Chroniques rebelles
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Samedi 2 février 2019
Cinéma. Pearl d’Elsa Amiel. Un Coup de maître de Gaston Duprat. La favorite de Yourghos Lanthimos. Tout ce qu’il me reste de la révolution de Judith Davis. Une Intime conviction d’Antoine Raimbault. Les Recrues (La Commare Secca) de Bernardo Bertolucci. Sorties DVD. Rencontres documentaires à Montpellier.
Article mis en ligne le 4 février 2019

par CP

Pearl d’Elsa Amiel (30 janvier 2019)

Un Coup de maître de Gaston Duprat (6 février 2019)

La favorite de Yourghos Lanthimos (6 février 2019)

Tout ce qu’il me reste de la révolution de Judith Davis (6 février 2019)

Une Intime conviction d’Antoine Raimbault (6 février 2019)

Les Recrues (La Commare Secca).1er film de Bernardo Bertolucci (copie restaurée - 13 février 2019)

Sorties DVD

Rencontres documentaires au féminin les 7, 8, 10 février 2019 à Montpellier (Médiathèque Fellini).

Pearl
Film d’Elsa Amiel (30 janvier 2019)

« Avec le bodybuilding, je tombais dans un monde d’apparence et d’abnégation, qui m’attirait par ses paradoxes, un monde d’extrêmes, sans cesse confronté à la limite de l’humain, qui provoque attirance et répulsion. Un monde où le corps est roi et qui touche à quelque chose qui nous dépasse. » Par ces mots, Elsa Amiel explique non seulement son attirance pour ce type de performance, mais surtout décrit la dimension originale du film comme la rareté du sujet. L’univers du bodybuilding au féminin n’est en effet guère évoqué au cinéma, même dans les documentaires, ces derniers traitant plutôt du bodybuilding au masculin, comme si l’intérêt des femmes dans ce domaine avait quelque chose de déplacé, une attirance « qui ne se fait pas ». La réalisatrice s’attarde donc sur une matière à la fois « complexe et terriblement cinégénique qui, en plus, [lui] a donné envie de questionner la norme, à travers un personnage féminin, une héroïne de notre époque. »

C’est un point essentiel du film qui, grâce au personnage principal de Pearl, touche au patriarcat exigeant des normes depuis les origines, même si certaines circonstances ont pu générer une lente et modeste évolution. Si l’on parle des origines, on pense évidemment aux amazones refusant la domination masculine. Pearl d’Elsa Amiel brosse justement le portrait d’une femme ayant choisi le bodybuilding pour affirmer son autonomie, et qui se présente à la compétition pour le titre prestigieux de Miss Heaven. Ce faisant, elle est prisonnière de règles strictes pour obtenir le corps d’athlète exigé par la discipline, la contraignant de se plier aux normes qui font d’elle un objet, une sculpture vivante, normes décidées par son entraineur et la participation au concours.

Dès les premières images, la réalisatrice utilise presque uniquement de très gros plans, une sorte de découpage du corps de l’athlète, existant en fonction d’une matérialité propre à la représentation de cette discipline, entrainement poussé à l’extrême, surveillance incessante du poids et observation de règles incontournables. Dans le regard de l’entraineur, l’image du corps fantasmé de Pearl représente pour lui un enjeu pour sa réussite personnelle. Dès les premières séquences du film, on voit pourtant la peau, la sueur, la douleur, le sang et ça n’a rien d’une image fantasmée. D’un autre côté, si l’on comprend peu à peu que Pearl a fui son rôle assigné de femme et de mère, elle a toutefois reconstruit une autre forme de femme-objet, une norme similaire dans le fond, même si celle-ci est différente dans la forme. Là intervient à nouveau la relation normée par la domination masculine.
Tout semble cependant fonctionner dans le couple entraineur et entraînée docile dans le but de remporter la compétition, jusqu’à ce qu’un bug intervienne dans le dernier round avant le concours. L’ex-mari de Pearl débarque avec leur fils, qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans, dans l’hôtel réservé aux athlètes participant au concours…

