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Samedi 9 septembre 2006
Le cinéma méditerranéen, un cinéma caché ?
28ème Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier
Article mis en ligne le 25 janvier 2008
dernière modification le 6 mars 2009

par CP

Le prochain festival du film méditerranéen de Montpellier aura lieu du 27 octobre au 5 novembre 2006. Et pour cette nouvelle édition — la 28ème — un programme très intéressant est proposé.
Il est vrai que ce qui caractérise les cinémas méditerranéens c’est, d’une part, leur richesse, leur créativité et leur diversité, mais aussi, d’autre part, l’absence de distribution dont ils pâtissent en Europe et en France.
Si l’on prend l’exemple des films — longs et courts métrages de fiction, documentaires — présentés à Montpellier en octobre dernier au cours du 27ème festival du cinéma méditerranéen, on peut se demander combien ont bénéficié ou bénéficieront d’une distribution sur nos écrans. À Paris — la ville où il y a encore le plus grand nombre de salles de cinéma—, combien de ces films ont été ou seront projetés ?

Et pourtant les qualités cinématographiques des œuvres ne sont pas remises en question, qu’il s’agisse de films d’auteur(e)s ou de films populaires, ni d’ailleurs de l’engouement d’un public potentiel… Pour preuve le nombre croissant des publics du festival de Montpellier. Il semble que ce manque de curiosité dépasse même la logique marchande.
S’agissant du cinéma méditerranéen, le choix est vaste. Les films proposés à Montpellier viennent en moyenne de 43 pays.

L’année dernière, les réalisatrices espagnoles, Chus Gutierrez, Iciar Bollain, Patricia Ferreira, Pilar Miro, Daniela Fejerman, Ines Paris étaient à l’honneur avec des films de très grande qualité comme El Calentito de Chus Gutiérrez, où la réalisatrice film un groupe de rock féminin sur fond de tentative de coup d’État franquiste — nous sommes en février 1981 —, Fleurs d’un autre monde d’Iciar Bollain dont on n’est pas près d’oublier le très beau Ne dis rien — sur les femmes battues —, mais aussi Pour que tu ne m’oublies pas et Je sais qui tu es de Patricia Ferreira. Ces deux derniers films reviennent sur la révolution espagnole et le fascisme franquiste en traitant cette partie de l’histoire à la manière d’un dessillement progressif sur un passé enfoui dans la mémoire collective…
Mais il faut aussi citer la remarquable rétrospective de Vittorio de Seta — cinéaste atypique dans le cinéma italien des années 1950 et 1960 — avec des documentaires et des longs métrages. Il est à noter que les documentaires, pour la plupart, n’avaient rien perdu de leurs couleurs — c’est technique, mais il est important de dire que le 35 mm, c’est bien. Et surtout ces films avaient une force particulière dans le traitement des sujets — notamment sur les travailleurs et les paysans de Sicile, de Sardaigne, de Calabre — qui présentent un témoignage évident sur un monde proche et un peu perdu, par exemple Bergers d’Orgosolo, Les oubliés, Parabole d’or, En Calabre. Agréable aussi de voir que des cinéastes, engagés à l’époque (je pense aussi à Marco Bellochio), gardent un regard aigu et critique sur leur société et le monde d’aujourd’hui.

De l’ex-Yougoslavie venaient aussi des films d’une très grande force, non seulement par le sujet mais aussi par le travail de la bande son et de l’image qui prouvent que la jeune génération des cinéastes est de toutes les expériences novatrices. Et que les moyens ne sont pas toujours des freins à la recherche d’un langage cinématographique original. Par exemple, Une merveilleuse nuit à Split d’Arsen Anton Ostojic (Croatie-2004) — mention spéciale du jury à Montpellier —, Songe d’une nuit d’hiver de Goran Paskaljevic (Serbie et Montenegro-2004) couronné par l’Antigone d’or, ou encore Go West de Ahmed Imamovic (Bosnie-Herzégovine/Croatie-2005).

