Chroniques rebelles
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Samedi 14 décembre 2019
Dyschroniques : À l’état de nature de Damon Knight. L’Examen de Richard Matheson. Les 100 films cultes de vampires d’Alain Pozzuoli. Cinéma : Après la nuit de Marius Olteanu. Au Cœur du monde de Gabriel Martins et Maurilio Martins
Article mis en ligne le 16 décembre 2019

par CP

Les Dyschroniques (le passager clandestin) :
À l’état de nature
Damon Knight

L’Examen
Richard Matheson
Les Dyschroniques (le passager clandestin)

Lecture d’extraits par Nicolas Mourer

Les 100 films cultes de vampires
Alain Pozzuoli (éditions Terre de brume).

Entretien avec l’auteur

Après la nuit
Film de Marius Olteanu (18 décembre 2019)

Au Cœur du monde
Film de Gabriel Martins et Maurilio Martins (18 décembre 2019)

À l’état de nature Damon Knight Les Dyschroniques (le passager clandestin)

Anticipation, humour, politique, tout est là déjà dans À l’état de nature, la nouvelle de Damon Knight écrite dans les années 1950. L’urbanisation à marche forcée pour le profit sans songer à l’avenir, la crise, l’agriculture industrielle et le miroir aux alouettes du "progrès" pour le capitalisme qui s’emballe. Il s’agit là de biotechnologie d’ADN. Il est toujours étonnant de constater à quel point les nouvelles rééditées par la collection des Dyschoniques du passager clandestin ont écho troublant avec les recherches actuelles.

Les mêmes préoccupations sont là, à la différence que les visions d’il y a plus d’un demi-siècle sont aujourd’hui réelles… La décroissance ? Pourquoi pas si c’est le moyen de sortir d’une logique du profit à court terme — fatalité capitaliste ¬— et de sauver la planète…

Quand la nouvelle de Knight paraît, en 1954, l’agriculture durable s’impose comme un sujet d’intérêt scientifique, mais la recherche a tendance à se concentrer sur le développement de nouvelles solutions chimiques. L’une des raisons de cette évolution tient alors à la conviction selon laquelle une forte croissance démographique mondiale inévitable créera bientôt des pénuries alimentaires, à moins que ne soient développées des technologies agricoles toujours plus avancées. Dans le même temps, les effets néfastes de l’agriculture intensive « moderne » suscitent un mouvement d’inquiétude croissant.

En 1954, paraît également La technique ou l’Enjeu du siècle de Jacques Ellul qui dénonce l’asservissement de l’homme à la technique et la fuite en avant de la société, livrée à l’obligation de dépassement, de progrès et de désacralisation de la nature. Dans les années cinquante, la folie des gratte-ciels reprend de plus en plus belle à New York et dans les grandes villes, et actuellement 82 % de la population états-unienne est urbaine.

Extraits : « Il y a trente ans, quand je suis arrivé dans cette Ville, les yeux pleins d’espoir, fils d’immigré vêtu d’une modeste tunique, la guerre contre les Bourbeux venait de se terminer. D’après vos livres d’histoire, nous avons gagné cette guerre. Mais je vais vous dire quelque chose : nous avons pris une bonne raclée ! […] À l’époque, nous les avions repoussés jusque dans l’Ohio. Et aujourd’hui, où sont-ils ? […] Nous avons perdu parce qu’aujourd’hui, nous sommes vingt millions... alors qu’eux sont cent cinquante millions. […]
Une vague d’effroi parcourut le groupe. Diamond n’osait pas rouvrir les yeux. […] “Rome est tombée. Babylone est tombée. La même chose peut arriver à New York. Ces sauvages illettrés vont continuer à se multiplier, d’année en année, de génération en génération toujours plus ignorants et avilis... et dans un siècle, ils représenteront la race humaine. Alors que New York”... » À suivre… À l’état de nature de Damon Knight (collection Les Dyschroniques, éditions le passager clandestin).
À la fin de la nouvelle, des informations sur l’auteur et la société états-unienne, sous le titre : Synchronique du texte…

L’Examen
Richard Matheson
Les Dyschroniques (le passager clandestin)

À partir de 60 ans, il s’agirait de passer un examen général de compétences, physiques et intellectuelles, pour être jugé.e bon ou bonne pour le service. Autrement dit : passer un examen de droit de vivre. Les inactifs ou inactives doivent faire la preuve qu’ils et elles ne sont pas un poids pour la société.

Il faut dire que la vieillesse dérange et que la jeunesse est synonyme de productivité. Les dérives dans ce cas sont terribles et finalement acceptées par la plupart dans les sociétés occidentales. On se souvient des pratiques nazies concernant aussi les personnes âgées comme les personnes déviantes. La nouvelle de Matheson fait penser au film d’Elio Petri, la Dixième victime, où le personnage principal cache ses parents pour éviter le recensement, ou bien sûr Soleil vert de Richard Fleischer, ou plus récemment l’Œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnersmarck sur la complicité scientifique du corps médical qui opérait dans les camps nazis.