Le film décrit dans les moindres détails la préparation du corps, les gestes et les pratiques nécessaires au bodybuilding. La démarche de la réalisatrice de mêler ainsi genre documentaire et fiction offre certainement une vision différente du culturisme au féminin et souligne aussi une ambiguïté qu’elle exprime à propos du film : « J’avais envie d’explorer les différentes formes de la féminité, la beauté, l’apparence, la soi-disant faiblesse, la maternité... Et je voulais aussi approfondir la thématique du corps, la question de sa représentation. » Ce qui évidemment pose la question : « Comment vit-on exclusivement par, pour et à travers son corps ? » Ces images de femmes, semblables à des superwomen, provoquent une sensation de malaise en même temps qu’elles fascinent. Son fils lui demande d’ailleurs si elle est aussi forte que Spiderman, « plus » répond-elle, comme si elle voulait par ce mot combler sa longue absence auprès de l’enfant.

L’un des enjeux du film est aussi « d’inscrire une autre image de la femme, loin des diktats et des injonctions habituelles de la société vis-à-vis de la féminité. Comment sort-on de toutes ces injonctions qui […] sont faites tout au long de [la] vie ? » Car les vieux clichés sont présents : les hommes se doivent d’être fort et les femmes d’être jolie. Dans le film, les rôles sont parfois inversés — des hommes pleurent — et Pearl est celle qui fait ses choix.
Pearl d’Elsa Amiel est sorti en salles le 30 janvier.

Un Coup de maître
Film de Gaston Duprat (6 février 2019)

Drôle de type que Renzo, peintre anciennement renommé, mais qui, vieillissant et en perte de vitesse, se retrouve criblé de dettes et descendu par la critique branchée. Il faut dire qu’il ne fait guère d’efforts pour défendre son œuvre et plaire à des acquéreurs potentiels. Certes il peint énormément, mais les toiles s’entassent dans son atelier auprès des chiens perdus qu’il recueille. Son ami Arturo tient une galerie d’art à Buenos Aires et tente de lui faire regagner l’estime du public, il le faut car son pourcentage en dépend. Malheureusement, toutes ses tentatives et ses projets échouent, car décidément Renzo ne joue pas le jeu, c’est le moins qu’on puisse dire.

Il tire au pistolet dans une toile pour créer un happening à sa manière, s’entoure de plastique, se moque ouvertement d’un critique à la mode qui a descendu ses toiles en flèche, ridiculise et insulte tant qu’il peut, enfin il ne manque aucune occasion de provoquer, de susciter des scandales et de transformer les occasions lucratives en flops retentissants. Enzo est parfaitement inattendu, incontrôlable, grossier et capricieux en même temps qu’il affiche un mépris pour l’univers médiatique et mercantile de l’art dont il a vécu et vit encore malgré ses incartades.

Un coup de maître de Gaston Duprat s’attaque avec brio au marché de l’art et au monde qui gravite autour. Comme dans Citoyen d’honneur, qu’il a coréalisé avec Mariano Cohn, Gaston Duprat dirige deux comédiens exceptionnels, Luis Brandoni et Guillermo Francella qui visiblement prennent grand plaisir à jouer cette comédie critique, savoureuse et sulfureuse sur l’imposture du marché artistique et du milieu qui l’anime. C’est trash et sans concessions, à la manière du cinéma comique argentin actuel. Le film est construit autour de deux personnages en totale opposition, le marchand d’art prêt à toutes les compromissions et les magouilles, et l’artiste se moquant d’une clientèle potentielle, et même de lui-même. Lorsque qu’un peintre en herbe lui demande de le former, d’assister à son travail, de jouer le rôle d’exemple, il le décourage, lui soutire de l’argent et en fait son domestique. Tout est à l’avenant dans ce film qui déborde de rebondissements et de scènes mémorables.

Finalement viré de son atelier, dont il ne paye plus le loyer, voici donc Renzo, plus provocateur que jamais, qui n’en démord pas de faire la nique au système et à ce monde régi par le fric et le mauvais goût. Arturo désespère de le voir recouvrer un peu de bon sens et finit par craquer, jusqu’au jour où Renzo est victime d’un accident qui lui fait perdre la mémoire, mais certainement pas son humour. Arturo tente de lui rappeler des souvenirs, s’ensuivent alors des séquences où l’absurde le dispute au pathétique.

