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Samedi 24 juillet 2021
Arthur Cravan. La terreur des fauves de Rémy Ricordeau. La conspiration des belettes de Juan José Campanella. Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari. Maudit ! d’Emmanuel Parraud. True Mother de Naomi Kawase. Milla de Shannon Murphy. L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese. Digger de Georgis Grigorakis
Article mis en ligne le 12 juillet 2021
dernière modification le 28 août 2021

par CP

Arthur Cravan
La terreur des fauves

Rémy Ricordeau (L’Échappée)

La conspiration des belettes de Juan José Campanella (21 juillet 2021)

Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari (21 juillet 2021)

Maudit ! d’Emmanuel Parraud (21 juillet 2021)

True Mother de Naomi Kawase (28 juillet 2021)

Milla de Shannon Murphy (28 juillet 2021)

L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese au cinéma le 28 juillet.

Digger de Georgis Grigorakis au cinéma le 21 juillet.

Arthur Cravan
La terreur des fauves

Rémy Ricordeau (L’Échappée)

Le poète-boxeur, comme il aime à se présenter, est un précurseur du mouvement Dada, de même que la manière dont il joue avec les médias, le showbiz et la publicité. En avance sur son temps, il l’est certes lorsqu’il décrit New York : « c’est une ville qui est construite pour les masses, pour canaliser les foules : l’individu disparaît. » Voilà une critique avant l’heure des mégapoles avec un écho surprenant dans nos préoccupations contemporaines. Arthur Cravan l’imprévisible passe sans transition du charmeur à l’infréquentable. Il débarque à Paris très jeune et, grâce à sa première compagne, il est très vite une vedette dans les milieux artistiques.
Rémy Ricordeau le décrit ainsi : « Dandy volontiers cynique (au sens de Diogène), il se fait souvent remarquer dans les cafés littéraires et salons artistiques où il aime exhiber son physique d’athlète et jouer de la provocation : “Qu’il vienne celui qui se dit semblable à moi que je lui crache à la gueule.” »

Entretien avec Rémy Ricordeau

Trois films sur les écrans depuis le 21 juillet
La conspiration des belettes de Juan José Campanella (21 juillet 2021)
Onoda de Arthur Harari (21 juillet 2021)
Maudit ! d’Emmanuel Parraud (21 juillet 2021)

Et des films en sortie nationale le 28 juillet
True Mothers de Naomi Kawase (28 juillet 2021)
Milla de Shannon Murphy (28 juillet 2021)
L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese (28 juillet 2021)

La conspiration des belettes de Juan José Campanella (21 juillet 2021)

Le film commence dans une salle de projection privée de la maison de Mara Ordaz, très grande actrice des années 1960-1970. Elle visionne un bout à bout de ses succès lorsqu’elle était jeune et au sommet de sa gloire. On pense évidemment à Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, d’autant que la comédienne Graciela Borges adopte ses attitudes et son look. Autour d’elle, la propriété tombe en déliquescence, et lorsqu’elle se redresse son image actuelle se superpose à la Mara jeune sur la pellicule.

Mara vit dans sa maison, tout à fait baroque et emplie de souvenirs de sa grande époque, entourée de son mari, devenu paraplégique, de son metteur en scène et de son scénariste, ces derniers étant veufs. Son mari a toujours vécu dans son ombre et continue de l’adorer. Les deux autres dépendent d’elle, tout en ayant contribué à sa gloire, et la tension est palpable, ils ne se supportent plus et Mara leur lance de temps à autre : « Je vous déteste ! ». Il n’empêche que la vie continue par le biais des habitudes : le metteur en scène fait un carton sur les rats qui envahissent la maison et les belettes qui attaquent le poulailler, le mari — ancien comédien — peint et sculpte à l’infini son modèle adulé, Mara. Les trois hommes sont complices, tandis que Mara leur promet de remonter sur scène en menaçant de vendre la maison. Par petites touches, quelques allusions au passé révèlent que le scénariste et le metteur en scène se sont réfugiés dans la maison, peu de temps après la prise de pouvoir des militaires argentins et l’installation de la dictature. Le metteur en scène était blacklisté pour un projet de film sur les travailleurs agricoles.

