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Samedi 28 janvier 2023
Tel-Aviv Beyrouth de Michale Boganim. Le Piège de Huda de Hani Abu-Assad. Mes trompes, mon choix. Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération de Laurène Levy. 23es Journées cinématographiques : Regards satellites
Article mis en ligne le 2 février 2023
dernière modification le 1er février 2023

par CP

Tel-Aviv Beyrouth
Film de Michale Boganim (1er février 2023)
Entretien avec Michale Boganim

Le piège de Huda
Film de Hani Abu-Assad (1er février 2023)

Mes trompes, mon choix
Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Laurène Levy (éditions le passager clandestin)

23es JOURNÉES CINÉMATOGRAPHIQUES REGARDS SATELLITES
Du 2 au 11 février 2023

Tel-Aviv Beyrouth
Film de Michale Boganim (1er février 2023)

Entretien avec Michale Boganim
Nous commençons par la rencontre avec Michale Boganim, réalisatrice de Tel Aviv Beyrouth, mais également d’un film que nous avons particulièrement aimé dans les chroniques, sorti en juin dernier, Mizrahim. Les oubliés de la terre promise. Road movie de la mémoire, Mizrahim. Les oubliés de la terre promise explore des espaces, des zones périphériques pour retracer l’histoire de la moitié de la population israélienne, en rapportant ses constats, ses révoltes et ses luttes. C’est aussi un retour sur les lieux de l’enfance de Michale dans une démarche personnelle de transmission de l’histoire familiale à sa fille.
Dans ces deux films, Michale Boganim aborde la question de l’exil et développe des sujets, rarement sinon jamais traités, au cinéma : pour le premier, les désillusions des juifs orientaux qui ont cru en un pays — Ïsraël — à ses rêves contradictoires, fondés soi-disant sur l’égalité ; et le second, Tel Aviv Beyrouth, qui montre l’exil forcé des membres de l’armée libanaise ayant collaboré pendant l’occupation militaire israélienne à partir de 1984, après l’invasion de 1982. Tel Aviv Beyrouth commence en 1984, avec les débuts du Hezbollah et la collaboration entre l’armée du Sud du Liban et l’armée israélienne.
Deux familles, l’une libanaise et l’autre israélienne, sont piégées dans des guerres à répétition entre le Liban et Israël. On a du mal à imaginer, sans y être allé, combien le sud du Liban et la ville de Haïfa, au nord d’Israël, sont proches, d’où l’incroyable d’une situation dramatique qui touche et bouleverse la population de cette région et impacte les populations civiles des deux côtés.
Le film se déroule donc sur trois périodes : 1984, puis 2000 avec le retrait de l’armée israélienne, l’abandon des miliciens libanais et la fermeture d’une frontière infranchissable, sauf pour les morts ; enfin 2006 et la seconde guerre contre le Liban.
On a certainement encore plus de difficulté à imaginer qu’avant 1948, une ligne ferroviaire relayait Tel Aviv à Beyrouth. Et pourtant, lors d’un entretien, Ronald Creagh, auteur de Expériences libertaires aux Etats-Unis et l’Affaire Sacco et Vanzetti, me disait qu’enfant il avait fait le voyage en train de Port Saïd à Beyrouth pour des vacances familiales. Le train, qui reliait ces territoires, est évoqué dès le début de Tel Aviv Beyrouth, et cela met en perspective l’absurdité de la situation. Le thème de la frontière est au centre du film : la séparation des peuples, des familles, des ami.es en dépit de la proximité des territoires.
Tel Aviv Beyrouth et Mizrahim. Les oubliés de la terre promise, sont deux films qui, partant de l’expérience des personnes, donnent à voir et à comprendre sans aucun doute beaucoup plus sur le Moyen-Orient et ses déchirements.
Tel Aviv Beyrouth est un film essentiel, il est au cinéma à partir du 1er février.

