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Samedi 28 août 2021
Léo Frankel. Communard sans frontières de Julien Chuzeville. La Contre-révolution en marche. Écrits politiques de Boris Souvarine. Chers camarades d’Andrei Konchalovsky. Il Varco de Federico Ferrone & Michele Manzolini. Un Triomphe d’Emmanuel Courcol
Article mis en ligne le 28 août 2021

par CP

Léo Frankel
Communard sans frontières

Julien Chuzeville (Libertalia)

et
La Contre-révolution en marche
Écrits politiques

De Boris Souvarine
Une édition établie par Charles Jacquier et Julien Chuzeville (Smolny)

Entretien avec Julien Chuzeville.

Chers camarades
Film d’Andrei Konchalovsky (1er septembre 2021)

Il Varco
Film documentaire de Federico Ferrone & Michele Manzolini

(1er septembre 2021)

Un Triomphe d’Emmanuel Courcol (1er septembre 2021)

Léo Frankel
Communard sans frontières

Julien Chuzeville (Libertalia)

Léo Frankel. Communard sans frontières de Julien Chuzeville est la première biographie écrite en français sur Léo Frankel, activiste internationaliste et militant de la Première Internationale. « L’émancipation des classes laborieuses du joug tant social que politique n’est pas une tâche qu’il serait possible de résoudre dans les mots de telle ou telle langue, mais bien plutôt une tâche internationale, autrement dit une tâche commune à tous les pays », écrit-il en 1870, et cette conviction anime son engagement, sa vie durant.

Né en Hongrie, Léo Frankel s’exprime dans plusieurs langues, ouvrier orfèvre, correcteur, journaliste, il travaille en Autriche, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France. Il connaît pour la première fois la prison sous le Second Empire et, pendant la Commune de Paris, il est le premier étranger élu à la commission du Travail. Jean-Baptiste Clément voit en Frankel l’un des hommes les plus intelligents et les plus dévoués de la Commune. Outre ses connaissances et son honnêteté, il travaille sur le terrain, fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, et voit dans le journalisme une sorte de sacerdoce.
Dans ce récit de vie et des idées, Julien Chuzeville s’appuie sur une recherche large dans les archives, la correspondance et les articles de Frankel, mais ce qu’il rend surtout avec brio, c’est la présence d’un homme qui a lutté toute sa vie pour l’autoémancipation mondiale des travailleurs et des travailleuses, avec cependant une lucidité étonnante : « Nous ne devons pas oublier que la Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. » Cet ouvrage passionnant a certes pour cadre la Commune et son rôle majeur dans l’histoire du mouvement ouvrier, mais il retrace aussi l’itinéraire d’un militant dans un temps fondateur des idées et des engagements. L’auteur décrit des protagonistes historiques, des courants de pensée, de même que les oppositions, les doutes, les échecs, les différents parcours politiques que croise Léo Frankel, sans pour autant céder à un quelconque mythe. La Commune serait, par exemple, un mouvement révolutionnaire « tronqué, à la fois par ses limites géographiques, par les ambitions réduites d’une bonne partie de ses élus, enfin par sa durée ».

Avec Léo Frankel. Communard sans frontières, Julien Chuzeville réalise une fresque sociale saisissante, qui nous immerge dans le foisonnement des idées et des courants politiques de cette fin du XIXe siècle, dont Léo Frankel est en quelque sorte le fil conducteur, et certainement un extraordinaire passeur d’idées au plan international. Toutefois, comme le souligne Chuzeville, Léo Frankel n’est ni un martyr ni un symbole, c’est simplement un militant.

« Si l’on veut vraiment juger la Commune, il faut d’abord poser le fait que la population de Paris, qui a fait la révolution du 4 septembre, s’adossait au même droit le 18 mars 1871 ; que la révolution du 18 mars a été reconnue par la population parisienne, la majorité ayant voté en faveur de la Commune ; que la Commune fut l’expression de la population parisienne, constituant de fait un corps légal ; que la Commune de Paris n’a jamais voulu se poser en maître de la France ».

