Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
samedi 25 mai 2019
Eugène Varlin. Ouvrier relieur 1839-1871). Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin (Libertalia). Capitalisme patriarcal de Silvia Federici (la fabrique)
Article mis en ligne le 25 mai 2019

par CP

Eugène Varlin
Ouvrier relieur 1839-1871

Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin (Libertalia)

Capitalisme patriarcal
Silvia Federici (la fabrique)

Eugène Varlin
Ouvrier relieur 1839-1871

Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin.

La Semaine sanglante reste l’un des évènements les plus sombres du mouvement révolutionnaire français. Il a débuté le 21 mai 1871. 30 000 communard·e·s sont tué·e·s dans les combats ou exécuté.es de manière sommaire et presque 50 000 sont emprisonné.es dans des conditions effrayantes avant d’être condamné.es à mort ou déporté.es. La répression de la Commune traduit la haine de la bourgeoisie, mais aussi la peur suscitée par cette expérience révolutionnaire exceptionnelle de deux mois.

Eugène Varlin, figure exemplaire de la Commune de Paris, naît le 5 octobre 1839 dans une famille de paysans pauvres, en Seine et Marne. Ses parents l’envoient à l’école, puis il part à Paris, travaille comme peintre et ensuite est ouvrier relieur. Il suit des cours du soir et chante dans une chorale, car « chanter est un acte militant ».

Eugène Varlin est à la fois un militant précurseur du syndicalisme révolutionnaire, un journaliste proche de Bakounine au sein de la Première Internationale et un membre de la minorité anti-autoritaire de la Commune de Paris. En avance sur son temps, il déclare en 1867 que « la femme doit travailler et être rétribuée pour son travail », et que si elle est payée comme les hommes, elle ne « fera pas baisser le travail des hommes et son travail la fera plus libre. »

Eugène Varlin, militant socialiste libertaire, membre de la Commune de Paris et de la Première Internationale, est dénoncé le 27 mai par un prêtre dans la rue, il est lynché avant d’être assassiné le 28 mai 1871. La veille, il aurait dit à Jules Vallès : « Nous serons dépecés vivants. Morts, nous serons traînés dans la boue. On a tué les combattants, on tuera les prisonniers, on achèvera les blessés. Ceux qu’on épargnera, s’il en reste, iront pourrir au bagne. Oui, mais l’histoire finira par voir clair et dira que nous avons sauvé la République. »

Si l’on considère que se souvenir, c’est déjà lutter, alors cet ouvrage, Eugène Varlin. Ouvrier relieur 1839-1871, qui rassemble les textes, la correspondance d’Eugène Varlin, présentés par Michèle Audin, fait parti de la lutte.

Capitalisme patriarcal
Silvia Federici (la fabrique)

À la lumière des derniers événements, notamment en Pologne et aux Etats-Unis, où les droits des femmes de procréer ou non sont remis totalement en question par de nouvelles lois ou des décrets, où la criminalisation de l’acte d’interruption de grossesse, même en cas de viol ou d’inceste, devient la règle, il est sans aucun doute temps d’analyser ce que signifie, dans une société capitaliste, le contrôle de la sexualité, de la natalité, de la reproduction… Il faut poser la question sur la stratégie de cette nouvelle forme de régression qui se développe, de ce nouveau backlash, arrivé à fort à propos dans ce tournant de civilisation idéalisée, tournant qu’on nous annonce comme libérateur. Libérateur, mais pour qui ? Certainement pas pour les femmes au vu des lois et autres « crises de la masculinité ». Cela ressemble même à une volonté de remise au pas, dans le « droit chemin », des femmes qui ont pensé pour acquis des droits octroyés après de longues luttes. Il faut également rappeler le souhait du président de la République française de relancer une politique nataliste, après d’autres assertions sur le mode le « peuple français » ne travaille pas assez et, dans la foulée, remettre sur le tapis le service national obligatoire… Ça rappelle le slogan — travail, famille, patrie — qui a fait flores dans des temps d’obscurantisme social et politique… S’ajoutent à cela les convocations de journalistes — qui font leur boulot d’investigation — pour répondre aux autorités sur leurs enquêtes menées sur la vente des armes françaises à l’Arabie saoudite, ou encore sur l’implication de sbires, dans l’entourage présidentiel, accusés de violences à l’égard de manifestants et de manifestantes… Et là, il ne s’agit pas des robocops en tenue de service qui, eux, ne s’en privent pas des violences… Cette tendance autoritaire est l’un des aspects de la reprise en main d’un pouvoir qui ne tolère aucune contestation, et loin d’être un épiphénomène, elle met en lumière une vague de régression sociale généralisée, orchestrée de manière à occulter toute critique et à surfer sur la vague conservatrice à l’extrême. C’est pourquoi il est important que des écrits reviennent sur les fondements mêmes qui régissent ces tendances.