Le festival est également riche en rencontres et je voudrais revenir sur deux cinémas particulièrement foisonnants : le cinéma libanais et le cinéma marocain.

D’abord le cinéma libanais, en raison de la guerre de cet été. Je rappelle que les cinéastes libanais/es se sont immédiatement mobilisés dès les premiers bombardements et ont initié des manifestations, des pétitions et fait l’information, notamment durant le festival des films arabes à l’IMA. Ils et elles ont réalisé des films pour faire réagir l’opinion publique. Ces jeunes cinéastes sont engagé/es et font du cinéma dans ce sens. D’ailleurs le festival festival Ayam Beirut Al Cinema’iya (organisé par un collectif de jeunes cinéastes), pour sa 4ème édition se tiendra à Beyrouth aux date prévues, du 16 au 23 Septembre 2006 à l’Empire Sofil et au Cinéma Metropolis.

Donc un cinéma particulièrement actif, lié à la société libanaise et diversifié du fait du nombre de réalisateurs et de réalisatrices. Je rappelle qu’à Beyrouth, il n’existe pas moins de huit écoles pour l’audiovisuel et que la ville est un pôle cinématographique dans la région pour la production publicitaire. Donc grâce au nombre, mais aussi grâce à la motivation, à la volonté des cinéastes de la nouvelle génération qui se caractérisent pour beaucoup par l’exigence, l’engagement, la critique… C’est le cas du nouveau documentaire de Maher Abi Samra, Rond Point Chatila qui a remporté en 2005 le prix Ulysse du documentaire.

Ce documentaire de 51 minutes traite d’un sujet rarement abordé — les réfugié-e-s palestiniens au Liban — et d’une manière absolument nouvelle. Dans le contexte politique actuel, le sujet est particulièrement d’actualité surtout avec le regard que porte le réalisateur sur les problèmes et les non dits de sa société et de la région du Moyen-Orient.
Ce n’est pas un reportage. Maher Abi Samra plante sa caméra dans le camp de Chatila et laisse les personnes s’exprimer, vivre, rester silencieuses ; les gestes sont parfois plus explicites et les silences aussi.

Rond Point Chatila fait fi du misérabilisme et pose la question du déni des droits des réfugié(e)s palestiniens — au nom d’un droit au retour impossible malgré toutes les résolutions internationales. Pas question non plus de la victimisation d’une population réfugiée par ailleurs accusée de tous les maux. Le film est sans concessions, il montre les réfugié-e-s sans complaisance, tel-le-s qu’ils et elles sont dans une zone de non-droits — le camp —, ignorée d’ailleurs par la grande majorité de la population libanaise et occultée par les politiques, sinon à des fins conflictuelles. Le lieu évoque la mort, les massacres et, actuellement, il est oublié, comme « figé dans le temps ».
« 150 mètres de rue et le premier étage de l’hôpital de Gaza. Voilà à quoi se résume l’espace de ce film. » nous dit Maher Abi Samra qui connaît bien le camp et la familiarité existant entre lui et les protagonistes — les personnages du film — sont perceptibles et donne la dimension de la situation : vivre dans une sorte de no man’s land, sans droits et sans pouvoir retourner dans un pays quel qu’il soit…
Rond Point Chatila est un film d’une grande justesse, non réducteur, qui tente une approche de la réalité politique et quotidienne.
On oublie la caméra, il n’y a plus de mise en scène de conditions de tournage, nous sommes à Chatila…

Jillali Ferhati, Mémoire en détention

Le film de Jillali Ferhati, Mémoire en détention , aborde la mémoire ou plutôt l’absence de mémoire de la répression politique au Maroc durant les années 1970 qui a laissé, et laisse encore aujourd’hui, des marques profondes dans les esprits et dans les comportements. L’ouverture se fait peu à peu, mais les structures de l’oppression existent encore. Le cinéma comme la littérature jouent là un rôle essentiel dans le dénouement d’un passé recouvert d’une chape de plomb durant de très longues années. Le film mêle aujourd’hui et hier comme pour retisser une mémoire niée, travestie, engloutie…

