Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Samedi 19 septembre 2020
Autour de Boris Vian
Article mis en ligne le 3 novembre 2020

par CP

Boris Vian… Pas question ici de jouer les biopics radiophoniques ou les commémorations, nous sommes sur Radio Libertaire… Alors, c’est plutôt une balade informelle à travers les chansons, les interprètes d’hier et d‘aujourd’hui, les anecdotes… Une balade musicale sans réelle chronologie, au hasard des coups de cœur et des rencontres improbables au détour de l’œuvre foisonnante, surprenante et jaillissante de Boris Vian.

Il est l’auteur de plus de 500 chansons, pas facile de faire un choix… Nous étions tiraillé.es entre les découvertes, les délires, la grâce des mélodies, les critiques corrosives de ce touche à tout sublime. Toutefois, une chose nous a frappé, c’est son originalité qui fait que chaque interprète a la liberté de faire de la chanson la sienne propre, que nombreux sont les textes qui ne sont pas marqués par une époque et pourtant, il faut le souligner, Vian est reconnaissable par cette inimitable façon d’observer avec humour, empathie, critique… et certainement il ne se prend pas au sérieux… C’est Vian quoi !

Tin Roof Blues
« Boris Vian, il suffit d’en lire trois lignes ou d’écouter un couplet pour se dire : tiens ça, c’est du Boris Vian. Ils sont pas nombreux ces écrivains pour qu’on puisse en dire autant généralement c’est écrit qu’ils sont les petits d’elle les plus passionnés parce qu’on les lisant on les entend parler lire viens lire Léautaud, lire la correspondance de Flaubert c’est vraiment être avec eux ils ne truquent, pas ils ne se déguisent pas, ils sont tout entier dans ce qu’il écrivent et ça ne se pardonne pas : Flaubert a été condamné, Vian a été condamné. » Delfeil du Ton, Charlie Hebdo, 1973.

Découvrir la carrière artistique de Boris Vian, c’est accepter de se perdre, de lâcher prise avec la toute-puissance linéaire de la biographie, de butiner à traverser multiples facettes et saisir ce qu’elle nous parle, nous touche, et parfois nous chamboule prise nos certitudes mais toujours de biais avec humour, poésie, art de la dérision.
Quand on essaie d’approcher Boris Vian, on se rend très vite compte qu’il n’est pas approchable, ou difficilement approchable dans la mesure où il a 30 pseudonymes. Alors parmi ces pseudonymes et je peux citer quelques-uns alors on a Bison Ravi, anagramme de Boris Vian, Xavier Clarke, Otto Link, Thomas Quan, Eugène Minoux, Gédéon Molle, Josèfe Pignerole, Adolphe Schmürtz, Lydio Sincrazi, Annatof…
Et bien d’autres encore... Alors pour le coup si on relève tous ses pseudonymes on peut parler d’une multiplication des identités, une forme de travestissement du nom d’auteur, une manière pour Boris Vian de brouiller les pistes du nom d’auteur une capacité à faire voler en éclats tout ce qui touche à l’identité, à la notion horrible d’état civil à celle d’appartenance des écrits à leurs auteurs. Avec les pseudonymes il remet littéralement en cause les conditions de production d’une oeuvre qui appartiendrait uniquement à son auteur. On a une espèce de boulimie pseudonymique qui est une sorte de généalogie pantagruélique si bien qu’on ne sait plus qui est qui, qui écrit quoi : Boris Vian ? Où est-ce que c’est encore quelqu’un d’autre pour mieux renverser les codes de la création ?

—  L’Âme slave, Rona Hartner

Il y a un critique littéraire a relevé 27 noms 27 pseudonymes très précisément et il y en aurait d’autres encore qui seraient réels ou supposés. Parmi ces pseudonymes il y a des métiers ou des vocations que Boris Vian à réalisé. On compte 22 figures de journalistes 4 figures purement littéraires, 2 femmes qui lui servent pour écrire des Chroniques de jazz et les autres pseudos lui servent majoritairement pour des articles de presse.
Comme Larry Portis l’écrit dans la Canaille histoire sociale de la chanson française, Boris Vian occupe sans doute une place à part dans cette chanson française. Son œuvre représente une réelle transition entre le renouveau de la chanson réaliste de l’après-guerre et le rock n’ roll.