Arrive un jour un couple d’agents immobiliers qui, par la flatterie, tentent de séduire et manipuler Mara pour la pousser à vendre la propriété. L’affaire est juteuse puisque le projet est de construire un complexe immobilier. Mara, qui n’attendait que ça, tombe dans le panneau, mais son époux hésite. La jeune agente s’empresse alors de s’extasier devant les œuvres de celui-ci et arrive à le convaincre. En revanche, les deux autres ne sont pas dupes des manœuvres du couple très entreprenant.

Se greffent alors sur l’intrigue des secrets qui refont surface, c’est le cas de le dire, cela accélère le récit et brouille les pistes. Il y a l’histoire d’un bracelet que lui offrait un sultan dans un film, le comédien jouant à être épris de Mara dans la vie, alors que son mari tenait le rôle de l’eunuque ! Difficile à avaler, et sujet de discorde même après toutes ces années, d’autant que le réalisateur était responsable de la situation : il avait fait le choix du casting. Bref, le bracelet, les statues, les deux épouses disparues, le couple d’arrivistes aux dents longues… Cela donne des scènes construites comme une partie d’échecs aux répliques hilarantes et aux rebondissements surprenants.

La conspiration des belettes de Juan José Campanella est une comédie grinçante, à l’humour décapant et aux dialogues savoureux, sans oublier les silences, les non-dits et les rebondissements époustouflants. Le film est servi et interprété par de très grands comédiens, notamment Oscar Martinez (Norberto, le metteur en scène) qui a joué dans les Nouveaux sauvages et Citoyen d’honneur ; Luis Brandoni (Pedro), inoubliable dans Un Coup de maître. Juan José Campanella réussit une comédie acide, à l’humour ciselé, qui évoque la dictature militaire, attaque le libéralisme : « L’important, c’est de gagner.
— Vous avez es amis ?
— Je n’ai pas de temps pour l’amitié.  »

« Une fin de merde » ? Fondu au noir… « Non un moment ! » Ne partez pas trop vite. La fin est double et inventive.
La conspiration des belettes de Juan José Campanella au cinéma depuis le 21 juillet 2021. Un régal d’humour !

Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari (21 juillet 2021)

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la défaite du Japon est certaine, néanmoins sur ordre d’un major de l’école militaire, le jeune Hiroo Onoda est envoyé en mission sur une île des Philippines, peu de temps avant le débarquement états-unien, avec ordre de former un groupe de soldats pour harceler l’ennemi. De défaite, il n’est évidemment pas question, de se sacrifier non plus, mais d’être autonome et de survivre quoiqu’il arrive. Pris entre cette contradiction — l’obéissance absolue à la hiérarchie militaire et l’obligation d’être son propre chef — le soldat Onoda se sent d’autant plus responsable et inébranlable dans sa volonté de ne jamais se rendre. Il forme ainsi quelques hommes suivant une doctrine révélée par le major : la guerre secrète. La fidélité à l’empire et le refus de se rendre se perpétue durant vingt neuf ans pour Hiroo Onoda, avec la certitude que sa hiérarchie ne l’abandonnera pas et viendra le rechercher, lui et ses hommes, après la victoire.