Le piège de Huda
Film de Hani Abu-Assad (1er février 2023)

Dans la ville de Bethléem, Huda tient un salon de beauté où ses clientes viennent se changer les idées, mais sont ainsi facilement piégées. Parmi elles, Reem, une jeune mère vient avec sa petite fille, Lina, Huda lui offre un café drogué et fait des clichés compromettants de la jeune femme sur un lit, presque dénudée, près d’un homme. Cette mise en scène est destinée à obtenir des informations pour les renseignements généraux israéliens et avoir ainsi des « espionnes » au quotidien. « Je veux que tu travailles pour nous » lui dit Huda, « et si tu parles, ta fille pourra en payer le prix. » Prise de panique, Reem ne voit pas comment elle peut avouer la situation à son mari jaloux ou à ses parents, et même si elle explique ce qui s’est passé, qui la croirait ?

Le salon est surveillé par des membres de la résistance palestinienne, qui voient sortir la jeune femme affolée, courant dans la ville, son bébé dans les bras. Le mur de séparation est présent au bout de chaque rue, comme un autre piège.

Dans la nuit, Huda est enlevée par la résistance palestinienne et entraînée dans un endroit secret où elle est interrogée par Hasan, qui a trouvé dans le salon les photos dissimulées par Huda de ses victimes. « L’histoire est basée sur des événements réels [explique Hani Abu Assad]. Il est arrivé en Palestine que des agents des services secrets utilisent certains salons de coiffure pour droguer des femmes, les mettre dans une position embarrassante et prendre des Polaroïds, afin de les faire chanter pour qu’elles deviennent des traîtresses contre la Palestine. Et ils ont utilisé des femmes vulnérables dans la société arabe qui n’auraient pas reçu le soutien de leur mari ou de leur famille. » En l’occurrence, c’est le cas de Reem qui, lorsqu’on lui demande si elle s’est mariée par amour ou par convenance, répond « par stupidité. Comment aimer quelqu’un dans cette décharge ? »

Le Piège de Huda est un thriller dont le thème majeur est la trahison, comme dans Paradise now et Omar, les précédents films de Hani abu Assad, mais avec une particularité : ce nouveau film place les personnages féminins au centre de l’intrigue. La tension va crescendo avec l’angoisse de Reem. En décrivant les conséquences de l’occupation militaire sur la société, le film s’attache en particulier à la condition des femmes. Ainsi ce sont des détails qui s’inscrivent dans le récit et le déroulement de l’histoire. Reem, se rendant à l’hôpital pour des soins à son enfant, surprend la conversation de deux femmes parlant d’une connaissance qui a un cancer du sein et refuse d’en parler à son mari : « elle préfère mourir plutôt que prendre le risque d’un divorce », dit l’une d’elles. L’interrogatoire de Huda en dit long également, divorcée et séparée de ses enfants, celle-ci déclare à Hasan : « vis une journée avec mon mari et ensuite, on en reparle. Mais toi, parle-moi de ton engagement. » Elle retourne les rôles et détaille, ensuite, les problèmes des femmes qui lui ont confié les détails de leur vie personnelle avant de se faire piéger. C’est un peu l’ambiance du film des frères Nasser, Dégradé, mais dans un tout autre genre.
Durant l’interrogatoire, le jeu des questions et des réponses fait apparaître les failles de Huda, de même que celles d’Hasan, marqué par une trahison dramatique au moment de son adolescence.

Et ce qui se passe entre les deux est complexe, quant au personnage de Huda, le réalisateur raconte : « Lorsque j’écrivais le scénario, j’étais censé la détester, elle et ce qu’elle fait, mais j’avais toujours l’impression qu’elle était aussi une victime. De la façon dont je vois le film, les personnages de Huda et de Reem fonctionnent en tandem. Bien qu’elles existent dans le même espace-temps, Reem est le flash-back de ce qu’était Huda. Et Huda est la projection de ce que Reem pourrait devenir. »
L’interprétation est servie par un trio remarquable, Maisa Abd Elhadi, Manal Awad et Ali Suliman, qui incarne avec toutes ses zones d’ombre ce polar captivant.
Le Piège de Huda de Hani Abu-Assad à voir en salles à partir du 1er février

Mes trompes, mon choix
Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Laurène Levy (éditions le passager clandestin)

