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Samedi 16 novembre 2019
« Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale. Olivier Le Cour Grandmaison
La Découverte
Article mis en ligne le 18 novembre 2019

par CP

« Ennemis mortels »
Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale

Olivier Le Cour Grandmaison (La Découverte)

Entretien avec l’auteur

Cinéma :
Noura rêve de Hinde Boujemaa (13 novembre 2019)

In Fabric de Peter Strickland (20 novembre 2019)

Théâtre avec le nouveau spectacle de la Compagnie Jolie Môme
L’exception et la règle de Bertolt Brecht (à partir du 22 novembre)

Et Here I Am de Hassan Abdulrazak,
au théâtre de la Commune avec Ahmed Tobasi du Théâtre de la Liberté de Jénine (28 novembre)

« Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale est une étude originale se basant sur de nombreuses sources pour mieux comprendre les représentations des musulman.es et de l’islam en France depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la guerre d’Algérie. Ce qui est particulièrement intéressant dans les ouvrages d’Olivier Le Cour Grandmaison [1], c’est la manière dont il examine les racines, les causes et les conséquences, en l’occurrence du racisme et du phénomène représentatif, bien au delà du constat. Il croise ainsi les représentations « convenues », « savantes » ou populaires que l’on trouve dans la littérature, les journaux, les revues, qui font de l’islam une religion dangereuse et des colonisé.es des êtres inférieurs et barbares.

Orientalistes, historiens, géographes, écrivains, médecins, juristes, ethnologues, sociologues ont en effet produit des écrits desquels dérivent des stéréotypes tenaces. Ce qui est d’ailleurs frappant, c’est la suffisance et la méconnaissance caractérisant les jugements soi-disant « scientifiques », les assertions péremptoires, voire les anathèmes et autres propos en cours, par exemple : « L’islamisme est synonyme de fanatisme », « d’intolérance et d’hostilité aux progrès », « Antisémitisme, islamophobie et racisme se conjuguent ici pour faire du “Juif” et du “Musulman” des ennemis qu’il faut vaincre afin de sauver la France de leurs influences délétères » ; ou encore « L’islamisme et l’israëlitisme [sic] sont deux frères sémites qu’il faut combattre » par la guerre matérielle et par la guerre intellectuelle. En 1931, Ferhat Abbas constate avec une certaine ironie : « Le fanatisme pour l’Islam est devenu comme le chameau et le palmier pour l’Algérie : il fait partie de la couleur locale. »

Malgré certaines voix dénonçant « l’incompétence des agents de l’administration coloniale et les préjugés souvent racistes et islamophobes des expatriés français », les méfaits de la colonisation, il n’en demeure pas moins que « tel démocrate […] vous dira qu’il ne considère pas les indigènes comme des hommes. » Guy de Maupassant n’est pas en reste et souligne que les colons arrachent le pays à la misère : « Il est certain que la terre, entre les mains de ces hommes, donnera ce qu’elle n’aurait jamais donné entre les mains des Arabes. » L’altérité des musulmans est ainsi « immédiatement jugée, indexée et expliquée par des défauts majeurs qui s’enracinent dans l’islam ». Véritable rempart contre la civilisation aux yeux de la plupart, l’islam développerait un fanatisme pour jeter les roumis « à la mer à coups de matraque ». Dans le même temps, Maupassant est fasciné par la sexualité des femmes, des « bêtes à plaisir » dont il parle dans sa correspondance et ses écrits. C’est le « triomphe du virilisme aussi, comme idéologie de la suprématie masculine sur la nature et les femmes, qui s’affirme et se renforce dans les territoires de l’empire. » Dans les colonies, tout est permis.

Mais les « appétits génétiques » supposés des musulman.es inquiètent et « l’islamophobie savante prospère ici sur la peur de sexualités incontrôlées, sur un sexisme et sur une homophobie dominante ». La débauche et les relations contre-nature seraient habituelles chez les « indigènes ». « La mentalité primitive des Arabes musulmans favorise des troubles psychologiques particuliers qui sont à l’origine de crimes nombreux, caractérisés par des violences extrêmes et souvent sexuelles. La conjonction de ces thèses racistes et islamophobes, constitutives d’un “régime de vérité” élaboré au sein d’institutions diverses et souvent prestigieuses, a contribué à forger de “l’indigène” mahométan une image particulièrement négative. »
Les diverses représentations négatives des arabes citées dans l’ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison font penser au livre de Jack Shahen, Reel Bad Arabs : How Hollywood Vilifies a People, titre que l’on pourrait traduire par « Des Arabes réellement mauvais : comment Hollywood avilit un peuple ». À travers plus de 900 films, cet universitaire états-unien a analysé comment le cinéma d’Hollywood, depuis ses débuts, montre à 95 % les Arabes comme étant tous musulmans, brutaux, barbares, fanatiques, haïssant les chrétiens, perpétuant ainsi des clichés et des stéréotypes communs.