Vingt neuf ans plus tard, l’arrivée d’un bateau sur l’île se répète, mais cette fois c’est un jeune homme qui débarque, un routard venu rencontrer Onoda dans la jungle. Le jeune homme connaît son histoire de même que son refus d’accepter la réalité : la reddition du Japon et la fin des hostilités. Pour Onoda, le devoir est de survivre et de mener une forme de guérilla contre la population philippine qui en paye le prix fort. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de confrontation avec les soldats états-uniens, juste la vision, au loin, de bombardements, d’un bateau militaire ancré de l’autre côté de l’île et d’un paquet de cigarettes Lucky Strike flottant sur un ruisseau. Lorsqu’une délégation japonaise, accompagné par son père, est venue sur l’île et a lancé des messages pour confirmer la fin de la guerre, des journaux ont été laissés sur place, une radio pour informer le groupe, mais rien n’y a fait. Onoda est convaincu qu’il s’agit de propagande ennemie et qu’il doit rester fidèle aux ordres de la guerre secrète. « J’ai été formé pour une mission » ne cesse-t-il de répéter.

Après presque trente ans, Onoda est seul, deux de ses compagnons ont été tués et le troisième est parti. En entendant la chanson que lui et son groupe chantaient, il se méfie et s’approche du routard en le menaçant de son arme. Il refuse tout ce que lui offre le jeune homme et dit qu’il ne peut arrêter la guerre sans l’ordre de son supérieur.

Pour exprimer ce refus de déposer les armes, malgré les appels à la fin de la guerre, et décrire cette expérience de survie dans la jungle, le réalisateur explique son obsession, avec son frère chef opérateur, « d’attraper quelque chose de réel ; le film devait devenir une expérience de réalité. Les corps étaient là ; les mains étaient là ; la nature était là. Il y a quelque chose d’une captation. […] Il fallait que la pluie tombe sur les spectateurs. Là encore, un équilibre entre l’harmonie classique et un aspect direct, immersif [était nécessaire] pour créer une expérience particulière du temps et de l’espace. »

Cette histoire réelle a suscité de nombreux débats au Japon, et ailleurs, car si ce soldat, qui a refusé de capituler durant presque 30 ans, est considéré par certains comme un héros, d’autres le voient comme une victime de l’éducation militaire et des mythes guerriers inculqués à de jeunes recrues. Il faut également souligner que la fascination du public pour Onoda « a été utilisé comme un symbole, admirable aux yeux des conservateurs nationalistes, du japon qui ne regrette pas son passé colonialiste et guerrier. » De même, dans les nombreux débats qui ont pris place dans les médias, « très peu d’attention a été portée aux dommages subis par les habitants de l’île de Lubang alors qu’une trentaine de cas d’homicide ont été répertoriés. » Et le film d’Arthur Harari le montre bien avec les destructions de récolte par les soldats, l’exécution d’un paysan et la logique de l’assassinat de la jeune Philippine. Pas question de laisser des témoins en vie.
Héros, victime ? Ce qui est certain c’est que la guerre est une horreur.
Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari au cinéma le 21 juillet 2021 .

Maudit ! d’Emmanuel Parraud (21 juillet 2021)

Après bien des années, Alix revient sur l’île de la Réunion, qui semble toujours imprégnée par une histoire brutale et douloureuse, présente en parallèle de la réalité. Au fur et à mesure de la progression du film, le récit bascule dans une forme symbolique pour remonter aux origines. Son ami Marcellin disparaît dans la forêt qui borde la maison, revient couvert de sang pour disparaître à nouveau dans les hauteurs sauvages de la Réunion.

Alix part à sa recherche, tout en se demandant s’il n’est pas responsable des blessures de son ami, alors qu’il était sous l’emprise de l’alcool. Le récit progresse alors entre deux mondes, le réel et celui où les fantômes du passé s’imposent, avec les violences de l’esclavage et du colonialisme. Un brouillard, un nuage recouvre l’île pour marquer le passage d’un monde à l’autre, comme un tunnel, et tout devient étrange. Le visiteur mange soudain du verre, l’alcool fait partie des visions. L’histoire de l’île est envahie par le souvenir des abus, des massacres et de la violence, Maudit en représente de manière allégorique les marques, les terreurs et les non-dits.

