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Samedi 9 mars 2019
Ragtime de Milos Forman. Teret de Ognjen Glavonic. AÏlo. Une odyssée en Laponie de Guillaume Maidatchevsky. We the Animals de Jeremiah Zagar.
Article mis en ligne le 10 mars 2019
dernière modification le 12 mars 2019

par CP

Ragtime
de Milos Forman (copie restaurée en salles le 20 mars 2019)

En compagnie de Marc Olry de Lost Films

La guerre en Ex Yougoslavie à travers quatre films :
Teret (La charge)
Film de Ognjen Glavonic (13 mars 2019)

L’Envers d’une histoire
Film documentaire de Mila Turajlic (24 octobre 2018)

Chris The Swiss
Film documentaire et d’animation d’Anja Kofmel (3 octobre 2018)

When Pigs Come
Film documentaire de Biljana Tutorov (Festival CINEMED)

AÏlo. Une odyssée en Laponie
Film de Guillaume Maidatchevsky (13 mars 2019)

We the Animals
Film de Jeremiah Zagar (13 mars 2019)

Ragtime de Milos Forman , sorti en 1981, est à nouveau sur grand écran, en copie restaurée, à partir du 20 mars. Or c’est le même plaisir, le même intérêt que génère cette magnifique reconstitution de la ville de New York, et alentour, du début du XXème siècle, avec ses quartiers populaires où l’on retrouve toutes les langues, toutes les cultures issues de plusieurs vagues d’immigration, de populations attirées par le soi-disant pays des opportunités.

Adaptée d’un roman, la mise en scène de Forman est grandiose et la vision qu’il offre de ce pays en pleine effervescence sociale est forte. Ce sont les destins croisés d’une famille WASP et bien pensante, d’un milliardaire capricieux qui a épousé une danseuse, d’un futur réalisateur de films, d’une jeune femme noire et de son bébé, enfin d’un musicien qui est le fil conducteur du récit. En toile de fond la ville de New York débordante d’activités, les clubs où le ragtime fait rage, les théâtres et les débuts du cinéma… Une explosion artistique et architecturale dans un pays fascinant et violent.

Dans son quatrième film réalisé aux Etats-Unis, Milos Forman joue sur plusieurs tableaux, les différentes classes sociales, la soi-disant mixité sociale, l’automobile, le cinéma puisqu’il tourne des séquences de cinéma muet, en noir et blanc, à la manière de cette époque avec évidemment la musique qui accompagnait en direct les projections. D’ailleurs le principal protagoniste de Ragtime est un musicien noir qui accompagne au piano les nouvelles images du cinéma. Le film n’a rien perdu de sa force, comme l’interprétation des comédien.nes.

Ragtime, c’est le rêve états-unien quelque peu ébréché par le racisme, l’arbitraire et la violence ; un film qui s’inscrit en faux contre le mythe du Melting Pot dont l’image se prend un drôle de coup… Finalement, Milos Forman était aussi un immigré et il note sa volonté de « préserver l’aspect éclaté, extrêmement vivant et grouillant des personnages historiques ou anonymes, qui dans le roman de Doctorow, faisait penser à un tableau de Bruegel. L’histoire du pianiste noir nous servit de fil conducteur. » Un tableau de Bruegel, c’est bien ce qui frappe dans le film concernant la reconstitution des rues de New York.
Ragtime de Milos Forman (copie restaurée) en salles le 20 mars 2019

La guerre en Ex Yougoslavie à travers quatre films
Teret (La charge), un film de Ognjen Glavonic (13 mars 2019)
L’Envers d’une histoire, un film documentaire de Mila Turajlic (24 octobre 2018)
Chris The Swiss, un film documentaire et d’animation d’Anja Kofmel (3 octobre 2018)
Et When Pigs Come, un film documentaire de Biljana Tutorov (Festival CINEMED)

Le cinéma revisite la guerre civile qui a déchiré les Balkans ; plusieurs films sortis ces derniers mois en témoignent, partant de témoignages et d’expériences personnelles pour aller, qu’il s’agisse de cinéma documentaire ou de fiction, vers la remise en question des histoires officielles nationales ou de l’interprétation médiatique internationale. Les quatre films semblent adopter la même démarche engagée et cinématographique, même si les récits diffèrent dans la forme. Tout d’abord, citons le film documentaire de Biljana Tutorov, When Pigs Come, figurant dans la sélection des documentaires du 40e Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier.

La réalisatrice filme Dragoslava, une femme Serbe qui a vécu dans cinq pays sans avoir bougé de son appartement, celui-ci étant situé dans une petite ville frontalière. Elle possède quatre postes de télévision et livre avec acuité et humour ses commentaires sur le pouvoir, la politique et les médias. C’est un constat de la perte d’idéal et des principes dans une société en mutation ; cela concerne le passé, le présent et le futur, non seulement de la Serbie, mais de toute la région. When Pigs Come de Biljana Tutorov participe à une réflexion sur la propagande et les dangers du nationalisme.