Renzo a tout oublié et bientôt disparaît. Qu’à cela ne tienne, Arturo saisit l’opportunité et échafaude un plan osé et florissant — Un coup de maître —, histoire de profiter de la situation et de la scène artistique. Le marché de l’art dans tous ses états manœuvré par un jeu de dupes inventif et ironique.
Le rebondissement final est à la fois drôle et — on peut le dire — pictural jusqu’à la dernière image. Décidément le cinéma argentin et ses cinéastes n’ont pas fini de créer de belles surprises et dans tous les genres.
Un coup de maître de Gaston Duprat est sur les écrans le 6 février.

La favorite
Film de Yourghos Lanthimos (6 février 2019)

L’histoire se déroule au début du XVIIIème siècle, pendant la guerre entre l’Angleterre et la France. À la cour de la reine Anne, on ne se préoccupe de la guerre que pour faire avancer les intérêts de chacun des deux clans opposés, les Whigs et les Tories. Sinon la mode est aux courses de canards, au jeu et à comploter. Trois femmes s’affrontent dans le palais, la reine, sa favorite — Sarah, Duchesse de Marlborough — qui semble tenir les rênes du pouvoir, et une nouvelle venue — Abigail Hill — cousine déclassée de Sarah, que celle-ci prend tout d’abord sous sa protection, pensant s’en faire une alliée. Le réalisateur a peut-être pris quelque liberté avec les faits historiques, mais si peu et qu’importe, pour faire de Sarah une femme forte, maîtresse de ses choix, qu’ils soient politiques ou sexuels, tandis que la reine, qui a mis au monde dix sept enfants, tous décédé.es, se console en remplaçant le manque de progéniture par des lapins. Toutefois si la reine Anne, certes de santé fragile et de caractère instable, lui abandonne souvent les décisions du royaume, le caprice peut changer la donne.

Lorsque Abigail arrive à la cour, elle fait très vite connaissance avec la violence des rapports à tous les niveaux de l’échelle sociale représentée dans le palais, depuis les cuisines jusqu’à l’entourage du trône. Sarah, voulant garder les mains plus libres pour exercer le pouvoir, se sert d’Abigail, mais celle-ci apprend vite à manœuvrer dans les coulisses en jouant la parfaite innocente et, peu à peu, elle la confiance de la reine. C’est en effet pour elle l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques perdues. Sarah préoccupée des enjeux politiques de la guerre, et sans doute trop confiante de son influence sur la reine, ne réalise que tardivement les manigances de sa cousine pour lui faire perdre son aval sur la souveraine. Le pouvoir, aussi illusoire soit-il, est au centre du récit, illustré par l’ambition, la fourberie et la cruauté des deux femmes.

Après Canines et The Lobster, Yourghos Lanthimos réalise une fresque historique grandiose en montrant la déliquescence de la monarchie, symbolisée par la reine Anne — interprétée sans fards par l’étonnante Olivia Colman —, une femme isolée, souffrant de la goutte, s’ennuyant sur son trône qui lui échappe dans la guerre des clans sévissant à la cour, mais qui a tout de même le pouvoir. Aucune ellipse dans cette description de fin de règne où les jeux de dupes et la corruption s’en donnent à cœur joie dans une cour parasite : c’est une satire du pouvoir, où la favorite, campée par Rachel Weisz, a pour un moment tout pouvoir sur la reine, la réconforte dans tous les sens du terme et la manipule pour ses propres intérêts. L’arrivée d’Abigail, interprétée par une Emma Stone feignant à ravir la modestie, va très vite exacerber les ambitions des deux femmes. Le va et vient entre dominantes et dominées est présent durant tout le film, se pratiquant, selon les stratégies, dans tous les domaines, trahison, sexe, poison, humiliations, chantage… Les femmes occupent les coulisses du pouvoir et en tirent les ficelles, quant aux hommes, ils ont, dans ce film, un rôle secondaire, celui de pions.