—  Faux frères, Mathieu Boogaert & Dick Annegarn

Vian est le chéri des existentialistes de la rive gauche car il symbolise l’esprit zazou.

—  Natacha chien-chien, Lio

Vian renouvelle le style de Johnny Hess, Charles Trenet. Créateur de plus de 500 chansons. Il est surtout l’auteur des Chansons impossibles, les Joyeux bouchers, le Déserteur, Le Petit commerce & la Java des bombes atomiques qui déclenchent à leur sortie en 1955 de nombreuses polémiques.

—  La Java des bombes atomiques, Vian

Outre les nombreux artistes qui vont interpréter Le Déserteur, il faut dire que La Java des bombes atomiques va susciter également de nombreuses interprétations n’est-ce pas Nicolas ?

—  La Java des bombes atomiques, Olivia Ruiz

1945 est une année clé dans la vie de Boris Vian puisqu’il signe son premier contrat d’auteur. 1945 c’est aussi l’année où le président des États-Unis Harry Truman décide de larguer la première bombe sur Hiroshima le 6 août et la seconde le 9 août sur Nagasaki et ça Boris Vian ne l’a pas oublié, c’est le ciment de son antimilitarisme.

—  Le Conscrit, Mouloudji

Pour bien comprendre comment Boris Vian est devenu musicien et jazzman il faut remonter à l’enfance et à la relation qu’il avait avec sa mère qui était d’ailleurs musicienne.

—  Blouse du dentiste, Henri Salvador

Elle a été dans une obsession de surprotection vis-à-vis de Boris Vian pour une raison simple : en 1932 tomber malade et le verdict des médecins est sans appel, Boris Vian souffre d’insuffisance cardiaque et il ne dépassera pas les 40 ans. L’angoisse de sa mère et démultipliée. Il en fera la description dans l’Arrache-cœur à travers le personnage de Clémentine qui est tellement anxieuse à l’idée qu’il arrive quelque chose à ses trois enfants Joël Noël et Citroën elle supprime tout ce qui pourrait être une source de danger à tel point qu’il ne reste plus rien qu’un monde vide presque aseptisé. La mère de Boris Vian ne laissait sortir Boris que pour aller à l’école et le reste du temps il reste cloîtré à la maison. Il ne pouvait pas sortir avec ses copains donc il a eu l’envie de se créer un autre monde à l’intérieur du monde dans lequel sa mère l’avait enfermé. Et au fond du jardin, il construit une vaste salle dans laquelle avec ses frères ils vont organiser dans un premier temps des surprises-parties et dans un second temps ils vont fonder leur première formation, l’Accord Jazz, en 1938 et c’est véritablement là que Boris Vian révèle ses premiers talents de musicien.

—  Mozart avec nous, Vian

Ce qu’il y a de frappant chez Boris Vian c’est la multiplicité des vocations, des métiers qu’il a exercé en seulement 39 ans de vie : écrivain, chanteur, parolier, critique musical, trompettiste, directeur artistique ; il a même été ingénieur diplômé de l’École Centrale, scénariste, traducteur, conférencier, peintre. De fait il y a une difficulté d’appréhension du personnage : est-ce que c’est un génie touche-à-tout, un ultra polyvalent, un adaptable suraigu ? Il y a la fois chez lui la traduction du génie qui rompt avec l’expertise et de l’autre, une sorte de magicien qui est capable de passer d’un métier à l’autre avec une facilité qui est déconcertante. Et à mon sens, tous ces métiers toutes ces vocations qu’il a pu exercer reflètent une forme de désinvolture et en même temps de mélancolie, à la fois de dérision et en même temps d’angoisse. Il n’y a pas de trajectoire linéaire chez Boris Vian, il n’y a pas de fil rouge.

—  Barcelone, Vian
—  Barcelone, Thomas Fersen

Vian fait chanter des pointures de la variété française tel Maurice Chevalier à qu’il fait dire des paroles inoubliables : « Elle avait 20 ans, c’était la fine fleur de la culture française, un bas-bleu qui sera en même temps une orchidée perverse poussée sur le tronc ravagé du baobab de la décadence », interprétée par le gars de Ménilmontant complètement dépassé par le texte fait de Pan Pan Pan poireaux pommes de terre une chanson comique.

