Chroniques rebelles
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Samedi 31 juillet 2021
L’Autre côté des nuages d’Alain Joubert (Ab Irato). Négritude et judéité. Balades en noir et blanc de Maurice Dorès. Le Soupir des vagues de Kôji Fukada. Messe basse de Baptiste Drapeau
Article mis en ligne le 12 juillet 2021
dernière modification le 28 août 2021

par CP

L’Autre côté des nuages
Alain Joubert (Ab Irato)

Négritude et judéité
Balades en noir et blanc

Maurice Dorès (les Indes savantes)

Le Soupir des vagues de Kôji Fukada (4 août 2021)

Messe basse de Baptiste Drapeau (4 août)

Surréaliste, auteur, poète et passionné de cinéma, Alain Joubert est venu à plusieurs reprises dans les chroniques rebelles, notamment pour son livre fascinant et magnifique, Le cinéma des surréalistes aux éditions Maurice Nadeau. De même, pour présenter ses textes publiés par les éditions Ab Irato, dont le Passé du futur est toujours présent et L’Autre côté des nuages.

Il intervient aussi dans le film de Rémy Ricordeau sur Benjamin Perret, Benjamin Péret, poète c’est-à-dire révolutionnaire.

Chroniques de la boîte noire (aux éditions Maurice Nadeau) vient de paraître avec des images-échos de Nicole Espagnol. Mais je voudrais revenir sur le Passé du futur est toujours présent, pour lequel nous nous étions amusés à réaliser une bande son avec plusieurs complices, dont les éditions Ab Irato.
Que dire d’autre que vive le cinéma… et Salut Alain !

Négritude et judéité
Balades en noir et blanc

Maurice Dorès (les Indes savantes)

Peut-on dire que les Juifs noirs ou les Noirs juifs renouvellent aujourd’hui un « dialogue » entre Noirs et Juifs, établi des siècles auparavant. C’est le thème central de ces balades en noir et blanc, de l’Afrique à New York, en passant par Paris et Tel Aviv, autour de la musique omniprésente et de la culture dans les domaines de la négritude et de la judéité.

Maurice Dorès porte ici un regard nourri de nombreuses rencontres après la publication de son essai, La Beauté de Cham, un regard curieux sur les évolutions et les échanges entre deux univers. Quels sont en effet les liens culturels à découvrir dans ces balades ? Selon Aimé Césaire, la négritude se définirait par les caractéristiques et les valeurs culturelles des populations noires. Quant à la judéité, elle serait un lien de filiation et de transmission. Finalement, on peut se demander ce qui prime dans les définitions : les coutumes, la culture, la religion ?

Ces balades en noir et blanc font ressortir le croisement des cultures, leurs évolutions multiformes, les échanges et les voyages, la spontanéité des rencontres, hors les barrières et les murs… Sans pour autant écarter, au-delà de la richesse des liens culturels, des imaginaires et des mythes, les manipulations historiques, passées, présentes et futures…

L’été Fukada :
Kôji Fukada sur les écrans : Au-revoir l’été (9 juin), Sayonara (11 août), L’Infirmière (25 août)…

Le Soupir des vagues de Fukada (4 août)
Le soupir des vagues, ou anciennement , est un film tout en paraboles. Il y a d’abord la recherche de la jeune Sachiko en visite auprès de sa famille japonaise installée à Sumatra. Après les retrouvailles, Sachiko part en quête d’un endroit photographié par son père. La prise de vue est particulière, comme prise d’un bunker, mais la recherche, si elle est primordiale pour la jeune fille, s’avère difficile sinon improbable. Dans le film, elle est la seule étrangère et a une perspective intéressante pour comprendre et observer la société, elle est en quelque sorte le fil conducteur de l’histoire. Dans son entreprise de retrouver cet endroit, son cousin et ses ami.es indonésiens vont spontanément l’aider comme si le groupe se connaissait depuis longtemps. Fouiller le passé est sans doute douloureux pour beaucoup, alors que la population a vécu l’expérience du tsunami qui a ravagé l’île il y a dix ans.

Entre temps, les médias font état d’un homme mystérieux, peut-être japonais, qui a échoué sur une plage, il serait plus juste de dire qu’il a littéralement émergé de la mer, vivant et silencieux. Qui est cet étranger « soupiré » par les vagues, d’où vient-il et comment a-t-il survécu ? Fascinés par son comportement, les gens l’ont surnommé Laut, « il n’est pas humain, vient d’un autre univers, avec des codes et des valeurs autres, qui font que celle des humains n’ont aucune importance pour lui. Son monde se tient au dessus et a bien plus à voir avec celui de la Nature ».

