Chroniques rebelles
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Samedi 7 février 2004
Bram Stoker : Œuvres et French Gothic : Anthologie
Avec Jean-Pierre Kremer et Alain Pozzuoli
Article mis en ligne le 28 février 2008

par CP

Fantastique : une littérature de l’utopie ?

La littérature fantastique peut-elle être qualifiée de littérature de l’utopie ?

Il est vrai qu’elle permet souvent de dépasser la censure — ou l’autocensure —, d’imaginer et d’explorer les dérives, les interdits, le hors normes et même de transgresser l’ordre établi.

Dans les Chroniques rebelles, nous avons déjà parlé de la place du mythe vampirique dans une littérature de la transgression qui a pris naissance au XIXe siècle. Aujourd’hui nous revenons à cette littérature, souvent considérée comme mineure, autour de deux livres, le classique Bram Stoker, Œuvres qui rassemble Dracula, Le joyau aux sept étoiles — quatre romans et trente-huit nouvelles et contes —, et une anthologie, French Gothic , où se côtoient classiques et nouveaux écrivains du fantastique français.

Dans cette anthologie, des auteurs libertaires comme Octave Mirbeau, romancier, journaliste et pamphlétaire, dont un des textes, très subversif, dénonce l’hypocrisie, le sadisme, la cruauté, engendrés par le pouvoir et le système :
Dès que l’homme s’éveille à la conscience, on lui insuffle l’esprit du meurtre dans le cerveau. Le meurtre grandi jusqu’au devoir, popularisé jusqu’à l’héroïsme, l’accompagnera dans toutes les étapes de son existence. […] On ne lui fera respecter que les héros, ces dégoûtantes brutes, chargées de crimes et toutes rouges de sang humain. Les vertus par où il s’élèvera au-dessus des autres, et qui lui valent la gloire, la fortune, l’amour, s’appuieront uniquement sur le meurtre… Il trouvera, dans la guerre, la suprême synthèse de l’éternelle et universelle folie du meurtre, du meurtre régularisé, enrégimenté, obligatoire, et qui est une fonction nationale.
Octave Mirbeau, Divagations sur le meurtre

Dès sa jeunesse, Mirbeau est un rebelle.[écrit Monique Surel-Tupin dans sa remarquable introduction pour Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat] S’il commence par travailler dans la presse de droite, c’est par pure nécessité. À partir de 1884-1885, il se rallie officiellement à l’anarchisme, influencé par les idées de Kropotkine.

Le fantastique, c’est aussi la plongée dans l’inconscient, l’insaisissable. Le voyage dans l’irréel et l’interdit, la marge, la dérive, la perversion, l’humour grinçant et, parfois, la remise en question de l’ordre établi. Les masques tombent lorsque les individus sont confrontés à une situation inquiétante et irrationnelle. Car au-delà de la frayeur, au cœur même de l’insolite, que reste-t-il des certitudes et des normes ?

D’ailleurs, le fantastique n’a-t-il pas été une rupture avec les courants littéraires de l’époque ? La recherche de l’ailleurs, l’entrée dans l’univers des fantasmes et des perversions, l’utilisation de symboles connotés au sexe, aux croyances, aux peurs ancestrales, n’ont-elles pas représenté une tendance subversive — à contre-courant — de la fiction ?

Et cette fiction continue d’exercer une certaine fascination à travers les livres et les adaptations au cinéma.

Alors, le fantastique est-il une autre manière de se rebeller ? Et qui peut dire que le rêve s’oppose à l’action ?