Dans « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, il est aussi question de L’An V de la révolution algérienne de Franz Fanon sur les conditions de vie imposées aux Algérien.nes. « Confrontés à une “famine endémique”, au “chômage”, à “une morbidité importante”, à la guerre désormais, et affectés d’un “complexe d’infériorité” provoqué par le racisme et les discriminations systémiques subis depuis des générations, beaucoup d’entre eux sont condamnés à supporter l’existence qui leur est imposée. Les ressorts de ces attitudes sont moins religieux qu’économiques, sociaux, politiques et psychologiques ; in fine, ils sont liés à la nature particulière de l’exploitation et de la domination coloniales ».
On est loin, avec ce texte, de l’islamophobie savante et élitaire ou de l’islamophobie populaire. Mais des conceptions racistes et islamophobes qui ont fait florès, qu’en reste-t-il et où est-on à présent ?

Noura rêve
Film de Hinde Boujemaa (13 novembre 2019)

Depuis plusieurs années déjà, le cinéma tunisien nous offre des films de réflexion et d’une grande richesse créative, issus d’une expression libérée, cette année ne fait pas exception, bien au contraire. Le festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier présentait en octobre trois longs-métrages tunisiens, dont deux en compétition — Un fils de Mehdi M. Barsaoui, Les épouvantails du grand cinéaste Nouri Bouzid — et en avant-première, le film de Hinde Boujemaa, Noura rêve, sur nos écrans depuis le 13 novembre.

Tourné dans un quartier populaire de Tunis, le film suit une femme qui rêve de vivre ouvertement son amour avec Lassad, son amant. Mariée à Jamel, délinquant récidiviste, elle est en instance de divorce. Or, si la procédure de divorce est enclenchée, il manque encore cinq jours pour que le jugement soit définitif et, lorsque la grâce présidentielle accordée au mari emprisonné lui permet de sortir avant la fin de sa peine, cela complique la situation. Il faut éviter à tout prix l’accusation d’adultère punie, en Tunisie, d’une peine allant jusqu’à cinq années de prison.

La question du désir d’autonomie de Noura est au cœur du film. Partagée entre deux hommes, Jamel qui ne veut pas divorcer, Lassad qui ne comprend pas les hésitations de Noura et la pousse à partir avec cet ultimatum — « soit on est ensemble, soit c’est fini ! » —, Noura rêve
Noura rêve de Hinde Boujemaa est actuellement sur les écrans .

In Fabric
Film de Peter Strickland (20 novembre 2019)

Sur une bande son sublime — musique angoissante mixée avec un concert de voix qui se meut en brouhaha — In Fabric de Peter Strickland est certainement l’une des critiques les plus délirantes du consumérisme. Le lieu : un grand magasin de prêt à porter où d’étranges vendeuses, entre androïdes et prêtresses occultes, appâtent la clientèle durant le cérémonial des soldes.

C’est l’histoire d’une robe tueuse qui s’en prend à celles qui l’achètent… Et à partir de l’acquisition, survient une série d’événements inquiétants et inattendus, l’attaque d’un chien, l’apparition de marques sur la peau, l’emballement d’une machine à laver, le feu, et autres accidents maléfiques…

In Fabric de Peter Strickland offre des images proches de peintures qui rappellent Drowning By Numbers de Peter Greenaway, par la lumière et l’atmosphère baroque régnant dans le magasin. Une utilisation étonnante d’images arrêtées, un montage rythmé, des dialogues décalés et poétiques… C’est une vision surréaliste d’un temple de la consommation et le film est un monument d’humour horrifique…
In Fabric de Peter Strickland est à voir à partir du 20 novembre.

L’exception et la règle
de Bertolt Brecht par la Compagnie Jolie Môme

Une épopée didactique et ludique pour un thème universel : la justice

Du 22 novembre au 15 décembre, la compagnie Jolie Môme reprend la pièce de Brecht et l’immerge dans une actualité étonnante. La justice ? il y a de quoi dire !

Un marchand voyage à travers le désert en quête de pétrole… Ça commence comme ça et ça finit devant une cour de justice… Justice pour tous ? À voir !

Les vendredis et samedis à 20h30 – Dimanches à 16h
Théâtre de la Belle Étoile. 14 rue Saint Just à Saint Denis. M° Front Populaire
Réservations 01 49 98 39 20 - http//:cie-joliemome.org

Jeudi 28 novembre à partir de 19h

And Here I Am de Hassan Abdulrazak,
au théâtre de la Commune avec Ahmed Tobasi du Théâtre de la Liberté de Jénine

Entrée libre
Théâtre de la Commune 2 rue Edouard Poisson 93300 Aubervilliers
Inscription conseillée au 01 41 60 89 17 ou par mail : vialemonde@seinesaintdenis.fr

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine présentent la pièce de théâtre And Here I Am de Hassan Abdulrazzak, jouée par Ahmed Tobasi, du Théâtre de la Liberté de Jénine, retraçant son parcours. Production : Developing Artists. Mise en scène : Zoe Lafferty.
Cette pièce tragicomique vous transportera au cœur des épreuves et des combats d’un jeune Palestinien qui grandit sous l’occupation israélienne au camp de réfugiés de Jénine. Mêlant les faits et l’imaginaire, Ahmed Tobasi nous fait vivre la transformation qui conduit le combattant de la résistance armée à devenir artiste. Au long de son voyage de réfugié, il nous emmène de la Cisjordanie à la Norvège jusqu’à son retour en Palestine.