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Samedi 17 avril 2021
Léo Frankel, communard sans frontières. Julien Chuzeville (Libertalia). La contre-révolution en marche – Écrits politiques 1930-1934 de Boris Souvarine par Charles Jacquier (préface) et Julien Chuzeville (postface) (Smolny)
Article mis en ligne le 18 avril 2021

par CP

Léo Frankel, communard sans frontières
Julien Chuzeville (Libertalia)

La contre-révolution en marche – Écrits politiques 1930-1934
Boris Souvarine (éditions Smolny)

Textes rassemblés et annotés par Charles Jacquier (préface) et Julien Chuzeville (postface).

Ce sont deux livres importants pour la prise de conscience, la mémoire des luttes et les liens historiques à tisser avec aujourd’hui.

Léo Frankel, communard sans frontières
Julien Chuzeville (Libertalia)

Léo Frankel. Communard sans frontières de Julien Chuzeville est la première biographie écrite en français sur Léo Frankel, activiste internationaliste et militant de la Première Internationale. « L’émancipation des classes laborieuses du joug tant social que politique n’est pas une tâche qu’il serait possible de résoudre dans les mots de telle ou telle langue, mais bien plutôt une tâche internationale, autrement dit une tâche commune à tous les pays », écrit-il en 1870, et cette conviction anime son engagement, sa vie durant.

Né en Hongrie, Léo Frankel s’exprime dans plusieurs langues, ouvrier orfèvre, correcteur, journaliste, il travaille en Autriche, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France. Il connaît pour la première fois la prison sous le Second Empire et, pendant la Commune de Paris, il est le premier étranger élu à la commission du Travail. Jean-Baptiste Clément voit en Frankel l’un des hommes les plus intelligents et les plus dévoués de la Commune. Outre ses connaissances et son honnêteté, il travaille sur le terrain, fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, et voit dans le journalisme une sorte de sacerdoce.

Dans ce récit de vie et des idées, Julien Chuzeville s’appuie sur une recherche large dans les archives, la correspondance et les articles de Frankel, mais ce qu’il rend surtout avec brio, c’est la présence d’un homme qui a lutté toute sa vie pour l’autoémancipation mondiale des travailleurs et des travailleuses, avec cependant une lucidité étonnante : « Nous ne devons pas oublier que la Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »

Cet ouvrage passionnant a certes pour cadre la Commune et son rôle majeur dans l’histoire du mouvement ouvrier, mais il retrace aussi l’itinéraire d’un militant dans un temps fondateur des idées et des engagements. L’auteur décrit des protagonistes historiques, des courants de pensée, de même que les oppositions, les doutes, les échecs, les différents parcours politiques que croise Léo Frankel, sans pour autant céder à un quelconque mythe. La Commune serait, par exemple, un mouvement révolutionnaire « tronqué, à la fois par ses limites géographiques, par les ambitions réduites d’une bonne partie de ses élus, enfin par sa durée ».

Avec Léo Frankel. Communard sans frontières, Julien Chuzeville réalise une fresque sociale saisissante, qui nous immerge dans le foisonnement des idées et des courants politiques de cette fin du XIXe siècle, dont Léo Frankel est en quelque sorte le fil conducteur, et certainement un extraordinaire passeur d’idées au plan international. Toutefois, comme le souligne Chuzeville, Léo Frankel n’est ni un martyr ni un symbole, c’est simplement un militant.

Julien Chuzeville est également l’auteur de Fernand Loriot, le fondateur oublié du Parti communiste (L’Harmattan, 2012), Militants contre la guerre 1914-1918 (Spartacus, 2014), Zimmerwald, l’internationalisme contre la Première Guerre mondiale (Démopolis, 2015), Un court moment révolutionnaire. La création du Parti communiste en France (Libertalia, 2017).

La contre-révolution en marche – Écrits politiques 1930-1934
Boris Souvarine (éditions Smolny)

Textes rassemblés et annotés par Charles Jacquier (préface) et Julien Chuzeville (postface).

Boris Souvarine est un militant qui fait preuve, comme Léo Frankel, de fidélité à ses principes. Sa vie est marquée par des moments historiques importants : la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique de 1917 et l’émergence du stalinisme. Après avoir été l’un des fondateurs du Parti Communiste en 1920, il s’oppose directement à Staline en dénonçant de l’intérieur les dérives de l’Union soviétique. Exclu du PC en 1924 pour s’être opposé à son tournant autoritaire, Souvarine transforme en 1930 son groupe d’opposition en un Cercle communiste démocratique dont l’intitulé même dit toute l’originalité. L’année suivante, il fonde la revue La Critique sociale qui aura, entre autres, pour collaborateurs Georges Bataille, Karl Korsch, Michel Leiris, Raymond Queneau, Colette Peignot, Simone Weil.

L’intérêt de ses écrits entre 1930 et 1934 tient à la « pertinence de ses analyses et à la justesse de ses critiques, en particulier si on les met en regard des positions de la gauche de son temps. » Il cherche à « exposer la réalité soviétique obscurcie par la légende soviétiste après avoir été déformée par la campagne contre révolutionnaire. » Une critique révolutionnaire qui analyse la nature des oppressions, outre la dictature stalinienne. C’est d’ailleurs à cette époque qu’il écrit, Staline, aperçu historique du bolchevisme, modèle de lucidité qui paraît en 1935.

Dans ce recueil sont regroupés des articles de fond et une sélection de notes de lecture parus dans La Critique sociale. De même qu’un ensemble de textes sur le communisme démocratique et le projet de fondation d’un nouveau parti. Ce sont ensuite ses articles dans Le Travailleur, et la dernière partie est consacrée à ses articles concernant la solidarité avec les révolutionnaires persécutés en URSS. Une belle écriture, il faut le souligner, pour des textes critiques et sans concessions.
Boris Souvarine est l’un des auteurs publiés sous le titre Vers l’autre flamme de Panaït Istrati (1929) , Vers l’autre flamme de Panaït Istrati, Soviets 1929 de Victor Serge et La Russie nue de Boris Souvarine. Troisième volume où il écrivait : « La situation des catégories sociales privilégiées du régime actuel : nous l’avons noté succinctement, à propos de l’habitation, du salaire, du chômage, de l’instruction, il existe en URSS des privilèges pour certaines minorités constituant les piliers de l’État. […] Il suffit de savoir les rapports entre le parti bolchévik de nos jours et la masse prolétaire pour constater une divergence profonde entre leurs intérêts respectifs, pouvant aller jusqu’à la rupture. Si cette rupture se consomme, aucun plan de cinq ou de quinze années n’enrayera la montée du capitalisme : au contraire, tout plan d’industrialisation la favoriserait […] Chaque année écoulée avec un communisme en parole sans communistes en actes compromet ses possibilités de survivre à la stabilisation du capitalisme international comme révolutions à tendances socialistes. » Analyse on ne peut plus claire.


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