Yourghos Lanthimos offre dans ce film des images d’une grande beauté, dont l’esthétique n’est pas sans rappeler certains films de Peter Greenaway (Drowning by Numbers [1988] — notamment dans la scène du jeu de massacre avec les pommes —, ou Le Cuisinier, Le voleur, sa femme et son amant [1989], et peut-être plus encore le mordant Meurtre dans un jardin anglais [1982]). Le jeu des comédiennes, dans un trio infernal, est étourdissant, de même celui des comédiens expriment la cruauté, l’humour caustique en même temps que la décadence de la classe dirigeante. Une merveille de film dont le dernier plan est une surprise.
La Favorite est sur les écrans le 6 février.

Tout ce qu’il me reste de la révolution
Film de Judith Davis (6 février 2019)

Entretien avec Judith Davis
Critique, ironique et même en colère vis-à-vis d’une génération qui, à part pour quelques-un.es, n’a finalement pas laissé grand chose aux générations suivantes, après la récupération vitesse grand V du système des idées fortes des années 1960-1970. Quant aux adeptes de l’avant-garde qui pensaient apporter la bonne parole, c’est à présent la mélancolie, la déprime ou l’adaptation, pour ne pas dire le conformisme. On oublie les slogans et les belles idées, on se justifie par la fin des fameuses « trente glorieuses », une expression qui ne veut rien dire et est véhiculée à qui mieux-mieux quand il s’agit de noyer le poisson.

Angèle, personnage créé et interprété par Judith Davis, en fait l’expérience dès la première scène, lorsqu’elle se fait virer de son boulot par des « patrons de gauche » avec pour arguments une langue de bois très tendance : « Au jour d’aujourd’hui (encore une expression stupide !), on ne peut pas se permettre de garder un deuxième salarié. J’suis vraiment désolée ». Ben oui, et ça ne coûte rien d’y ajouter, pour s’excuser et faciliter le sale boulot, avec un fatalisme navré de circonstance : « c’est le monde qui est comme ça ! » On est loin des idées afin de le changer ce monde : c’est l’abandon des valeurs pour cause de pragmatisme et l’individualisme est à la Une.

Tout ce qu’il me reste de la révolution a son origine dans un spectacle de Judith Davis, mais n’en est pas pour autant l’adaptation, non, c’est plutôt un complément, la prolongation en quelque sorte d’un travail collectif : « Nous étions partis de la réalité de cette troupe, constituée de gens de générations et de parcours différents, et un trait s’était tiré entre l’héritage des luttes des années 60-70 et le “que faire ?” d’aujourd’hui. Le spectacle était aussi le résultat d’un méticuleux travail d’enquête pour s’échapper de l’histoire officielle et raconter une histoire plus intime. » Le film démarre donc sur les chapeaux de roue avec une Angèle qui refuse de transiger avec l’individualisme ambiant et rejette toute forme de résignation. La caractéristique du film est à coup sûr, jusqu’à la séquence finale, un rythme soutenu dans les dialogues et les séquences du récit.

La réalisatrice a vécu dans un milieu militant, ce qui sans doute la rendait réticente à « parler de cette époque, de 68 et de son folklore. [Mais, confie-t-elle], Tout s’est libéré quand j’ai compris que je pouvais me saisir de ce ras-le-bol. À tel point qu’après le spectacle, j’ai gardé la sensation de ne pas en avoir fini avec cette histoire ». Ne pas en avoir fini avec cette histoire, c’est aussi ce qui pourrait résumer Tout ce qu’il me reste de la révolution, autrement dit exercer une vigilance critique et entretenir l’idée qu’un changement est nécessaire. À commencer sur la question du travail qui, pour beaucoup, signifie aliénation et précarité : « l’obsession de la rentabilité et le modèle de l’entreprise sont en train de contaminer toutes les sphères de l’activité humaine, même les lieux de culture ou l’hôpital, et [ajoute Judith Davis] notre imaginaire aussi. C’est pour moi l’un des constats politiques les plus alarmants d’aujourd’hui. Le travail est malade et tout le monde en souffre, comme tous mes personnages ».