Possédé par les esprits d’esclaves surgis du passé, Alix est placé en cellule, soupçonné de la disparition de Marcellin : « il n’y a pas de clémence. Ton copain est mort. » À la recherche du corps, les policiers sont massacrés à la machette par les esprits des anciens esclaves. Au milieu du carnage, Alix ne comprend rien, et c’est à ce moment qu’une question lui est posée, absurde, grotesque, provocante : « Tu l’aimes la France ? » Visions des massacres tandis que le flux de la cascade est inversé et remonte au sommet de la montagne…

Maudit est un film qui questionne par les images, les silences, les histoires croisées et le personnage principal perdu entre les visions du passé et les paysages chargés de mystères, dont il ne décrypte pas la charge historique. Le passé colonial et l’esclavage forment la trame de cette histoire, une narration originale et déconcertante.
Maudit ! d’Emmanuel Parraud au cinéma le 21 juillet 2021)

True Mothers de Naomi Kawase (28 juillet 2021)

Liés à la jeune mère qui a porté leur fils adoptif et l’a mis au monde, Satoko et son mari gardent une image convenue de Hikari, jeune lycéenne enceinte de son premier amour. Aujourd’hui, le petit garçon a 6 ans, la vie de la famille tourne autour de cet enfant protégé et Satoko, en mère attentive, est à l’écoute de son fils. Lorsqu’Asato est accusé d’avoir poussé un camarade, elle choisit de le croire lorsqu’il affirme de ne pas avoir provoqué la chute de son camarade de classe. Il entre bientôt à l’école primaire et c’est le moment de lui révéler qu’il a été adopté, on lui parle de sa mère biologique, Satoko lui lit une lettre de sa maman d’Hiroshima. L’enfant est né sur une île où une association recueille les mères inaptes, trop jeunes ou vivant dans des conditions difficiles pour être en mesure d’élever un enfant. C’est là que l’adolescente va connaître une autre vie jusqu’à son accouchement. C’est la première fois qu’elle se sent entourée d’affection, ce qu’elle n’a jamais ressenti au sein de sa famille. Sa mère est dure et semble seulement s’intéresser à la réussite de sa fille aînée.

De retour chez elle, après l’adoption de son bébé, c’est une jeune fille mutique, en souffrance qui se sent jugée, rejetée par une famille préoccupée uniquement par le qu’en dira-t-on. Hikari retourne sur l’île pour supplier la responsable de l’association de rester, mais malheureusement celle-ci doit fermer et la jeune fille doit repartir. Elle s’installe à Tokyo, vend des journaux et, peu à peu l’adolescente devient une jeune fille, sans toutefois perdre sa candeur. Après quelques mésaventures, Hikari, malgré ses hésitations, décide de reprendre contact avec la famille adoptante.
Rarement un film a montré avec une telle subtilité la décision, d’un côté, d’adopter un bébé et, par ailleurs, la pression, les faits qui poussent une mère à abandonner son bébé, volontairement ou non. Le sentiment d’appartenance que ressent la mère pour son futur bébé durant sa grossesse, l’évolution du lien intime avec son enfant après l’accouchement, l’émotion ressentie alors font d’une relation simple et indéfinissable, différente pour chaque mère, le pivot du film de Naomi Kawase.

C’est aussi le drame d’une adolescente en recherche d’attention et de tendresse dans une famille qui ne lui en accorde guère, rêvant de partager un amour juvénile avec l’être aimé. Enceinte à 14 ans, c’est évidemment l’opprobre familial, le jeune amant fuit en s’excusant et la gamine est vite écartée de sa vie scolaire. N’intervient alors aucune empathie de la part de sa sœur aînée ou d’une tierce personne, seulement le recours au mensonge pour cacher la « honte » d’avoir eu des relations sexuelles et d’attendre un enfant.