Que connaît la jeunesse actuelle de répression politique ?
Des images fugaces. C’est le cas de ce jeune délinquant qui, le jour de sa libération, se voit confié un vieux détenu politique devenu amnésique. Sans l’avoir consciemment choisi, il remonte le temps pour retrouver des liens avec le passé, non seulement celui du vieux militant mais aussi le sien. Des passerelles s’opèrent car son père aussi a été arrêté à la même époque et a disparu de son enfance. Car il fallait ne rien dire de ce qui pouvait mettre en danger une famille. C’est finalement plus la reconstruction de cette jeunesse d’aujourd’hui dont il est question, d’un pan de l’histoire du Maroc que de l’histoire de ce vieil opposant qui a vécu la plupart de sa vie en détention.
La conscience de l’histoire, c’est cette femme qui revient d’exil et se met en recherche des traces de son ancien amour et de son engagement aussi…
Elle est le fil rouge de l’histoire.

Le jeune délinquant est perdu, vit sans comprendre une vie morcelée et sans passé. L’amnésique est égaré dans un monde imaginaire, recréé pour supporter la torture physique, la torture de la perte de l’être aimé, le rejet de ses compagnons aussi. Mémoire en détention de Jilali Ferhati soulève aussi une réflexion sur le rapport à l’image. À quoi servent les images ? Quelle est la réalité de l’oppression dans la transcription de l’image ? Comment la montrer, la faire ressentir après trois décennies ?
Comment lui rendre sa réalité dans le cadre d’une mémoire prisonnière et comment la dépasser ?

Le prochain festival du film méditerranéen de Montpellier entamera son 28e périple du cinéma méditerranéen, du 27 octobre au 5 novembre. Un tour d’horizon unique sur le meilleur des productions récentes en provenance de toutes les rives de la Méditerranée, du Portugal à la mer Noire. Avec au total plus de 250 films, dont 120 inédits pour la sélection officielle : avant-premières, compétitions et panoramas.
Comme chaque année, le programme 2006 sera construit sur deux axes principaux :

1 - le soutien aux cinématographies méditerranéennes, avec plus de 80.000 euros de prix en numéraire, aides et services attribués aux lauréats des différentes compétitions :

 long métrage, court métrage, documentaire, avec comme principaux prix :
L’Antigone d’or : 15 000 €. L’Aide à la diffusion : 15 000 €. Le Prix de la critique : 2 000 €. Le Prix du public : 4 000 €. Le Grand prix du court métrage : 4 000 €. Le Prix Ulysse du documentaire : 3 000 €.

 La Bourse d’aide au développement de projet de long métrage, une spécificité du Festival de Montpellier. La 16e Bourse d’aide au développement se déroulera durant le festival les 2 et 3 novembre. Depuis sa création en 1991, ce dispositif a soutenu 30 projets de longs métrages avec une bourse de 7.000 euros chacun. Sur ces trente projets, 17 ont été tournés et distribués en salles, et 10 sont actuellement en préparation ou en tournage. Tous ces films ont obtenu de nombreux prix dans les festivals internationaux dont les plus prestigieux comme Cannes, Venise et Berlin. C’est dire l’importance du travail accompli par Montpellier au profit des talents émergents de la Méditerranée.

Une première information sur la sélection officielle des films et projets pour la bourse d’aide sera annoncée vers le 20 septembre, et la sélection définitive sera dévoilée lors de la conférence de presse début octobre à Montpellier.

2 - les hommages et rétrospectives, avec un aperçu du programme 2006 : Israël : Amos Gitaï, films et installation vidéo.
Espagne : découverte de Basilio Martín Patino, figure du nuevo cinema. Italie : le film à sketches ou le cinéma italien par excellence ; hommage à Gianfranco Mingozzi, l’œuvre documentaire.
Une nuit en enfer : hommage à Tinto Brass, maître de l’érotisme italien. Événement : musique et cinéma avec Rhapsodie satanique, film muet de Nino Oxilia (Italie, 1915) en concert avec l’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon, 29 oct., Opéra Berlioz 20 h 30.
Et aussi Filmer en Région, le cinéma expérimental, les arts numériques, les films d’animation, le cinéma des lycéens avec Wong Kar-wai et le Festival jeune public.
Enfin, le Festival 2006 proposera un rendez-vous pour les professionnels. Initié l’an dernier avec une réflexion sur la distribution.