Angèle représente une nouvelle génération de militant.es, ancrée dans la réalité, lucide, mais certainement pas résignée. Angèle-Judith est déterminée, avec humour, enthousiasme et continue de poser des questions à une société qui marche sur la tête. Et oui : pourquoi ?
Tout ce qu’il me reste de la révolution de Judith Davis est à voir à partir du 6 février .

Une Intime conviction
Film d’Antoine Raimbault (6 février 2019)

Au premier abord, on pourrait penser que le film est un classique du genre judiciaire, ce serait minorer la démarche du réalisateur qui tente de « montrer la justice au plus près. Donner à voir la cour d’assises aujourd’hui. En rendre la complexité et tenter d’en saisir la puissance dramatique. » N’est-ce pas d’ailleurs « un des rôles du cinéma que de donner de la perspective en réinterrogeant le réel » ? De l’affaire, rien n’est inventé. « Faute de preuve, la vérité judiciaire s’est ici essentiellement bâtie sur la rumeur et la calomnie. Qu’il est aisé de façonner un coupable à partir de sentiments et de fantasmes. Parce que la nature a horreur du vide, que justice doit être rendue et qu’il faut un coupable, on ne peut faire autrement que de se forger une intime conviction. On se raconte une vérité qui paraît logique, rationnelle, satisfaisante et définitive. Et peu importe que d’autres doutent, peu importe l’absence de preuve, une fois qu’elle s’est insinuée, la conviction emporte tout. C’est précisément de cette mécanique obscure que le film traite : l’emprise de la conviction sur la raison. »

Et cette « intime conviction », peut tout autant atteindre et brouiller le système judiciaire, influencer les témoins et, en l’occurrence l’enquête et jusqu’à la contre-enquête. C’est cette réflexion qui est au centre du film qui pose des questions sur la pertinence de la justice, sur les certitudes souvent basées sur la rumeur, les rancœurs, l’attitude du ou de la coupable, sur « l’intime conviction » sans qu’il y ait des preuves tangibles à l’encontre de l’accusé.e. En ce sens, le procès de Jacques Vigier, soupçonné du meurtre de son épouse disparue, est exemplaire. Pas de cadavre, pas de mobile apparent, sinon celui avancé par l’amant de Suzanne Vigier, qui a lancé des rumeurs, entraînant avec lui la police, la presse et l’opinion publique.

Antoine Raimbault crée un personnage fictif pour narrer l’histoire d’une personne qui, convaincue de l’innocence de Jacques Vigier, va prendre contact avec un grand avocat pour qu’il assure sa défense lors d’un second procès. Nora incarne tout autant un fantasme de figure justicière, qu’une réflexion introspective sur le danger des certitudes. Elle assiste l’avocat, notamment pour décrypter les écoutes téléphoniques, mais peu à peu elle bascule dans le piège de l’intime conviction et se retrouve également dans la position d’accuser sans preuves réelles.

Si l’on examine l’article 353 du code de procédure pénale, l’intime conviction est un sentiment, une impression qui se transforme en certitude et tient même de la croyance : « La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus [...] Elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont fait sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. » On peut donc en conclure que l’intime conviction est bel et bien de l’ordre de l’irrationnel.

Le film pose de nombreuses questions sur les pratiques de la justice en France, et de ce point de vue, il en souligne les dysfonctionnements au détriment de l’accusé.e. Le seul pare feu qui peut jouer en faveur de la présomption d’innocence, c’est la défense faisant valoir le doute. Mais là encore, c’est très arbitraire et cela dépend de l’avocat.e, du temps accordé à l’étude de l’affaire, etc. Car « sur le fond du dossier, il se passe rarement quelque chose à l’audience, parce que tout est verrouillé par l’instruction qui a déjà trié le bon grain de l’ivraie. L’audience n’est bien souvent que la mise en scène de la vérité policière, qu’on cherche à entériner en vérité judiciaire. »