True Mothers de Naomi Kawase est un film bouleversant, qui renvoie à la question de la maternité : mère adoptive qui désire ardemment un enfant, mère biologique qui, volontairement ou obligée, abandonne son enfant. Elle a cependant construit des liens avec le bébé. En l’occurrence, l’adoption consentie par Hikari s’est faite sous la contrainte et la pression familiale. La solitude et la candeur de la jeune Hikari, trop jeune et sans soutien, en font l’éternelle victime, de ses parents, du serment d’amour éternel de l’amant, de la copine de boulot, des parents adoptants de son enfant, couple équilibré, parfait et presque trop « lisse » qui lui colle une étiquette d’éternelle lycéenne. Six années ont passé pendant lesquelles, la jeune fille a évolué, du moins a tenté de changer son apparence pour éviter les coups du sort.

Dès le début du film, à la fois déroutant et très descriptif au son sur un plan de mer, la problématique du lien fugitif et profond entre une adolescente et son bébé s’installe, comme suspendu et en exergue du déroulé du film. C’est ensuite, dans la première partie du film, le récit de la décision d’adoption de Sakoto et de son époux, la recherche de moyens et les circonstances pour y parvenir, la nouvelle vie du couple avec leur enfant. Jusqu’à la tentative de la mère biologique qui se rebelle contre la fatalité d’être toujours la victime, après avoir encore une fois été prise pour une idiote qui subit. Elle réagit alors très maladroitement et demande aux parents de son fils de l’argent, mais le père refuse en l’accusant de mentir et de ne pas être la mère, il la menace de la dénoncer pour chantage. Dans cette scène, ce qui est le plus frappant, c’est l’assurance du père du fait de sa position sociale, d’une part, et la fragilité de la jeune fille, d’autre part, qui essaye vainement d’endosser une attitude qui n’est pas la sienne.

True Mothers met en scène trois femmes de générations différentes, trois classes sociales, et elles expriment toutes les trois le sentiment de maternité avec un respect troublant : La jeune mère biologique, la mère adoptive et la directrice de l’association qui avoue ressentir un sentiment maternel pour toutes les jeunes femmes venues se réfugier sur l’île.

True Mothers de Naomie Kawase est un très beau film, dramatique en regard du questionnement et de la réflexion qu’il génère. On pense au film d’Ida Lupino, Not Wanted (Avant de t’aimer), récemment sorti sur les écrans en copie restaurée, qui abordait également avec finesse la question du double abandon, celui de l’amant et celui de l’enfant. Ce n’est peut-être pas un hasard si deux femmes cinéastes ont, avec une telle profondeur et une telle complexité, traité ces questions à des époques et dans des sociétés différentes.

Satoko et son mari sont liés pour toujours à Hikari, la jeune fille de 14 ans qui a donné naissance à Asato, leur fils adoptif. Aujourd’hui, Asato à 6ans et la famille vit heureuse à Tokyo. Mais Hikari souhaite reprendre contact avec la famille, elle va alors provoquer une rencontre…
True Mothers de Naomi Kawase au cinéma le 28 juillet.

Milla de Shannon Murphy (28 juillet 2021)

Lorsque Milla croise Moses sur un quai de gare, il la regarde et lui dit : « tes cheveux sont comme des bracelets ». La rencontre est improbable et magique entre cette jeune fille de 17 ans, atteinte de cancer, et ce garçon à peine plus âgé, qui se drogue et deale des médicaments. Tout les sépare, à commencer par le milieu social, le père de Milla est psychiatre, Anna, la mère, vraiment larguée, est pianiste. Mais si les parents s’inquiètent de cette relation avec leur fille, Moses est peut-être le seul qui ne la regarde pas comme une malade.