Première discussion en compagnie de Laurène Levy
Dans sa préface à l’ouvrage-enquête de Laurène Levy, Martin Winckler rapporte les propos argumentés d’une jeune femme : « Je ne veux pas d’enfant. Jamais. Je le sais depuis que j’ai 8 ans. Je n’ai jamais voulu en avoir. J’en ai marre de prendre la pilule et d’avoir tout le temps peur d’être enceinte. Est-ce que vous pensez qu’un gynécologue accepterait de me ligaturer les trompes ? »
On est au milieu des années 1990, la jeune femme a 20 ans et revient d’une consultation contrôle après une IVG. Mais elle est en colère et l’exprime : « Ma famille et mes copines n’arrêtent pas de me faire la morale. Je n’ai pas besoin qu’on me fasse la morale. Je sais ce que je fais. Quand j’ai décidé d’avorter, on ne m’a pas posé de questions. Si je voulais être enceinte, on ne me poserait pas de questions. Pourquoi est-ce qu’on m’en pose alors que je ne veux pas avoir d’enfant du tout ? J’ai un boulot, je gagne ma vie, je vote, je conduis une voiture, je paie des impôts. Je suis une adulte responsable, mais je n’ai pas le droit de disposer de mon corps ! Je passe mon temps à entendre des gens dire qu’une femme n’est pas tout à fait une femme si elle n’a pas d’enfant. Mais moi, je n’en veux pas !!! Pourquoi faut-il que je ponde des enfants qui n’ont pas demandé à vivre ? Si j’étais un homme, on me foutrait la paix !!! Vous trouvez ça normal ? »
Non bien sûr, ce n’est pas normal et comme le rappelle Laurène Levy, « l’accès à la contraception a représenté un premier pas, indispensable, vers cette liberté. Mais lorsque les féministes des années 1960 et 1970 défilaient en scandant “Un enfant si je veux, quand je veux”, et exigeaient le libre accès à la contraception et à l’IVG, elles s’attachaient surtout au “quand”.
Il est temps d’affirmer que le “si” est tout aussi indispensable à l’expression d’une légitime liberté.
“Un enfant SI je veux.”
Et si vous n’en voulez pas, nul ne devrait – par action ou par omission, par idéologie ou par négligence, ou en refusant de pratiquer un geste essentiel –
[nul ne devrait] vous empêcher d’exercer votre liberté. »
Oui, mais voilà, si la stérilisation est légale depuis 2001 en France, elle demeure taboue, les femmes qui prétendent à cette méthode contraceptive affrontent les critiques de leurs proches et les réticences du corps médical. Elles sont culpabilisées, méprisées, jugées 
« anormales » et nombre de médecins refusent cet acte à des patientes considérées « trop » jeunes », surtout si elles n’ont jamais eu d’enfant. Autrement dit c’est dérangeant une femme qui refuse l’injonction à la maternité… Trop de symboles bousculés du patriarcat et de la religion !
Mes trompes, mon choix. Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Un ouvrage de Laurène Levy (qui paraît le 17 février aux éditions du passager clandestin)
Une seconde rencontre avec Laurène Levy est prévue le samedi 18 février.

23es JOURNÉES CINÉMATOGRAPHIQUES REGARDS SATELLITES
Du 2 au 11 février 2023

Sortir des sentiers battus et explorer le cinéma à travers ses marges, l’emmener là où il n’a pas pour habitude d’aller, œuvrer avec des cinéastes qui travaillent à contre-courant, hors des circuits, des artistes qui s’auto-produisent, des franc tireurs libérés des dogmes et des figures tutélaires, prendre le contrepied des grands récits… Cette 23e édition des Journées cinématographiques sous-titrée Regards Satellites propose, du 2 au 11 février dans quatre cinémas de la Seine-Saint-Denis - le cinéma l’Écran (Saint-Denis), Le Studio (Aubervilliers), L’Étoile (La Courneuve), Espace 1789 (Saint-Ouen) - d’ouvrir en grand nos regards et de bousculer nos habitudes de spectateurs en offrant une balade dans des territoires rares, à la rencontre de cinématographies qui font la part belle aux regards indépendants et « satellites » du cinéma dominant.