Chris the Swiss, film documentaire et d’animation d’Anja Kofmel , sorti le 3 octobre, participe également à l’analyse du conflit, dont les zones d’ombre ont été brouillées dès le début. 20 ans après l’assassinat de son cousin en Croatie — le journaliste suisse Christian Würtenberg —, Anja Kofmel décide de mener une enquête à partir de carnets retrouvés pour reconstituer les dernières semaines de la vie de son cousin.

Les interprétations du meurtre diffèrent selon les personnes qu’elle rencontre. Selon certain.es journalistes, il préparait un livre sur le groupe paramilitaire chargé de « nettoyer » des zones des populations civiles. D’anciens mercenaires pensent qu’il en savait trop sur les enjeux occultes d’un groupe raciste financé par l’Opus Dei. Il faut noter que le journaliste est gênant car, dans ses reportages, tirés des archives de l’époque, Chris condamne une guerre sale faite, de part et d’autre, aux populations civiles et implique directement les puissances internationales et les marchands d’armes.

Le film, qui utilise l’animation pour les images « manquantes », les hypothèses et les rêves de la réalisatrice, est efficace et impressionnant. Son enquête et les documents produits éclairent un conflit extrêmement complexe : « L’histoire de mon cousin [remarque Anja Kofmel] me conduit dans un monde inquiétant dominé par les hommes, qui attisent la haine et intimident la population pour assouvir leur soif de pouvoir. Elle me montre à quel point les structures de notre société sont fragiles, comme il en faut peu pour saper une cohabitation paisible, pas seulement dans l’ancienne Yougoslavie, mais partout dans le monde. » La démarche d’Anja Kofmel est proche de celle de Mila Turajlic dans son film, L’Envers d’une histoire, où se mêle aussi le personnel et l’universel.

L’Envers d’une histoire — un Siècle yougoslave  —, prend comme point de départ une porte condamnée dans un appartement du centre de Belgrade, un lieu divisé qui retrace l’histoire d’une famille et celle d’un pays. Filmer les événements depuis l’appartement familial, et mêler ainsi l’intime et l’engagement politique, cela induit une approche différente des interprétations médiatiques, tant nationales qu’internationales de l’époque.

À l’insu de la réalisatrice, le film s’attache peu à peu, au cours du tournage qui a duré des années, à faire le portrait de sa mère, universitaire engagée et très critique du régime de Slobodan Miloševic. Au centre du film, sous forme d’échanges, s’articulent des analyses de la lutte et de la responsabilité individuelle à propos du silence, du chaos, de la guerre et de la corruption : « On ne sait pas comment une guerre éclate, surtout une guerre civile ».

« Notre maison se trouve dans le centre politique de Belgrade [explique Mila Turajlic] — de l’autre côté de la rue se trouvent le ministère de la Défense qui a été bombardé en 1999, la Cour suprême et l’ambassade britannique. J’ai filmé des protestations devant le tribunal, des gens faisant la queue pour des visas, des cordons de police et des gens qui se disputaient, et ces petits aperçus de vie dans la rue donnent un avant-goût des événements qui se déroulent en Serbie aujourd’hui. » Le montage d’archives non officielles offre également un panel d’images inattendues, permettant ainsi de « restituer le passé » des années 1990 : « Les archives soulignent qu’à chaque étape de la montée du nationalisme, de l’éclatement de la guerre, de la répression brutale du régime et même de l’euphorie de la révolution, il y a eu des voix de la raison, qui se trouvèrent noyées dans l’hystérie. »

Dans son film, la réalisatrice s’attache à l’analyse du processus de réécriture de l’histoire officielle au profit de l’institution d’un roman national, occultant les responsabilités de la guerre civile de même que la résistance à celle-ci dans les années 1990.

Un point essentiel commun à ces films est la volonté de transmettre une autre analyse que celle du pouvoir qui domine, donner les faits d’une autre histoire que celle qui sous tend le nationalisme. Comme le souligne Ognjen Glavonic, réalisateur de Teret, « je voudrais que ce film puisse constituer une base de réflexion pour ma génération, sa relation à l’Histoire de la Serbie et particulièrement la part la plus noire de cette Histoire, les faits dont personne ou presque ne souhaite parler. »

Présenté également au Festival CINEMED, en compétition des longs métrages de fiction, Teret sera sur les écrans le 13 mars. Véritable thriller, Teret diffère des trois autres films par son récit. C’est un film de fiction qui met en scène un chauffeur de poids lourds ayant pour mission, en 1999, de transporter un mystérieux chargement, depuis le Kosovo jusqu’à Belgrade. Commence alors une road movie sous tension à travers la Serbie bombardée par l’OTAN. D’une part, il y a le danger d’être la cible d’un raid aérien et, par ailleurs, l’idée de que contient la charge du camion.