Une intime conviction d’Antoine Raimbault suscite une réflexion profonde sur la justice, les notions d’innocence et de culpabilité. Mais c’est également un thriller qui tient en haleine pendant tout le déroulement de la contre enquête et du procès et montre que l’intime conviction, dans sa dimension irrationnelle, peut facilement basculer dans l’obsession. Comme le remarque l’avocat Éric Dupond-Moretti, interprété formidablement par Olivier Gourmet, « La justice, c’est cette erreur millénaire qui veut qu’on ait attribué à une administration le nom d’une vertu. » On ne pourrait pas le dire mieux…
Une intime conviction d’Antoine Raimbault est à voir à partir du 6 février.

Les Recrues (La Commare Secca)
1er film de Bernardo Bertolucci (en copie restaurée - 13 février 2019)

C’est le premier film de Bernardo Bertolucci d’après une histoire de Pier Paolo Pasolini dont il a été l’assistant sur le film culte Accatone. Ce premier film, peu connu, sort en copie NB restaurée le 13 février prochain. L’histoire est très simple et n’est pas sans évoquer le climat des films de Pasolini : le corps d’une prostituée est découvert dans un terrain vague, près d’un parc romain. La police enquête et interroge toutes les personnes qui, à un moment ou à un autre, ont aperçu cette femme cette nuit-là et peut-être lui ont parlé. Parmi ces témoins, l’assassin est présent.

Les Recrues construit son récit avec le déroulement de l’enquête et montre la diversité des témoignages et des visions d’une même image, d’un événement similaire regardé d’un angle différent selon les personnes et aussi l’appartenance sociale, leur vécu. C’est là que le film de Bertolucci marque le cinéma de cette époque, la baraque du premier témoin, les constructions de quartiers populaires, les arrangements de chacune des personnes présentes avec la réalité, le rapport à l’institution policière… Une averse revient au moment de chaque témoignage et semble rythmer le récit en même temps qu’elle donne un repère et souligne le côté approximatif du témoignage lui-même.

Le film est un portrait social de l’Italie, de la marge, d’une jeunesse du début des années 1960. S’il est très certainement impliqué par l’idée initiale de Pasolini, il n’en demeure pas moins qu’il annonce déjà les grands films de Bertolucci, Prima Della Rivoluzione, le Conformiste, 1900, et même Dernier Tango à Paris, un cinéma éminemment politique, puissant et engagé.

Cette version restaurée de son premier film, Les Recrues (La Commare Secca), réalisé en 1962, était l’un de ses derniers projets. Bernardo Bertolucci est décédé en novembre 2018.
Les Recrues (La Commare Secca) sera sur les écrans le 13 février 2019.

3 sorties en DVD Blue Ray
Donbass
Film de Sergei Loznitza (5 février 2019)

Le film se situe dans l’est de l’Ukraine, dans la région du Donbass où une guerre sans fin, qui ne dit pas son nom, oppose des camps ennemis, sur fond de crimes et de saccages perpétrés par des gangs séparatistes.
On se souvient de son précédent film, Une femme douce, où l’arbitraire des autorités pénitentiaires et la violence de la société s’acharnaient contre une femme ayant traversé le pays pour rendre visite à son mari en prison.

Dans Donbass, la même violence s’exerce. Le film est également un périple à travers le pays, mais différent cette fois puisqu’il met en scène plusieurs personnages dans diverses situations. Les récits s’enchaînent en treize séquences qui narrent le conflit directement ou indirectement, mettant en présence les forces gouvernementales, soutenues par des mafias locales, et les séparatistes aidés par les soldats de Poutine et d’autres gangs. Dans ces histoires incroyables, les conséquences sont terribles, mêlant le grotesque au tragique. Il est en effet difficile d’imaginer et de croire des récits qui tiennent plus d’une farce à la Ubu que de la réalité. La violence et l’hystérie semblent la norme, tandis que les bandes mafieuses ont le pouvoir, dans tous le cas se l’octroient, et en profitent.

