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Samedi 28 septembre 2019
Ennemis d’État. Les lois scélérates, des Les lois scélérates, des « anarchistes » aux « terroristes » de Raphaël Kempf
Article mis en ligne le 30 septembre 2019

par CP

Ennemis d’État
Les lois scélérates, des « anarchistes » aux « terroristes »

Raphaël Kempf (la fabrique)

Raphaël Kempf, avocat connu pour sa défense des manifestants et gilets jaunes victimes de violences policières ou de la répression judiciaire, propose dans ce volume un court pamphlet historico-juridique accompagné de la réédition d’articles publiés en 1898, notamment par Léon Blum et l’anarchiste Émile Pouget, contre « les lois scélérates » votées à la fin du XIXe siècle.

En seconde partie des chroniques, du théâtre
Les Témoins
de Yann Reuzeau
La pièce se joue à la Manufacture des Abbesses et illustre, au théâtre, ce que développe Raphaël Kempf dans son livre sur les lois scélérates et leur application lors d’une période politique particulière.

Ennemis d’État. Les lois scélérates, des « anarchistes » aux « terroristes ».
9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans la Chambre des députés. Cette bombe ne tue personne, quelques députés sont légèrement blessés, cependant l’événement frappe les esprits parce que dirigé contre la représentation nationale. Ce sera pour le gouvernement, deux jours après l’attentat, le prétexte de faire voter des lois liberticides.

Presque cinq ans après, le 1er juillet 1898, Léon Blum publie dans La Revue blanche un texte intitulé Comment ont été faites les Lois Scélérates (que l’on pourrait d’ailleurs, selon la définition du dictionnaire, qualifier de loi criminelles) : Ces lois donc « permettent au premier “gouvernement fort“ qui surviendra de tenir pour nulle la loi de 1881 (sur la liberté de la presse), loi incomplète, mais libérale dans son ensemble, et l’une des rares lois républicaines de la République. Elles abrogent les garanties conférées à la presse en ce qu’elles permettent la saisie et l’arrestation préventive ; elles violent une des règles de notre droit public en ce qu’elles défèrent des délits d’opinion à la justice correctionnelle ; elles violent les principes du droit pénal en ce qu’elles permettent de déclarer complices et associés d’un crime des individus qui n’y ont pas directement et matériellement participé ; elles blessent l’humanité en ce qu’elles peuvent punir des travaux forcés une amitié ou une confidence, et de la relégation un article de journal. »

Cette critique des lois scélérates, destinées à casser le mouvement anarchiste à la fin du XIXe siècle, est particulièrement actuelle, « l’arbitraire des gouvernements de la IIIe République […] n’a rien à envier au président Hollande décrétant l’état d’urgence contre les musulmans ou les militants écologistes, non plus qu’à Macron et Castaner enfermant de façon “préventive” des gilets jaunes avant qu’ils ne rejoignent les manifestations. »
Le texte de Raphaël Kempf insiste sur ce point et donne de nombreux exemples sur ces lois d’exception qui « se normalisent avec le temps ; des lois ne visant que quelques groupes et finissent par toucher tout le monde ; le gouvernement joue avec la peur pour faire passer ses textes ; et ces lois donnent un pouvoir sans partage à la police et à l’État. »

Ennemis d’État. Les lois scélérates, des « anarchistes » aux « terroristes » est un livre important et utile, par son contexte historique et le lien qui est fait avec une actualité inquiétante. Il permet de mieux déceler les atteintes aux libertés faites en agitant la peur, en jouant sur l’émotion, d’une part, et en pratiquant une Novlangue comme celle qui décrit la loi anticasseurs comme « Une loi pour protéger le droit de manifester » !

Raphaël Kempf désamorce justement ce langage, donne des indices afin de comprendre les nouvelles lois scélérates qui se multiplient depuis 2014-2015, pour déboucher sur une perspective politique simple : « la demande d’abrogation des lois scélérates et l’amnistie des condamné.es qui en sont victimes. Cette exigence était portée à la fin du XIXe siècle par Émile Pouget, elle doit l’être aujourd’hui pour les opposants [et les opposantes] politiques et autres gilets jaunes lourdement condamné.es. »
Entretien avec Raphaël Kempf

Les Témoins de Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 3 novembre les jeudis, vendredis, samedis à 20h45 et les dimanches à 17h à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, dans le 18e. Métro Abbesses ou Blanche.
Réservations 01 42 33 42 03
ou sur www.manufacturedesabbesses.com

La pièce de Yann Reuzeau, les Témoins, paraît d’une certaine manière une possible mise en situation de l’essai de Raphaël Kempf sur les lois scélérates et leur application lors d’une période politique exceptionnelle. Or, c’est en fait le cas au moment où commence la pièce, les Témoins. C’est un soir d’élection présidentielle, le rédacteur en chef du journal, Les Témoins, anxieux et suspendu aux résultats définitifs, attend l’équipe de rédaction qui survient, chacun et chacune confirmant l’élection du candidat d’extrême droite et exprimant ses inquiétudes, ses doutes, sans pour autant craindre que le droit d’expression, d’informer, soit en danger. Sauf pour l’un d’eux qui vient de passer plusieurs heures en garde à vue.