Plus le but du voyage se rapproche, plus l’angoisse monte d’un cran, qui se lit sur le visage du chauffeur exprimant un sentiment d’isolement et d’enfermement dans la cabine du camion. La force du film tient dans la suggestion de ce peut être la charge et le danger potentiel qu’elle peut représenter. Ignorer ou faire semblant ne constitue pas une assurance pour sa propre sécurité et n’exclut en aucun cas la responsabilité individuelle de la personne. « En choisissant de traiter d’un événement terrible de notre passé, un crime jamais évoqué ni compris, et toujours en partie inconnu dans mon pays, je souhaite [explique le réalisateur] prendre à bras le corps une responsabilité. Celle de la conscience de ce qui a été perpétré en notre nom, pour notre futur, dans le passé récent de la Serbie. » D’où cette tension qui demeure tout au long du film non seulement par l’interprétation remarquable des comédiens, mais également par la désolation du paysage et la menace en arrière plan des bombardements.

Réaliser ce film n’a pas été simple, pourtant les faits évoqués ne sont pas une révélation, mais cela ne signifie pas que l’analyse de la situation et de ses conséquences soient les bienvenues. C’est ce que précise le réalisateur de Teret : « Ma génération a hérité des histoires dont nos parents ne voulaient pas parler — des histoires qui n’ont jamais été racontées. Celles des ponts qu’ils ont brûlés, du sang qu’ils ont fait couler et de la responsabilité qu’ils n’ont pas voulu endosser. Je voulais donc peut-être pouvoir dire que dans un futur proche, les jeunes pourront enfin parler des choses que leurs parents n’ont pas pu leur dire. »
La rencontre avec Ognjen Glavonic a lieu à Montpellier, dans le cadre du CINEMED en octobre 2018.

Teret (La Charge) de Ognjen Glavonic en salles le 13 mars 2019.

AÏlo
Une odyssée en Laponie

Film de Guillaume Maidatchevsky (13 mars 2019)

Merveilleux film animalier qui raconte le combat 
pour la survie d’un petit renne sauvage, frêle et vulnérable, depuis sa naissance, confronté aux épreuves qui jalonnent sa première année. Son éveil au monde sauvage
 est un véritable conte au cœur des paysages
 grandioses de Laponie.

Le héros, c’est Aïlo bien sûr, mais ses rencontres sont aussi étonnantes que, parfois, menaçantes, L’hermine, très rapide et camouflée sur la neige, les loups qui chassent en meute, le dangereux glouton, le magnifique renard blanc… Une fable splendide de la nature avec un héros particulièrement attendrissant et drôle…

Les paysages sont absolument extraordinaires, puisque tout au long de cette année, les saisons vont déployer leur choix de couleurs pour revenir à la blancheur de la neige qui transforme les arbres en véritables sculptures. Le tout accompagné par la très belle musique originale de Guillaume Aldebert et par sa voix.

Aïlo sera en salles mercredi prochain. Un très beau voyage à ne pas manquer.
Dossier pédagogique du film : http://distrib.gaumont.fr/Ailo/Dossier_pedagogique_AILO_OK.pdf

We the Animals
Film de Jeremiah Zagar (13 mars 2019)

Inspiré du roman éponyme de Justin Torres, We the Animals, le film se déroule dans le Nord des Etats-Unis, dans une famille marginale et pauvre. Jonah est le plus jeune de trois frères, qui sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, à l’écart de la ville. Les parents, totalement immatures, ne s’occupent en effet guère des trois garçons, le couple vit une passion destructrice dans les schémas habituels de la société patriarcale. Les deux frères aînés de Jonah reproduisent le comportement de leur père, mais Jonah est différent. Il tente de jouer le jeu, mais n’y arrive pas vraiment et ne sait trop comment l’exprimer. Alors il dessine le monde secret qu’il s’invente à partir de sa vision personnelle, des scènes familiales, de sa propre compréhension de la réalité.

Tout cet univers recréé par Jonah représente la trame du récit, comme en écho de la différence… Une autre facette de la réalité dissimulée dans un cahier. Les dessins sont intégrés au film, s’animent ou sont fixes, illustrant l’évolution des personnages à partir de la perception de l’enfant. Le film décrit avec justesse une population marginale de la société états-unienne, des laissés-pour-compte paumés, piégés par les slogans publicitaires et le mythe illusoire du Do it Yourself.

We the Animals de Jeremiah Zagar est en le 13 mars.