La Contre-révolution en marche
Écrits politiques de Boris Souvarine

Une édition établie par Charles Jacquier et Julien Chuzeville (Smolny)

Boris Souvarine est un militant qui a fait preuve, comme Léo Frankel, de fidélité à ses principes. Sa vie est marquée par des moments historiques importants : la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique de 1917 et l’émergence du stalinisme. Après avoir été l’un des fondateurs du Parti Communiste en 1920, il s’oppose à Staline et aux dérives de l’Union soviétique.
L’intérêt de ses écrits entre 1930 et 1934 tient à la « pertinence de ses analyses et à la justesse de ses critiques, en particulier si on les met en regard des positions de la gauche de son temps. » Il cherche à « exposer la réalité soviétique obscurcie par la légende soviétiste après avoir été déformée par la campagne contre révolutionnaire. »

Ce recueil des principaux textes de Boris Souvarine entre 1930 et 1934 couvre sa période « communiste démocratique », la plus originale et la plus pertinente de l’auteur, pendant laquelle il défend un marxisme non-léniniste. Exclu du PC en 1924 pour s’être opposé à son tournant autoritaire, Souvarine transforme en 1930 son groupe d’opposition en un Cercle communiste démocratique. L’année suivante, il fonde la revue La Critique sociale qui aura notamment pour collaborateurs et collaboratrices Georges Bataille, Karl Korsch, Michel Leiris, Raymond Queneau, Colette Peignot, Simone Weil. Ces textes de Souvarine proposent une critique révolutionnaire, opposée à toutes les oppressions dont la dictature stalinienne. Il écrit à cette époque : Staline, aperçu historique du bolchevisme, livre critique qui aura des difficultés à paraître en 1935.
Entretien avec Julien Chuzeville

Chers camarades
Film d’Andrei Konchalovsky (1er septembre 2021)

Chers Camarades ! relate la répression d’un mouvement social en 1962 dans le Sud de l’URSS. Une grève est déclenchée à la suite de l’annonce d’une baisse des salaires par le « camarade directeur » dans une usine de locomotives. Une manifestation s’organise avec drapeaux rouges et portraits de Lénine pour demander des comptes aux responsables, mais contre toute attente, on tire sur la foule à balles réelles. Bilan : 26 victimes et 87 blessés. Le massacre doit passer sous silence et la ville est placée sous couvre feu.

Le noir et blanc nous ramène à un cinéma soviétique mythique. Andrei Konchalovsky note d’ailleurs être influencé par le magnifique Quand passent les cigognes. Le récit commence le 1er juin 1962, au moment où la grève est déclenchée. La baisse des salaires est inacceptable alors que les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter et que le rationnement s’amplifie. La grève surprend les autorités, complètement dépassées : une grève est impensable en régime soviétique ! Si le XXème congrès a dénoncé les procédés du système stalinien — l’URSS est alors dirigée par Nikita Khrouchtchev —, on en est toutefois pas à les abandonner et à accepter des revendications ouvrières. Il faut mater le soulèvement. Chers Camarades ! fait le constat de la permanence du système soviétique, toujours présent dans les différentes arcanes de l’autorité, et pointe les désaccords entre l’armée, la bureaucratie et le KGB.

C’est aussi une peinture de l’état d’esprit et de la dévotion vis-à-vis du système politique et du formatage par la propagande soviétique. Lyudmila, membre du Parti Communiste et nostalgique du stalinisme, fait partie de ces personnes convaincue du bien fondé du système. Ancienne combattante et veuve d’un héros de la Seconde Guerre mondiale, elle considère que la grève en régime communiste est contre révolutionnaire ! Il faut donc punir les meneurs de la grève et toute personne participant au mouvement, sans prendre en compte les revendications, une position partagée par ses collègues, les officiels locaux du Parti. Elle est toutefois troublée par la manifestation à laquelle sa fille Sveta participe, avec drapeaux rouges et portraits de Lénine. « Rien ne serait arrivé du temps de Staline ! » ne cesse-t-elle de répéter, perturbée par l’attitude de son père et les réactions de sa fille. C’est la panique au sein du conseil de la ville lorsque la manifestation réclame des réponses et des comptes aux dirigeants. L’armée est appelée à la rescousse pour évacuer le conseil, après une tentative minable de calmer la foule. Cependant, « on ne tire pas sur le peuple » et les soldats sont appelés à tirer en l’air par leur hiérarchie, qui s’oppose aux politiques qui défendent une position radicale. Lyudmila assiste à l’arrivée discrète de snipers du KGB, qui, positionnés sur le toit, tirent à balles réelles sur la foule qui se disperse et fuie en aidant certaines personnes blessées afin d’échapper à la police. Les cadavres disparaissent rapidement, les traces sanglantes sont effacées, la ville est sous couvre-feu, l’hôpital est interdit de visites, les interrogatoires et les arrestations se multiplient.
Lyudmila recherche désespérément sa fille, elle va à la morgue — seulement 6 victimes sont officiellement recensées —, à l’hôpital, où une infirmière, qui la reconnaît, lui déconseille de demander quoi que ce soit. Le personnel de l’hôpital, ainsi que toute personne officielle doit signer une attestation comme quoi rien ne s’est passé, sous peine d’emprisonnement et de camp. Elle apprend toutefois que des corps ont été évacués vers des villes avoisinantes et enterrés de nuit.