—  Pan Pan Pan poireaux pommes de terre, Maurice Chevalier

Dans J’suis snob en 1954, la Complainte du progrès en 1955, et la Java martienne, il allie la critique caustique et l’humour grave de Georges Brassens à l’ironie de Trenet.

—  J’suis snob, Michel Delpech

Après j’suis snob, toujours aussi incisif et observateur, Boris Vian s’amuse avec les mots et les tabous, cela donne Bourrée de complexes

—  Bourrée de complexes, Carmen Maria Vega & Merlot

Une des plus belles interprétations de Boris Vian, Je bois

—  Je bois, Vian

Au fond, personne n’a osé dire ou prétendre que Boris Vian était un dilettante, un artiste superficiel. Aucun critique ne s’est permis de dire une chose pareille. La raison est assez simple : tout ce que Boris Vian a approché, de près ou de loin, depuis la littérature jusqu’au cinéma en passant par la chanson et même ses études d’ingénieur, il l’a fait à fond. Chaque domaine, chaque centre d’intérêt devient une passion, un amour fusionnel, et c’est ce qui va se passer pour le Jazz. Le Jazz pour Vian, c’est un amour inconditionnel, une relation extrême : il le critique, il le défend, il le joue, il le fabrique, il le produit.
Ça commence dès qu’il découvre Duke Ellington, vers 1934. Et là, il va à des dizaines de concerts, il s’abonne à la revue Jazz Hot. Et comme il est totalement dans ce qu’il fait, il va très vite devenir talentueux et donner ses premiers concerts.
À Saint-Germain des Prés, tout le monde le connaît, et il va être très vite perçu comme celui qui crée des liens entre les arts. Il n’y a pas la littérature d’un côté, les chansons de l’autre, non, Boris Via ne se laisse pas cloisonner de cette façon. Le jazz lui sert pour la musicalité des phrases : Boris Vian, c’est un jazzman de l’écriture, les sonorités s’entrechoquent, les jeux de mots renversent le style que l’on attendait, les phrases sont au bord de la syncope, il y a une stylistique musicale qui traverse toute l’œuvre de Boris Vian. Tout est condensé, l’art dans tout chez Boris Vian. Quand on meurt à 39 ans et surtout lorsqu’on en a le pressentiment, il n’y pas le temps d’être tiède, pour faire dans l’à peu près ou produire quelque chose de moyen, non, il faut être brûlant, incandescent, absolu. Boris c’est l’incarnation de la fureur de vivre à Saint-Germain des Prés. Sa chanson Monsieur le jazz, aurait très bien pu s’appeler Monsieur Jazz tout court. Boris Vian, c’est le jazz en personne. Comment refuser une histoire d’amour avec le jazz ? Impossible !

—  Monsieur le jazz, Lambert Wilson

L’ironie revient au galop quand il passe du jazz au rock, il faut dire qu’il excelle dans les deux genres, bien qu’il ait pensé que le Français n’était pas la langue idéale pour le rock and Roll. Rock and Roll-Mops et on pense évidemment au film de Frank Tashlin (1956), The Girl cant Help it (La Blonde et moi)… Un film qui se moquait du Rock and Roll.

—  Rock and Roll-Mops, Didier Wanpas

Difficile de ne pas parler cinéma dans cette balade musicale autour de Boris Vian, d’autant qu’il est décédé au cours de la projection privée de l’adaptation de son film j’irai cracher sur vos tombes par Michel Gast. Une adaptation dont l’idée l’avait tout d’abord emballé, car le livre avait déclenché scandales et procès pour « outrage aux mœurs », mais dont la réalisation le laissait insatisfait. L’histoire, écrite sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, se déroule dans le Sud des États-Unis et se présente comme un roman policier dont Vian serait le traducteur.
J’irai cracher sur vos tombes met en scène la vengeance d’un métis à la suite du lynchage de son frère, pour dénoncer le racisme dont sont victimes les Africains américains.
C’est un tout autre récit que celui qui forme la trame du cinématographe : souvenir de cinéma, souvenir de la découverte du cinématographe…

—  Le cinématographe, M

Même dans son rapport à la séduction, Boris Vian cherchait toujours l’humour, la tendresse et la poésie. Il refusait catégoriquement la galanterie très française et totalement poussiéreuse. Lorsqu’il séduit Ursula Kubler, il le fait avec cette simple question : « Bonjour Madame, connaissez-vous la pataphysique ? » Vian définissait la pataphysique comme la science des pommes de terre. Cela peut faire sourire mais Ursula est tombée sous le charme.