Le film est construit en chapitres, le récit étant rythmé par des réflexions et la progression d’une histoire qui oscille entre le rire et les émotions — la voisine enceinte qui appelle son chien Henry comme le psychiatre, l’anniversaire, la scène de karaoké, la mère et la fille jouant ensemble, la fête chez un copain…

Milla est hospitalisée, la mère cesse de prendre des calmants et le père se fait un shoot de morphine en disant « ce n’est pas le moment de perdre les pédales ! On est en train de la perdre. Qu’est-ce qu’on va faire ? » Et la mère d’ajouter : « Comme parents, on pourrait faire mieux. »

Il est frappant de voir à quel point la jeune fille est plus mature que ses parents, désemparés par la situation. Milla lutte contre la maladie et lorsqu’elle revient de l’hôpital, Moses s’installe auprès d’elle, tandis que les parents se réfugient dans le déni de la mort de leur fille. Moses veille Milla qui lui dit « je ne supporte plus ce corps. Je souffre de plus en plus. J’ai besoin que tu m’aimes, je ne peux plus respirer. » Elle s’éteint dans la nuit.
Le film se termine sur la plage : une réminiscence de Milla qui demande à ses parents de prendre soin de Moses : « j’aimerais faire partie d’un ciel aussi beau » dit-elle… Et l’écran tourne au rose.
Milla de Shannon Murphy au cinéma le 28 juillet 2021

L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese (28 juillet 2021)

Inspiré de l’histoire de sa grand-mère, le troisième film Lemohang Jeremiah Mosese a tout du conte et de la parabole dans un contexte de lutte d’une communauté vivant au cœur des montages du Lesotho, une lutte contre la construction d’un barrage qui va submerger son village et la vallée des larmes.

Le Lesotho est un petit pays enclavé dans le territoire de l’Afrique du Sud, mais il est riche en eau pure du fait de son environnement montagneux, alors évidemment l’exploitation de cette eau est une aubaine pour une exportation vers l’Afrique du Sud. Mais cela a pour conséquence la disparition des villages des hauts plateaux et l’obligation pour la population d’abandonner leurs lieux de vie, leurs coutumes ancestrales et leur auto suffisance pour aller grossir la masse des miséreux des villes. Mantoa est la doyenne de l’un de ces villages et elle seule s’élève contre le projet et le rouleau compresseur du capitalisme représenté par la compagnie exploitante. Pour elle, il s’agit de préserver l’histoire du village, les esprits du cimetière, l’héritage de la population… Mantoa a 80 ans et elle ne craint rien. Si certains la considèrent folle, elle n’en demeure pas moins déterminée et se dresse littéralement contre l’inéluctable, le déplacement de la population. Son exemple de résistance, malgré l’intimidation, l’incendie de sa maison, réveille un sentiment de rébellion que la résignation des villageois semblait avoir étouffé.

Pour le réalisateur, qui a vécu cet exil, le film est « une observation sur la vie et la mort. Les premiers murmures du film viennent d’une parabole que j’ai écrite et qui parlait d’un prophète muet qui ne pouvait prononcer ses prophéties. […] Lorsqu’il ouvrait la bouche, de la grêle et des grenouilles en jaillissaient. […] D’une certaine manière, cela illustre bien la difficulté que je ressens en tant que créateur, pour communiquer mes idées d’une façon intelligible et accessible. Avec L’Indomptable feu du printemps, j’ai ressenti comme un immense océan d’idées. Je suis heureux de pouvoir dire que nous avons réussi à en réaliser quelques-unes dans notre film. » Un océan d’idées certes et une expression sublime par les images et les sons d’une histoire qui tient du mythe.

Impression renforcée par la comédienne interprète du rôle de Mantoa, qui est d’une beauté impressionnante, captivante par sa noblesse et sa force. Elle envahit l’image et le paysage, en même temps qu’elle se confond avec la terre et les plantes. Mantoa construit, sans en avoir conscience, une légende, celle de la résistance.
L’Indomptable feu du printemps a reçu le Prix spécial du jury au festival Sundance 2020.
L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese au cinéma le 28 juillet.

Digger de Georgis Grigorakis au cinéma le 21 juillet.


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