Finalement, Les Témoins n’est pas un journal d’opinion et son intégrité, sa rigueur, devraient le mettre à l’abri de toute attaque du pouvoir. Mais ce soir où tout à basculé, peut-on encore parler de droits inamovibles et inattaquables ? Toute la question est là. En l’occurrence, le métier de journaliste perd ses privilèges si le ou la journaliste ne se conforme pas aux exigences du pouvoir. La déontologie du métier est de fait mise à mal par un pouvoir fascisant et les événements qui se précipitent.

L’expérience en direct de l’illustration du processus de la mise en place d’une dictature, nouvelle version, avec sa Com et la corruption à peine dissimulée, sa Novlangue et, de toute évidence, des lois à venir édictées pour limiter le droit d’expression d’abord et, ensuite, tous les droits d’une démocratie parlementaire. La pression est forte au sein de la salle de rédaction, d’autant que les journalistes mènent des enquêtes qui peuvent embarrasser le gouvernement et ses magouilles : Rebecca, jeune pigiste, met à jour une gigantesque histoire d’espionnage industriel perpétré par un proche du Président. Même gravité pour les conséquences de la découverte de Cyril : le projet d’action terroriste d’un groupuscule écologique, comme l’enquête d’Hassan qui risque de mettre le feu aux poudres avec la mort suspecte d’un agent français. Romain, lui, évente un embryon de résistance armée, qui envisage déjà un coup d’État contre le pouvoir autoritaire nouvellement élu.

Dans ce contexte, la rédactrice en chef adjointe, Catherine, tente de garder la tête froide, rappelle la solidarité et les règles du journal, mais la situation exceptionnelle fait que les analyses et les prises de position divergent. Elle-même voit d’ailleurs sa vie personnelle bouleversée. L’évolution dramatique des personnages est savamment infusée au fur et à mesure des scènes : engueulades, échanges musclés, jeux de pouvoir, ambitions, peur, chacun et chacune se révélant à la lumière des événements qu’ils et elles subissent. Cela provoque des réactions de repli, de révolte, de conformisme pour se protéger… des choix difficiles qui engagent également les règles professionnelles et la conception du métier de journaliste. Ii est en effet question de liberté de la presse, de protection des sources, de prendre la décision de révéler ou non des affaires graves, malgré des lois préparées de longue date et mises en place rapidement pour museler une presse qui ne serait pas ou plus à la botte…

Le rythme de la pièce de Yann Reuzeau ne s’essouffle à aucun moment, s’accélère même, et témoigne de la montée en puissance du totalitarisme dans une mise en scène efficace, des dialogues soutenus et ancrés dans la réalité journalistique, la présence incessante des news, les communiqués de presse, le tri du desk, des scènes qui se chevauchent parfois et partagent la scène en plusieurs parties… Un texte au cordeau et enfin l’interprétation bluffante des comédiens et des comédiennes, appelé.es à jouer plusieurs rôles.

Les Témoins est à voir pour son propos, son engagement et son rythme à la Citizen Kane… l’interview télévisé du rédacteur en chef, les violences et les attaques en direct, les relents fascistes et le souvenir des chemises noires de Mussolini, la résistance… « Rien n’est fini » déclare Catherine. Écran noir.

Les Témoins de Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène, se joue jusqu’au 3 novembre les jeudis, vendredis, samedis à 20h45 et les dimanches à 17h à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, dans le 18e. Métro Abbesses ou Blanche.
Réservations 01 42 33 42 03
ou sur www.manufacturedesabbesses.com

Les Témoins de Yann Reuzeau , assisté de Clara Leduc, avec Frédéric Andrau, Marjorie Ciccone, Frédérique Lazarini, Morgan Perez, Tewfik Snoussi et Sophie Vonlanthen, entourés de Goury (scénographie), Mathieu Morelle (création vidéo) et Elsa Revol (lumières).

Entretien avec Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène de la pièce, et Tewfik Snoussi, notamment interprète d’Hassan.