—  Ses baisers le grisaient, Nana Mouskouri

Juliette Greco a elle-même été totalement séduite par Boris Vian : « Boris est on frère, mon psy. Je le trouvais beau, mystérieux, étrange. L’idée de ce cœur qu’il avait trop gros à la fois physiquement et mentalement, dont il est mort d’ailleurs, me bouleversait. Il me faisait asseoir sur le canapé, il mettait son bras autour de moi et il me parlait, pendant des heures. »
Boris Vian est un musicien génial et un merveilleux mélodiste, dont les interprètes se réapproprient les chansons avec un même bonheur… Et voilà de Nana Mouskouri à Émiliy Loiseau :

—  Ses baisers le grisaient, Émily Loiseau

Dans les années 1950, il s’est battu pour trouver sa place. Le racisme, la bureaucratie, l’armée, toutes les mailles du filet qui enferme la société dans le rejet, l’oppression, la domination, il n’a pas peur d’en parler, mais toujours avec un humour subversif qui n’est pas frondeur, ou revanchard mais plutôt un humour qui sape de l’intérieur, qui fait vaciller les codes dans laquelle la société est cloitrée. Et il va prendre à bras le corps et avec beaucoup de finesse le sujet délicat de la prostitution.
Rue des ravissantes, c’est un recueil de scénarios qui va faire date aussi bien dans l’écriture, sur scène que dans la chanson. Plus précisément, c’est une sorte de recueil projet rédigé en trois étapes : d’abord une simple esquisse, puis un scénario, enfin une comédie musicale qui va totalement mettre à plat les moralisateurs de l’époque, toutes celles et tous ceux qui prétendent avoir des solutions clés en main contre la prostitution.
Rue des ravissantes : les ravissantes, ce sont les prostituées. Ce qui est de prime abord intéressant, c’est que le nom de Vian, V-I-A-N, se retrouve dans le titre A-V-I-N. Cette inclusion du nom de Boris dans le titre de son œuvre est une façon de se rallier à la cause des prostituées. Le titre désigne une fiction et en même temps il dit la vérité de la fiction : « Moi Boris, je suis aux côtés de celles que l’on oppresse. »
Rue des ravissantes c’est d’abord un personnage qui donne immédiatement le ton : Le personnage un sénateur, président de la Toute Puissante Commission de la Protection des Mœurs : Corentin Brisdâne. Pour construire son personnage, Vian s’est inspiré de Daniel Parker, le fameux activiste du Cartel d’action sociale et morale qui a attaqué Boris pour outrage aux bonnes mœurs lors de la sortie de J’irai cracher sur vos tombes. Le personnage de Corentin Brisdâne est un véritable Père-la-pudeur, totalement hypocrite. Les ravissantes sont les prostituées que Brisdâne veut chasser du quartier.
Rue des ravissantes a donné lieu à de nombreuses chansons dont une : Nana’s Lied, que l’on pourrait traduire en français par Ode à Nana. C’est une chanson de rue, une chanson populaire qui a eu un écho retentissant puisque de nombreuses interprètes se sont appropriés paroles et musique : Arlette Téphany, Teresa Stratas, Ute Lemper, Diane Tell et une interprétation fabuleuse de Catherine Sauvage. Catherine Sauvage est sans doute l’interprète qui porte au plus juste les convictions de Boris Vian, dans les paroles bien entendu, mais aussi dans cette voix, presque venues des opprimées, des celles et ceux que l’on considère comme importuns ou gênants. Catherine Sauvage c’est une voix, à la fois profonde et inspirée qui met en lumière et qui rend visible celles et ceux dont la parole a été dérobée.

—  Nana’s Lied, Catherine Sauvage

Les années 1950 voient la prolifération des objets de consommation. Le symbole le plus fort, c’est le salon des arts ménagers. Et Boris Vian va bien entendu s’emparer du sujet pour en faire une critique, ou plutôt une satire, c’est-à-dire un texte entre jeux de langage fantaisistes et dénonciation virulente de la société de consommation.
Tu crois qu’on est revenu dans les années 50 ?
Je pense, oui !

