Chroniques rebelles
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Samedi 17 août 2019
« Il est pas facile de raconter à présent ». Crise de l’expérience et création artistique après la Grande Guerre sous la direction de Luca Salza. « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude
Article mis en ligne le 17 août 2019
dernière modification le 29 mai 2019

par CP

« Il est pas facile de raconter à présent »
Crise de l’expérience et création artistique après la Grande Guerre

Sous la direction de Luca Salza (éditions Mimésis)

« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares »
Film de Radu Jude sorti le 20 février 2019

Dans les années 1930, Walter Benjamin élabore une thèse essentielle sur l’héritage culturel de la Grande Guerre : les soldats auraient perdu la capacité de raconter leur expérience de la guerre, face à un univers dominé par les machines de mort : « l’effrayante amplitude du dispositif des armes et des stratégies nouvelles mises en acte par cette guerre, comme les tranchées, les gaz, la puissance inédite des obus, l’apparition des avions sur les champs de bataille et la déferlante de toutes les autres inventions techniques ont donné à la Grande Guerre le nom de “guerre de matériel” ».

Céline semble confirmer la thèse de Benjamin lorsqu’il fait dire à son personnage du Voyage au bout de la nuit : « Il est pas facile de raconter à présent ».

La Grande Guerre ébranle l’expérience ; et ceux qui l’ont vécu « sont plongés dans une “pauvreté“ inédite qui concerne toute l’histoire de la civilisation. » Il n’y a plus de parole en partage, « le conteur a disparu ». Ceux qui en réchappent, « ceux qui réussissent à survivre ne peuvent rien dire, ou si peu. Ils ne sentent plus rien. Ils s’emmurent dans le silence. Ils ne font aucune publicité » à la guerre.

« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » de Radu Jude (20 février 2019)

« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares », cette phrase prononcée par le maréchal Antonescu au Conseil des ministres en juillet 1941, en même temps qu’il proposait la « purification » du peuple roumain, reprise par le réalisateur en dit long sur son intention. L’intervention du maréchal, considéré alors comme l’homme providentiel, justifiait idéologiquement .

Mettre en scène dans une reconstitution cet épisode — le massacre de 20 000 Juifs à Odessa par l’armée roumaine pendant l’automne 1941 —, gommé pendant la période communiste, provoque évidemment des oppositions de certains comédiens-figurants. Mariana, la metteuse en scène du spectacle, n’est pas prête à faire la moindre concession sur la réalité d’une politique génocidaire qui a fait des centaines de milliers de victimes parmi les populations juive et rom. Pas question de céder aux arguments négationnistes qu’on lui oppose, davantage par méconnaissance et par effet de répétition d’une propagande distillée pendant des années. Finalement, peut-être est-ce plus confortable de ne pas se poser de questions et de continuer à garder la tête dans le sable.
Le phénomène du déni historique est central dans le film de Radu Jude comme faire entendre une voix dissonante face à l’Histoire officielle.