une assemblée générale pour dissoudre l’association, le milieu universitaire réagit dans son ensemble.

Les différentes organisations étudiantes condamnent les actions du bureau de l’AFGES et apportent leur soutien à l’UNEF. Le 30 novembre, les amicales de Droit-Sciences économiques, Pharmacie, Dentaire, Sciences politiques, Médecine, Kinésithérapie, Arts décoratifs, Education physique et sportive, Sciences commerciales convoquent une conférence de presse où elles annoncent leur intention de mener une action juridique contre le bureau de l’AFGES pour les empêcher de dissoudre l’association. Le bureau de l’AFGES riposte en affirmant qu’il ne relève que de l’UNEF et que seuls les adhérents peuvent voter à l’assemblée générale pour dissoudre l’assemblée le 16 décembre. Cependant, les amicales, soutenues par les notables de Strasbourg, portent une demande de référé au tribunal de grande instance le 7 décembre.

Le 13 décembre, le tribunal décide de mettre l’AFGES sous contrôle d’un administrateur judiciaire, d’annuler l’assemblée générale du 16 décembre et de mettre sous séquestre les locaux de l’association. Le bureau de l’AFGES démis de ces fonctions par la justice, fait appel de cette décision, appel que le tribunal rejettera le 13 avril 1967. L’assemblée générale du 16 décembre, réunissant près de quatre cents adhérents de l’UNEF se tient néanmoins. La dissolution n’est pas votée, mais la motion condamnant le bureau de l’AFGES est rejetée. En effet, de nombreux militants locaux de l’UNEF soutiennent les actes du bureau de l’AFGES D’ailleurs, au lendemain du 22 novembre, ils reçoivent de nombreuses lettres de soutien provenant d’étudiants de province qui se montrent solidaires des thèses de La misère en milieu étudiant.

Le bureau national de l’UNEF, ne pouvant remettre en cause l’élection du bureau, doit accepter une délégation du bureau de l’AFGES qui participe à l’assemblée générale de l’UNEF qui se tient à Paris le 14 janvier 1967. Les strasbourgeois y déposent une motion proposant la dissolution du syndicat « considérant que la prétention avant-gardiste de l’UNEF est démentie à tout moment par ses mots d’ordre et sa pratique sous réformistes et considérant que le syndicalisme étudiant est une pure et simple imposture et qu’il est urgent d’y mettre fin. » Cette motion est bien évidemment repoussée, mais elle entraîne malgré tout l’adhésion de nombreux étudiants. Les idées situationnistes commencent à pénétrer l’ensemble du milieu étudiant de France et la brochure De la misère en milieu étudiant fait l’objet d’une seconde édition, tirée à 10 000 exemplaires. Les strasbourgeois ont ainsi déclenché l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres dans le mouvement étudiant français.

Les menées des étudiants prosituationnistes continuent d’agiter le milieu universitaire de Strasbourg avec une véritable guerre des affiches entre les étudiants et les autorités de l’Université. Cependant, des dissensions internes apparaissent entre les étudiants protagonistes du scandale de Strasbourg, qui s’achève donc ainsi en avril 1967 dans des affrontements rhétoriques entre partisans de l’IS et partisans prosituationnistes anti IS Néanmoins, les événements de Strasbourg, même s’ils s’atténuent à la fin du mois d’avril 1967, ont réveillé la contestation étudiante dans d’autres universités de France. Ainsi de novembre 1966 à Strasbourg à janvier-mars 1968 à Nanterre, l’agitation étudiante entraîne le mouvement révolutionnaire qui aboutira à Mai 1968 avec le déclenchement de la plus importante grève générale que la France ait connu et qui réintroduira une contestation révolutionnaire généralisée à tous les secteurs de la société.

Thierry Vandennieu

Voyage en outre-gauche. Paroles de francs-tireurs des années 68

Lola Miesseroff (Libertalia)

Avec Voyage en outre-gauche, l’auteure propose un journal des impressions, des critiques, des idées, revenant sur la formation politique et le Scandale de Strasbourg, qui a précédé Mai 68 ; le livre est une sorte d’enquête chorale et personnelle, retraçant des itinéraires anonymes, mais très proches, dans un va-et-vient entre passé, présent et… et après ! « La question de la révolution reste d’actualité et […] la lutte de classes est la seule façon d’éviter que la faillite du capitalisme soit la destruction de l’humanité. »