—  Complainte du progrès, Juliette

L’interprétation et l’orchestration de la chanson Quand j’aurai du vent dans mon crâne par Mademoiselle K. revisitent la chanson de Boris Vian dans un style pop-rock totalement débridé. Je trouve que le brio de Mademoiselle K., est de balancer la chanson à l’instinct en offrant un délire punk-rock que Boris aurait adoré, c’est évident. C’est une artiste qui met souvent les pieds dans le plat, elle pose cette question qui pourrait être une des clés pour explorer la vie de Boris Vian, comme pour nombreuses artistes libertaires d’ailleurs : l’art est-il fait pour être beau ou interpeler ? Mademoiselle K. répond à cette question avec une chanson qui n’est pas évidente à écouter, mais le parti pris est clair : « je suis libre de m’exprimer comme je l’entends. » Et cette liberté, c’est celle de Vian, « je ne me soumettrai pas aux codes, au Diktat, au besoin je chanterai faux, mais je proposerai une vision radicalement autre de ce monde aliéné. » Boris Vian est un clown, c’est-à-dire un être qui ne cherche joue à la perfection le fait de ne pas être parfait. C’est génial.

—  Quand j’aurai du vent dans mon crâne, Mademoiselle K

C’est une chanson contre la religion. Toute son œuvre est d’ailleurs traversée par l’anticléricalisme, il le dit lui-même : « Simagrées, Chansonnettes, jolis costumes… Le catholicisme et le music-hall, c’est du pareil au même. »
Ou bien encore « Supprimez le conditionnel et vous aurez détruit Dieu. » Vian ne supportait pas les intermédiaires. Il y une forme de solitude assumée qui revendique la mort de façon physique. Du moins, c’est en ce sens qu’il en parle : les os, le crâne, le foi, le phosphore mou, le nez, les cheveux. La Charogne de Baudelaire n’est pas très loin.
Serge Reggiani a pris réellement conscience de l’aspect labyrinthique, multiforme, gigantesque de l’œuvre de Vian, ça ne fait aucun doute. Et il a pris plaisir à s’y perdre, à s’y noyer.

—  Quand j’aurai du vent dans mon crâne, Serge Reggiani

Boris Vian est la représentation moderne d’un minotaure que personne ne pourra jamais abattre. Vous pouvez essayer toutes les pistes du labyrinthe, vous trouverez toujours Boris Vian prêt à vous désarmer par son humour, son humanisme et sa folie.
Le politique (1954) raconte l’arrestation d’un militant politique. Le temps de descendre l’escalier de son immeuble entre « deux uniformes », l’homme imagine la question, la torture... et son silence. Mouloudji l’interprète, parmi bien d’autres chansons politiques.
Ils m’ont remis dans la cage

Ils reviennent tous les jours

Ils veulent que je leur parle [...]
Je me moque de menaces

Je me moque de vos coups.

—  Le Politique par Mouloudji

Le Petit commerce est aussi une chanson de Boris Vian qui a été écrite en 1955 et Boris Vian la dédie ainsi en préambule : Pour consoler Monsieur Poujade, l’histoire d’un artisan qui é réussi. Pierre Poujade était un homme politique populiste de l’époque alors très réactionnaire pour le coup ; l’ironie de Boris Vian est absolument mordante car il épingle aussitôt les marchands d’armes et les véritables enjeux des guerres.
Canons à vendre
Ça donne de l’ouvrage
Nos bons ouvriers
Et chacun envisage
De fonder un foyer
Et leurs enfants iront en cadence
Crever pour quelques francs

—  Le Petit commerce par Boris Vian

L’antimilitarisme et le pacifisme de Boris Vian se retrouvent ici comme dans le célèbre Déserteur, qui a été censuré et toujours autant chanté d’ailleurs, mais aussi dans des chansons qui sont tout aussi critiques et virulentes comme Allons enfants (1952), interprétée par Mouloudji, et À tous les enfants, créée par Catherine Sauvage et reprise par Joan Baez en 1983.