Extraits :
« La veille de l’examen, Les aida son père à réviser dans la salle à manger. En haut, Jim et Tommy dormaient déjà, et dans le salon, Terry cousait, le visage dépourvu d’expression, enfonçant et tirant l’aiguille à petits mouvements vifs et rythmés. Tom Parker se tenait tout droit sur sa chaise, ses mains décharnées, aux veines saillantes, jointes sur la table, ses yeux bleu pâle rivés sur les lèvres de son fils comme si cela pouvait l’aider à mieux comprendre. Il avait quatre-vingts ans et en était à son quatrième examen.
“Bon, dit Les, penché sur les épreuves types que leur avait procurées le docteur Trask. Répète les séries de nombres suivantes.
— Série de nombres », murmura Tom en essayant d’assimiler les mots à mesure qu’il les entendait prononcer. Mais les mots ne se laissaient plus assimiler aussi vite ; ils semblaient s’attarder sur les tissus de son cerveau
 ». […]
« Si seulement il pouvait oublier le passé et prendre son père pour ce qu’il était à présent : un vieillard impotent, radoteur, qui leur gâchait la vie. Mais il était difficile d’oublier combien il avait aimé et respecté son père, difficile d’oublier les randonnées dans la campagne, les parties de pêche, les longues conversations le soir venu et toutes les joies qu’ils avaient partagées.

Voilà pourquoi il n’avait jamais eu le courage de signer la demande. Il ne s’agissait que de remplir un formulaire, d’une procédure des plus simples, beaucoup plus simple que d’attendre le retour de cet examen tous les cinq ans. Mais cela aurait signifié l’arrêt de mort de son père, le droit pour l’État de se débarrasser de lui comme d’un déchet. »

Les 100 films cultes de vampires
Alain Pozzuoli (éditions Terre de brume).

Après les nouvelles de Damon Knight et de Richard Matheson, nous entrons dans le monde des vampires avec la musique de la bande originale du film de Neil Jordan, Entretien avec un vampire, pour parler du livre d’Alain Pozzuoli dans lequel il rassemble 100 films cultes de vampires, et c’est publié aux éditions Terre de brume. La chanson du film, interprétée par le groupe Gunn N’ Roses, accompagne un zoom arrière absolument phénoménal de la caméra qui suit une voiture sur un pont de San Francisco, le Golden Gate sans doute. Le film fait partie des films cultes à plus d’un titre, l’histoire, L’interprétation des comédien.nes, la flamboyance du filmage, le montage, les effets sans grandiloquence ni gratuité par rapport au scénario… Bref c’est une façon de se mettre dans l’ambiance des films choisis, et puis Sympathy For the Devil (sympathie pour le diable), on est en plein dedans.

Il faut signaler qu’en plus d’être spécialiste de Bram Stoker et du vampirisme, Alain Pozzuoli est aussi scénariste de fictions radio, documentariste, parolier et un fan de l’Irlande. Son premier ouvrage, publié en 1989, Bram Stoker, Prince des ténèbres, donnait l’avant-goût des nombreuses anthologies dans ce domaine qui allaient suivre, même un livre de recettes de cuisine vampires, savoureux dans tous les sens du terme.

Pourquoi le mythe du vampire dans les chroniques rebelles ? On s’est déjà posé la question, mais parce que c’est avant tout le symbole de la transgression… Le mythe attire, sinon fascine, évidemment il a là le sang, la mort, le pouvoir, la solitude, l’éternité… Mais où est dieu dans tout ça ? Justement, il n’est pas là, sinon sous le symbole de la croix — disons au passage que c’est la représentation de la crucifixion et c’est un instrument de torture, — et cet objet ferait office de repoussoir pour les vampires. Les gousses d’ail, on peut le comprendre, mais la croix…

Ah le rapport à la religion ? Et puis ces êtres qui reviennent par delà la mort pour faire des adeptes, évidemment ça fait désordre et le diable doit certainement être complice.

Même la cinémathèque consacre une exposition étonnante aux vampires et à leur place sur les écrans, ce qui montre bien l’importance du mythe et sa représentation dans le cinéma fantastique. Cent films répertoriés qui ont marqué le genre par leur qualité, leur influence sur le genre, ou par leur résonance au moment de leur sortie, ou encore parce qu’introuvables à présent, par exemple Drakula Halala et London After Midnight. Alain Pozzuoli n’a pas oublié de mentionner quelques nanars, parce le thème, s’il est fantastique et subversif, n’est pas pour autant dépourvu d’humour et d’ironie…

100 films cultes de vampires par Alain Pozzuoli aux éditions Terre de brume, le bouquin offre un bel éventail du genre, dans de nombreux pays, mais cent films, c’est peut-être un peu court si l’on tient compte du nombre de longs-métrages de fiction qui existe sur le sujet, non ?