Le système soviétique, vrai cauchemar paranoïaque, considère que la ville est l’épicentre de la contre révolution. Aucune personne n’est autorisée à quitter la ville et l’instauration du couvre feu permet de tirer à vue sur ceux et celles qui l’enfreignent. Les blessé.es, qui ont pu s’échapper, se cachent et craignent les dénonciations. L’amant de Lyudmila doit confisquer le passeport de Sveta, toujours disparue, mais accepte d’aider à sa recherche, malgré le risque. La répression est terrible, mais Lyudmila reste sur ses positions, et accuse les « meneurs » de la grève d’être les responsables de la répression, « des ivrognes et des bandits »… Ce sont les mêmes clichés de la propagande utilisée pour diaboliser Makhno qui réapparaissent ! La propagande est immuable.

Les discussions entre les différentes autorités, police, armée, KGB sont le théâtre de rapports de force, de servilité, de méfiance et de coups de couteau dans le dos. Le film de Konchalovsky rend compte avec force du climat délétère existant : les faciès, les uniformes, les gestes, les regards … Après le XXème congrès, on foule Staline au pied, mais les méthodes ne changent guère. Le blocus est total, la presse est interdite, de même que quitter la ville ou communiquer avec l’extérieur. Sveta reste introuvable, Lyudmila la croit morte. « Tu te souviens de Budapest en 1956 ? » La première insurrection populaire contre le régime communiste soviétique s’est déroulée en Hongrie et, pendant des décennies, celle-ci a été enterrée sous une chape de plomb. Ce lien n’est pas fortuit avec l’oubli obligé du soulèvement de l’usine.

Le père de Lyudmila revêt son costume et sort une icône rangée dans un coffre. Il raconte à sa fille une histoire de famille : en 1922, deux de ses cousines sont mortes de faim, puis il évoque les atrocités commises contre la population, un vieux cosaque à qui l’on a coupé la langue, clouée ensuite sur son cou jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour avoir traité les responsables de barbares. Tout le monde est contrôlé dans la ville, intimidations de la police politique, dénonciations et arrestations de masse.

Dans la voiture, l’un des responsables reconnaît que les revendications des ouvriers sont justes et qu’il aurait certainement fait la même chose. « Vous avez déjà tué quelqu’un ? » demande-t-il à l’amant de Lyudmila, lié au KGB, ce dernier, méfiant, rétorque « pourquoi vous me dîtes tout ça ? » Conformisme et soupçon, marques de l’emprise du système sur les individus. Après la visite d’un cimetière où des victimes de la fusillade ont été enterrées de nuit, Lyudmila boit et finalement se révolte. Ses digues mentales se fissurent lorsqu’elle décrit la naissance de Sveta, en 1944, quelques mois après la mort du père de l’enfant : « si on ne peut plus croire au communisme, il reste quoi ? Il ne reste plus qu’à tout détruire et tout recommencer. » Si seulement Staline pouvait revenir ! Son amant l’interrompt et lui dit de se méfier, nul n’est à l’abri dans ce type situation, c’est l’arbitraire qui règne. En rentrant, elle trouve son père fouillant dans les affaires de Sveta : « je cherche son passeport. Elle est sur le toit » La mère et la fille, effrayée de ce qu’elle a vécu, s’étreignent et Lyudmila promet de l’aider à partir.
Au retour du cimetière, le très beau plan de jeunes se baignant dans un lac avec des chevaux renoue avec les plans mythiques du cinéma russe. Un instant de sérénité dans la quête d’une mère qui voit disparaître les convictions d’une vie.
Chers Camarades ! d’Andreï Kontchalovski, a remporté le prix spécial du jury à la Mostra de Venise 2020.