Le film de Sergei Loznitza développe un humour au vitriol en même temps qu’il est la démonstration du dérapage d’une situation désespérément absurde. Un cauchemar qui n’en finit pas. Le réalisateur renvoie d’ailleurs dos à dos les deux camps, aussi corrompus l’un que l’autre : « Dans le Donbass, dit-il, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour. »
À découvrir ou revoir en DVD et Blue Ray dès 5 février.

Burning
Film de Lee Chang-Dong (5 février)

En rencontrant par hasard une ancienne connaissance, Haemi, alors qu’elle participe à la promotion d’une boutique, Jongsu, qui est coursier, tombe sous le charme de la jeune fille. Une histoire amoureuse s’amorce rapidement et, lorsqu’elle part en voyage à l’étranger, Haemi lui demande de nourrir son chat, qu’on ne voit jamais d’ailleurs. À son retour, elle lui présente Ben, un garçon qu’elle vient de rencontrer dans l’avion et part en voiture avec lui. Ben fait partie de la jeunesse dorée, possède une voiture luxueuse, un bel appartement et dégage un mystère presque inquiétant. S’instaure alors entre les trois jeunes gens une relation trouble dans laquelle la séduction, l’attirance, la jalousie et les allusions énigmatiques déstabilisent Jongsu, distraient Ben et amusent Huemi, qui rêve d’être actrice et fait du mime. Ben révèle à Jongsu son étrange secret et, peu de temps après, la jeune fille disparaît.

Adaptée de la nouvelle de l’écrivain japonais Haruki Murakami, Les Granges brûlées, le film décrit un quotidien ordinaire, tout en instillant petit à petit des détails énigmatiques, des doutes, des charades, des images poétiques qui conduisent le récit dans une dimension de fantastique ordinaire. Jongsu est en quelque sorte notre guide, notre voix off pour tenter de comprendre la situation, élucider la disparition de la jeune fille alors que Ben joue l’indifférence, pourtant il semblait goûter une idylle naissante avec Huemi. Liaisons dangereuses et différences de classes. La jeune fille n’était peut-être excitante à ses yeux que dans la mesure où elle provoquait la jalousie de Jongsu.
Après sa disparition marquant un tournant du récit, le film tourne au thriller policier et social. Jonsu se met à la recherche de la jeune fille, fait le guet sur les allées et venues de Ben qui s’en distrait, comme s’il jouissait de l’inquiétude et des sentiments du garçon. La différence de classes donne à Ben une supériorité sur Jongsu, les avantages de l’argent par rapport à quelqu’un qui en manque et, du coup, n’a pas les mêmes droits dans la société. Ben est au-dessus des soupçons et des lois, Jongsu, jeune homme taciturne et passif, subit la société, tente d’écrire sans y parvenir, et son père est en prison. Ces deux garçons sont à l’image de la société coréenne, divisée en pauvres, qui n’ont rien à espérer, et en riches qui se croient tout permis. Un crime pour l’un ne serait qu’une incartade pour l’autre. C’est sans doute cette prise de conscience, après la disparition non élucidée de Huemi, qui va libérer Jongsu de son sentiment d’infériorité et le pousser brusquement vers la scène finale.
Burning de Lee Chang-Dong est découvrir ou à revoir dès le 5 février.

Girl
film de Lukas Dhont
 (19 février 2019)

L’héroïne de Girl est transgenre, mais si le sujet a déjà été abordé au cinéma, il n’en soulève pas moins encore des réticences. L’histoire est à la fois simple et bouleversante, Lara est une adolescente dont le rêve est de devenir danseuse étoile. Un rêve auquel elle se consacre à fond, avec le soutien de son père.
Malgré l’amour de son père, les difficultés et la douleur apparaissent au détour d’un plan, dans les rapports de Lara avec ses camarades, mais surtout avec le sentiment d’un corps subi qui d’une certaine manière emprisonne son rêve. Est-elle consciente de la transformation qu’elle recherche et son rêve de danse est-il une forme de métamorphose souhaitée exprimée seulement par le corps et la discipline physique ?
Il faut souligner la performance extraordinaire et la maitrise du jeune comédien au visage d’ange, Victor Polster, qui joue le rôle de Lara avec une très grande sensibilité. Un film rare qui donne une autre vision de la question transgenre.
Girl de Lukas Dhont
 sortira en DVD et Blue Ray le19 février.