Dans le Capitalisme patriarcal, Silvia Federici rappelle, en ouverture de ses réflexions, qu’il est fondamental de garder à l’esprit que la société capitaliste « se perpétue en générant des divisions, des divisions fondées sur le genre, sur la race, sur l’âge. » Si l’on prend l’exemple de l’idée de naturalisation de la féminité, « au nom de laquelle on assigne des tâches, des façons d’être, des comportements. Cette naturalisation remplit une fonction disciplinaire essentielle. » Au cas où les femmes se permettent de remettre en question l’assignation aux tâches désignées comme étant leur domaine naturel, elles sont considérées comme des femmes « mauvaises », certainement pas comme des femmes en lutte ! C’est pourquoi examiner « les mécanismes et les processus historiques qui ont conduit à la dévalorisation et à l’individualisation du travail domestique et à sa naturalisation comme “travail des femmes” », est une priorité en écho à la phase de régression des droits des femmes.

Si l’on prend l’exemple des écrits de Marx considérant que la lutte féministe est une « composante » d’un mouvement de libération et de changement social, il n’a cependant pas analysé « la forme spécifique d’exploitation des femmes dans la société capitaliste moderne. » En effet, il analyse le travail des femmes dans l’industrie, mais il ne tient pas compte du travail domestique, ni de la double journée de celles qui travaillent, ni du confinement et de la dépendance des autres. Pourtant la relation production/reproduction permet de «  penser le travail de reproduction comme le pilier de toutes les formes d’organisation du travail dans la société capitaliste. » Autrement dit : « un travail façonné par le capital pour le capital, un travail absolument adapté à l’organisation du travail capitaliste. »

La création de la famille prolétaire, entre 1870 et 1910, répond alors à la demande capitaliste, induisant de nouvelles formes de hiérarchie patriarcale. Le développement industriel qui doit, selon Marx, favoriser à terme un rapport plus égalitaire entre les hommes et les femmes, aboutit, à cette époque, à une perte d’autonomie des femmes qui se retrouvent, pour certaines au foyer, dépendantes de l’homme. Le salaire tient un « rôle essentiel dans le développement capitaliste ». C’est un des moyens pour instaurer des rapports sociaux de domination ; en quelque sorte, l’homme « devient le contremaître du travail non rémunéré de la femme », en conséquence, cela entraîne son exclusion de la sphère des droits, l’invisibilité du travail domestique et la naturalisation des mécanismes d’exploitation.

Dans les années 1960-1970, le mouvement féministe se révolte contre ce modèle de famille. Le féminisme est alors « synonyme de recherche d’autonomie, de rejet de la soumission des femmes dans la famille et dans la société (en tant que travailleuses non reconnues et non payées), de soulèvement contre la naturalisation des tâches domestiques et pour la reconnaissance du travail domestique comme travail. » Il faut souligner que jusqu’alors « le lieu de la lutte anticapitaliste était l’usine, et non la communauté ».

Le capitalisme patriarcal est un essai percutant et passionnant, qui pose, de manière originale et directe, des questions rarement abordées. Silvia Federici analyse au prisme du féminisme les dérives, les conséquences liées à l’exploitation capitaliste du travail, qu’il s’agisse des rapports sociaux de domination, de l’invention de la ménagère, du travail sexuel, de la tentative de subordination du mouvement féministe à la « gauche », la volonté d’exclure les femmes du processus révolutionnaire ou encore le mythe du « progrès » menant à l’émancipation. « Après deux siècles d’industrialisation, on peut voir que, si la fin du capitalisme n’est toujours pas à l’horizon, partout où l’égalité sur le lieu de travail a été réalisée ou améliorée, c’est le résultat de la lutte des femmes et non un cadeau de la machine. »

La revendication pour l’égalité salariale de même que la lutte contre les discriminations doivent être conduites parallèlement à la réappropriation collective des moyens de la reproduction sociale dans le cadre du combat pour une société antipatriarcale, sans hiérarchies, anticapitaliste, et pour la préservation de l’environnement.

La rencontre avec Silvia Federici a démarré sur deux sujets qui la préoccupent depuis plusieurs années, l’influence des évangélistes en Afrique, en Amérique latine et aux Etats-Unis, de même que le retour d’une image présentée comme négative de la sorcière, qui coïncide avec un backlash des plus inquiétants.