Il Varco
Film documentaire de Federico Ferrone & Michele Manzolini
(1er septembre 2021)

Librement adapté de témoignages de soldats et de journaux, le film retrace l’odyssée d’un soldat italien sur le front russe en 1941. Contrairement à la propagande de l’armée fasciste, alliée des nazis, qui clame la victoire acquise, le soldat n’y croit pas. Le train est bientôt bloqué par des rails qui ont été arrachés et le voyage se poursuit en camions, mais l’Ukraine est encore loin et les images de l’horreur guerrière s’accumulent, la misère, les gosses pieds nus, les juifs qui ramassent les ordures, les camps de prisonniers et la présence de fantômes errants dans la vie du soldat qui a aussi connu la guerre en Éthiopie. Les images d’archives de la campagne russe répondent à celles de la guerre en Afrique.

Il Varco, c’est un carnet de voyage, un carnet de guerre, un carnet personnel d’impressions et de regards jetés sur l’autre. Le froid s’installe au fur et à mesure que l’inquiétude progresse, les images de marches forcées, de destructions, de charniers avec des agonisants, de l’armée qui avance au lance flammes, de toutes les abominations de la guerre subies par les populations civiles… En miroir, la rangée interminable de tombes italiennes en Ukraine.
Le conteur se souvient de la guerre en Éthiopie et ne rêve que de rentrer chez lui : « l’Afrique me tourmente toutes les nuits ». Déserter ? Le froid est de plus en plus intense : « je décide de partir loin de cette guerre où l’on vomit de froid ». Il Varco est un réquisitoire implacable contre la guerre, le récit d’une odyssée mortifère et inutile.

Des images d’archives impressionnantes, des images qui s’effacent parfois comme fondues ou passant dans une autre dimension, celle des fantômes, un montage qui traduit la montée du cauchemar…
Il Varco de Federico Ferrone & Michele Manzolini au cinéma le 1er septembre.

Un Triomphe
Un film d’Emmanuel Courcol (1er septembre 2021)

« Il y a quelques années, mon producteur m’a fait découvrir un documentaire relatant l’histoire d’un metteur en scène, Jan Jönson, qui avait monté En attendant Godot avec des détenus dans une prison en Suède. Le spectacle avait eu un tel succès qu’ils étaient partis en tournée  ».

Directement inspiré de cette histoire, Emmanuel Courcol met en scène un acteur en galère et en mal de rôles, Étienne, qui, pour boucler ses fins de mois, propose d’animer un atelier théâtre dans une prison. À sa grande surprise, l’expérience dépasse tout ce qu’il pouvait en attendre. La prise de contact est tout d’abord épique, mais Étienne ne se décourage pas et même pressent le potentiel « émotionnel, comique et dramatique de cette bande de détenus », et peu à peu émerge l’idée de leur faire jouer Becket, En attendant Godot, qui à première vue, semble bien éloigné de leur univers, pourtant « la pièce résonne de façon incroyable pour des prisonniers. Le vide, l’absence, l’attente, la vacuité totale, le désœuvrement, c’est leur quotidien ».

Alors pourquoi pas les faire jouer sur scène, dans un vrai théâtre ? Pas facile à le faire entendre à la directrice de la prison, même si elle est ouverte à la réinsertion par la culture, et encore moins à son copain directeur de théâtre qui ne croit pas à leur capacité de jouer sur scène et d’intéresser un public. Des arguments qu’Étienne rejette en disant : «  Ils jouent faux, mais ils sont dans le vrai ! » Commence alors une formidable aventure humaine dont tous sortiront transformés.

Un triomphe est une aventure bouleversante qui transcende toute la résonnance existant entre théâtre et cinéma. Et cela grâce au choix des scènes, des décors, de la perspective des coulisses, de l’environnement carcéral et des comédiens et comédiennes formidables de naturel, d’improvisation, de drôlerie, d’émotion…
Un Triomphe d’Emmanuel Courcol à voir à partir du 1er septembre


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