Dans le cadre des rendez-vous du documentaire méditerranéen, la Médiathèque Federico Fellini de Montpellier propose les 7, 8 et 10 février trois séances de documentaires mettant en avant le talent de réalisatrices, dont deux sont déjà venues pour leurs films dans les chroniques rebelles.

Jeudi 7 février 2019 à 18h, Mila Turajlic présentera L’Envers d’une histoire.
En 2010, Mila a réalisé un premier film documentaire, Cinema Komunisto, présenté au festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, sur la mémoire manipulée, lorsque Tito utilisait l’industrie cinématographique pour créer l’histoire nationale d’un pays fictif.

Dans son nouveau film, Mila Turajlic revient cette fois sur une histoire confisquée, celle de la résistance serbe à la guerre dans les années 1990. Les deux films décrivent le processus de réécriture de l’histoire au profit d’un roman national fantasmé par le pouvoir. L’Envers de l’histoire — un Siècle yougoslave —, part d’une porte condamnée dans un appartement du centre de Belgrade, un lieu divisé qui révèle l’histoire d’une famille et d’un pays. Filmer les événements dans et depuis l’appartement familial, mêler l’intime et l’engagement politique donne une dimension originale à l’approche et à la compréhension de la situation.

Filmé sur plusieurs années, Mila Turajlic glisse peu à peu vers le portrait de sa mère, universitaire engagée et très critique du régime de Slobodan Miloševic. Leurs conversations deviennent alors le centre du film, autour duquel s’articulent les analyses de la lutte et de la responsabilité, soulignée avec lucidité par sa mère à propos du silence, du chaos, de la guerre et de la corruption : « On ne sait pas comment une guerre éclate, surtout une guerre civile ».
L’Envers de l’histoire — un Siècle yougoslave de Mila Turajlic apporte certainement une vision novatrice et intéressante d’un conflit brouillé par les médias tant nationaux qu’internationaux.
Jeudi 7 février 2019 à 18h, L’Envers d’une histoire de Mila Turajlic à la Médiathèque Fellini de Montpellier.

Vendredi 8 février 2019 à 18h, toujours à la Médiathèque Fellini de Montpellier : Le Corps emmêlé de Catherine Lafont et Sarah Denard.
Elles s’appellent Aouda, Suzanna, Needa et Joséphine et livrent leurs témoignages.
 Le Corps emmêlé de Catherine Lafont et Sarah Denard est un documentaire qui raconte la résilience de femmes toulousaines ayant subi des traumatismes et des discriminations.

Dimanche 10 février 2019 à 15h, Tamara Erde propose un voyage dans l’histoire de l’État d’Israël avec son film, Looking for Zion.
On connaît la rigueur de la documentariste avec le film étonnant qu’elle a réalisé auparavant, également présenté au festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, This is my Land, sur le système éducatif israélien et palestinien. Elle poursuit son analyse de l’État d’Israël et de l’idéologie depuis sa création avec Looking for Zion. Un film documentaire passionnant qui explore l’histoire du pays en partant de la découverte des photographies de son grand-père, Ephraïm Erde, l’un des photographes « officiels » du mouvement sioniste depuis les années 1930. Ces photographies l’amènent à enquêter sur un passé bien éloigné de la réalité contemporaine qu’elle filme aujourd’hui. 
C’est le prétexte à une véritable plongée dans l’histoire israélienne parallèlement à une analyse étonnante des images et de l’histoire officielle.

Dans ces trois films, les réalisatrices abordent des thèmes essentiels pour leurs sociétés et au delà, au plan universel, tel que l’engagement politique, la transmission, la prise de conscience, la discrimination et la confrontation entre l’histoire officielle et l’histoire personnelle, et enfin les images. Elles seront présentes à la Médiathèque Federico Fellini de Montpellier les 7, 8 et 10 février et pourront débattre avec le public. L’entrée est libre.