Amos Gitaï, vingt ans après.

En 1986, le Festival de Montpellier comptait parmi ses invités un jeune cinéaste israélien dont la filmographie méritait déjà grandement un coup de projecteur, avec notamment House (1980), Journal de campagne (1982) et Esther (1985). Une rencontre passionnante qui avait alors fait l’objet de traces écrites dans les Actes du Festival de Montpellier.
Vingt ans après nous avons voulu faire le point sur une œuvre maintenant considérable avec la participation d’Amos qui présentera une sélection de ses films ainsi qu’une installation vidéo.

Amos Gitaï est né à Haïfa en 1950. De 1971 à 1975 il étudie l’architecture en Israël et aux Etats-Unis et commence à réaliser des courts métrages. À partir de 1977, il tourne des documentaires pour la télévision israélienne. En 1982, la polémique déclenchée par Journal de campagne, tourné pendant la guerre du Liban, le contraint à quitter Israël pour Paris. Là, il continue d’étudier les thèmes de l’exil et de l’immigration puis retourne en Israël en 1993. Depuis trente ans et avec près de 50 films (documentaires et fictions), Amos Gitaï a produit une œuvre extraordinairement variée où il explore l’histoire du Moyen-Orient et sa propre biographie à travers les thèmes récurrents de l’exil et de l’utopie.

Free zone - 2005
Promised Land - 2004
Alila - 2003
Kedma - 2002
Eden (2001) - 2001
Kippur - 2000

Kadosh - 1999
Yom Yom - 1998
L’ arène du meurtre - 1996
Berlin - Jerusalem - 1989
Wadi, dix ans après - 1978

Basilio Martín Patino, retour sur le nuevo cinema

Né en 1930, Basilio Martín Patino est l’un des membres les plus talentueux du nuevo cinema et l’un des moins consentants à la compromission. Après ses premiers films de fiction (Neuf cartes à Berta, 1965, brillante évocation de la vie d’une ville de province) il s’éloigne de l’industrie cinématographique pour entreprendre dans une quasi-clandestinité et contre la censure une œuvre documentaire remarquable : Chansons pour une après-guerre (1971), Chers bourreaux (1973) et Caudillo (1974).

Critique impitoyable du franquisme, mais aussi de toute mystification historique et culturelle, Patino est également le cinéaste de l’Andalousie et de sa mémoire. Une œuvre riche et complexe, peu connue en France, que l’on pourra découvrir en présence du réalisateur.

Gianfranco Mingozzi, un amoureux du cinéma
Né en 1932 à Molinella, près de Bologne, Gianfranco Mingozzi a étudié le cinéma au Centro Sperimentale de Rome. Tout en faisant ses premiers pas comme assistant de René Clément et Federico Fellini, il réalise certains des meilleurs documentaires du début des années 1960 (Con il cuore fermo Sicilia, 1965, Lion d’or au festival de Venise). Lorsqu’il passe au long métrage en 1967 avec Trio, il expérimente une forme extrêmement réussie de cinéma à mi-chemin entre documentaire et fiction. Et tout au long de sa carrière qui comptera de nombreuses fictions le documentaire restera un moyen d’expression qui lui est cher. C’est cette importante partie de son œuvre qu’il viendra présenter à Montpellier.

Eran Riklis, La Fiancée syrienne (2004)
Amos Gitai, Free Zone (2005).
De même que les cinéastes palestiniens font une analyse très intéressante d’une situation qui semble sans issue et dramatiquement ubuesque, je pense au film d’Hani Abu Assad, Paradise now (2005) et à son docu-fiction, Ford Transit récompensé à Montpellier en 2003.