Entretien avec Alain Pozzuoli autour de son livre édité par Terre de brume :
Les 100 films cultes de vampires

Après la nuit
Film de Marius Olteanu (18 décembre 2019)

Comme l’écrit Gilles Tourman dans Divergences 2, Après la nuit est un « drame conjugal. Songeant à se séparer après dix ans de vie commune, Dana passe la nuit dans un taxi et Andrei entre les bras d’un homme. De façon inattendue, cet ultime échappée nocturne va les rapprocher. Un drame bien construit mais un peu lent sur fond d’une Roumanie raciste et homophobe. »

Le film se déroule en trois parties : Dana,la femme blessée, Andrei, le mari paumé, enfin la grand-mère et le couple. Des séquences croisées qui font le portrait d’une société roumaine déboussolée. On pense au film de Stephan Komandarev, Taxi Sofia, surtout durant la première séquence, qui se déroule en Bulgarie, la nuit.

À propos de la nouvelle vague roumaine, voici ce qu’en dit le réalisateur : « La Nouvelle Vague a représenté pour moi un retour au travail du jeu d’acteur, avec le désir de se rapprocher de la réalité, de la vie quotidienne. C’est sur cet aspect précis que je verrais le point de jonction entre Après la nuit et la Nouvelle Vague roumaine. »
Après la nuit de Marius Olteanu sera en salles le 18 décembre.

Au Cœur du monde
Film de Gabriel Martins et Maurilio Martins (18 décembre 2019)

Entre Rio et Brasilia, Contagem, qui jouxte Belo Horizonte, est une ville importante qui regroupe en grande partie une population pauvre et noire. « Belo Horizonte, c’est le Texas », dit une des chansons du film. En pleine fête d’anniversaire, un jeune homme est abattu. Une vengeance ? On ne sait pas, mais le meurtre aura des conséquences sur les vies de Selma, Ana, Marcos, Beto et Miro, qui veulent partir de la ville pour certains et certaines, améliorer leurs conditions de vie dans ce quartier « au cœur du monde », enfin gagner leur indépendance. Et parfois, cela passe par braquer de riches demeures hautement sécurisées. Parce qu’à Contagem comme dans toutes ces villes, il y a les très pauvres, les pauvres et les très riches qui s’entourent de vigiles et de murs.

Sur fond de musiques, les visages défilent, aucun exotisme là, juste le constat d’une population laissée pour compte. Les deux réalisateurs viennent de cet endroit et filment avec réalisme et empathie ce qu’ils connaissent, ce qu’ils vivent, ils montrent ainsi une réalité de l’intérieur. Gabriel et Maurilio Martins font un cinéma périphérique, un cinéma qu’on a pas l’habitude de voir, sans artifices ni exotisme.

« Nous vivons dans des limbes [dit Gabriel], distantes de tout et le transport que nous avons le plus utilisé dans notre vie est le bus. Cela induit une certaine perspective pour faire du cinéma. Faire du cinéma, se projeter à vivre du cinéma, n’a jamais été un choix facile. Il a fallu lutter beaucoup, cela a été clairement plus difficile que pour quelqu’un qui vit dans un centre-ville, pas seulement pour des questions économiques mais plus littéralement géographiques. Avoir vécu une adolescence dans un quartier comme le nôtre induit autre chose, y passer le week-end, s’y promener avec les gens, jouer à l’église... C’est une expérience qui a à voir avec la rue et la communauté. Je ne peux pas parler pour toutes les périphéries du Brésil, mais je pense qu’il s’agit là d’aspects communs. On retrouve une configuration de moindre investissement des pouvoirs publics, de pouvoir d’achat peu important de la population, une absence de figures de pères, un leadership féminin fort. Je vois la périphérie comme un lieu qui, aujourd’hui, peut amener de nouvelles pratiques, de nouvelles idées, de nouveaux personnages, de nouveaux corps, grâce à de nouveaux cinéastes, par-delà une histoire du cinéma restée jusque-là très bourgeoise.  »

Et pour faire ce cinéma différent, périphérique, ils et elles se sont mis à plusieurs cinéastes pour créer une maison de production. C’est d’autant plus important dans la situation actuelle du Brésil, « c’est effectivement un moment sombre [déclare Maurillo] où nous assistons à la destruction du pays, dont le cinéma fait évidemment partie. Il a fallu des années pour construire certaines choses : les politiques LGBT, la question identitaire, de genre, notamment. Avec Bolsonaro, la place des femmes est revenu trente ans en arrière. Il y a de quoi se décourager. Mais en aucun cas je vais arrêter de faire des films. »

Au Cœur du monde est soutenu tant par l’interprétation exceptionnelle des comédiens et comédiennes que par l’implication de la population.
Le cinéma périphérique brésilien, un nouveau cinéma brésilien passionnant, un autre cinéma, engagé, politique. Un vrai regard social et, comme les deux réalisateurs en font la remarque : le Brésil est immense et combien de Contagem existent dont on ne sait rien ?

En avant-première, ils ont commencé la présentation de leur film en donnant cette information : 9 jeunes tués par la police ce jour-là. Alors, certainement le film peut être regardé à la lumière du contexte politique brésilien actuel.
Au Cœur du monde de Gabriel et Maurilio Martins est dans les salles le 18 décembre.