—  À tous les enfants par Joan Baez

Dans les Joyeux bouchers, il établit un parallèle entre les abattoirs, le militarisme et la consommation de viande. « Il faut que ça saigne » dit le refrain appuyé par le final, « Tiens voilà du boudin, voilà du boudin ! »

—  Les Joyeux bouchers par Boris Vian

Le Déserteur est une lettre ouverte, profondément antimilitariste, adressée au président de la République au début de la guerre d’Algérie, officiellement désignée comme « événements d’Algérie » ou « pacification ». Le texte, écrit début 1954 — trois mois avant Diên-Biên-Phú — n’est finalement enregistré par Boris Vian qu’en avril 1955. C’est l’une des chansons les plus populaires et les plus censurées de la chanson française. Qui ne l’a jamais fredonnée malgré les interdictions sur les ondes ou à la télévision ? La chanson prône une insoumission active. Mouloudji en fait une adaptation en 1954, mais le texte s’adresse aux « messieurs qu’on nomme grands » et non au président. L’incitation à la désertion est quelque peu gommée car la première strophe se termine par « Les guerres sont des bêtises, le monde en a assez » au lieu du « Je m’en vais déserter » de l’original. Et, détail important, la chute de la chanson. Initialement, la chanson se terminait par « prévenez vos gendarmes que j’emporte des armes et que je sais tirer », fin jugée certainement trop subversive remplacée par « prévenez vos gendarmes que je n’aurai pas d’arme et qu’ils pourront tirer ».
Face au scandale suscité par Le Déserteur, Vian juge les réactions exagérées : « On reproche à ma chanson d’être antimilitariste. Je n’en sais rien et d’ailleurs je ne le crois pas. Je ne sais qu’une chose, c’est qu’elle est violemment pro-civile. »
Le Déserteur est encore jugé trop sulfureux en 1991, pendant la première guerre du Golfe, et sa diffusion est interdite sur les antennes des télévisions et des radios nationales pour cause d’implication de l’armée française dans les bombardements contre l’Irak.
Et je dirai aux gens :
« Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
 »
Le Déserteur est toujours d’actualité, mais il est vrai que le texte, comme l’orchestration, sont intemporels. Peter, Paul & Mary – groupe emblématique du Protest Song aux États-Unis — la chantent en français en 1964, Richard Anthony dans une version yé-yé en 1966. Et la chanson continue ses pérégrinations. Renaud en transforme le texte de manière personnelle en 1983 (Je vous fais une bafouille/Que vous lirez sûrement/Si vous avez des couilles) sous le titre Déserteur.
On la retrouve dans sa version originale interprétée par Serge Reggiani. Serge Utgé-Royo en donne une version manouche dans son double album Contrechants... de ma mémoire, en « hommage au Boris musicien de jazz ».

—  Le Déserteur par Serge Utgé-Royo

Générique de fin :
Par ordre de passage sur les ondes des Chroniques rebelles de Radio libertaire :
Tin Roof Blues
L’Âme slave par Rona Hartner
Faux frères par Mathieu Boogaerts & Dick Annegarn
Natacha chien-chien par Lio
La Java des bombes atomiques par Boris Vian
La Java des bombes atomiques par Olivia Ruiz
Le Conscrit par Mouloudji
Blouse du dentiste par Henri Salvador
Mozart avec nous par Boris Vian
Barcelone par Boris Vian
Barcelone par Thomas Fersen
Pan Pan Pan poireaux pommes de terre par Maurice Chevalier
J’suis snob par Michel Delpech
Bourrée de complexes par Carmen Maria Vega & Merlot
Je bois par Boris Vian
Monsieur le jazz par Lambert Wilson
Rock and Roll-Mops par Didier Wanpas
Le cinématographe par M
Ses baisers le grisaient par Nana Mouskouri
Ses baisers le grisaient par Émily Loiseau
Nana’s Lied par Catherine Sauvage
La Complainte du progrès par Juliette
Quand j’aurai du vent dans mon crâne par Mademoiselle K
Quand j’aurai du vent dans mon crâne par Serge Reggiani
Le Politique par Mouloudji
Le Petit commerce par Boris Vian
À tous les enfants par Joan Baez
Les Joyeux bouchers par Boris Vian
Le Déserteur par Serge Utgé-Royo