Une des amies du groupe rêve de devenir journaliste et part filmer cet homme au comportement extraordinaire avec Sachiko, qui semble être la seule à le comprendre et à pouvoir communiquer. Le reportage, qui montre les pouvoirs de Laut est confié à une animatrice journaliste, celle-ci promet de défendre le sujet. Mais, en fait, elle se l’attribue et le diffuse sur une chaîne tout en organisant une conférence de presse autour du mystérieux visiteur venant de la mer, or celui-ci se lève et part sans plus se préoccuper des médias.

En revanche, il va être d’une influence majeure sur les histoires personnelles de chacune et chacun : « le rôle, prépondérant, de cet étranger était pour autant conçu pour rapprocher leurs personnages, c’est sa fonction pure : déclencher des événements mais tout en restant observateur de ce qui se passe. [Il] symbolise la Nature qui agit sans se soucier de l’espèce humaine, qui peut autant les sauver que les détruire. Je comprend très bien [explique le réalisateur] que ce film puisse faire écho à ce qui s’est passé à Fuskushima, mais j’ai voulu inviter les spectateurs à aller au-delà de cet exemple, et qu’ils [et elles] s’interrogent sur ce qu’est une catastrophe naturelle et plus encore sur le fonctionnement de la Nature.  » Sachiko retrouve l’île avec ses ami.es et l’endroit exact d’où son père a pris le cliché.
Le Soupir des vagues accorde au cinéma une valeur de poésie mystique avec une très grande fluidité de la narration.
Le Soupir des vagues de Kôji Fukada sur les écrans le 4 août 2021.

Messe basse de Baptiste Drapeau (4 août)

Messe basse est un film fantastique tourné en huit clos. Une veuve vit seule dans une maison bourgeoise (style Psychose), et entretient une relation d’amour fou avec son défunt compagnon, officier de marine. Elle lui parle, conserve des objets lui appartenant, joue sa musique, le décrit continuant à peindre, comme il le faisait auparavant entre deux escales. Élisabeth (interprétée par Jacqueline Bisset — La Nuit américaine de François Truffaut, entre autres films) choisit de louer une chambre à une étudiante, qu’elle entraine peu à peu dans son fantasme de vie de couple perpétué et sublimé.

Julie, (jouée par Alice Isaaz), est d’abord surprise, puis se prend au jeu, sans doute plus satisfaite d’une relation imaginaire que par celles qu’elle connaît dans la réalité. Mais la mascarade a des règles que Julie ignore et, très vite, il en résulte une tension de plus en plus pesante et c’est l’affrontement entre les deux femmes qui se disputent l’amour d’un homme défunt. On pourrait y voir une passion inspirée du surréalisme, mais c’est peut-être plus un sentiment de jalousie et de culpabilité qui apporte des ingrédients susceptibles de faire craquer cette ambiance bourgeoise, policée et hors du temps, laissant entrevoir la personnalité de chacune des deux femmes.

« Je voulais [explique Baptiste Drapeau] rendre le film le plus intemporel possible en le stylisant au maximum : façonner une maison hors du temps, mélanger les objets anciens avec les objets modernes... C’est un peu la même chose avec la géographie. La ville où se déroule l’histoire n’est jamais nommée. J’ai volontairement éclaté l’espace en mélangeant des éléments a priori incompatibles : une maison que l’on ne trouve pas en ville, un campus qui jouxte un fleuve, des déplacements tantôt en bateau, tantôt à pied, tantôt en tramway. Il est par exemple impossible de savoir si le cimetière est proche ou loin de la maison. L’espace de la maison devait être plus distinct que le monde extérieur. C’est pourquoi toutes les séquences en extérieur sont très elliptiques. » La même rigueur se retrouve dans la lumière et la composition des couleurs : « avoir le moins de couleurs possible à l’intérieur d’une image. Cela renforce son atmosphère et son aspect graphique. Je suis très influencé par le cinéma d’animation où la couleur de chaque détail relève d’un choix. »

Entre réalité et hallucinations — la bande son y est aussi pour beaucoup — les fantasmes s’inversent avec la réalité… Et c’est le coup de force de ce premier film de Baptiste Drapeau, jusque dans l’étalonnage du dernier plan qui joue l’illusion à merveille. Le fantastique serait-elle une nouvelle tendance ? Peut-être. Mais qui s’en plaindrait s’il est de cette qualité ?
Messe basse de Baptiste Drapeau au cinéma le 4 août


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