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Samedi 4 mars 2023
Tengo sueños electricos de Valentina Maurel. Nayola de José Miguel Ribeiro. En toute liberté de Xavier de Lauzanne. Nos Algérie(s) intimes. Ouvrage collectif sous la direction de Soraya Guendouz-Arab et Nora Mekmouche
Article mis en ligne le 5 mars 2023

par CP

Tengo sueños electricos
Film de Valentina Maurel (8 mars 2023)

Nayola
Film de José Miguel Ribeiro (8 mars 2023)

En toute liberté
Film de Xavier de Lauzanne (8 mars 2023)

Nos Algérie(s) intimes
Ouvrage collectif sous la direction de Soraya Guendouz-Arab et Nora Mekmouche

Rencontre avec Soraya Guendouz-Arab, Nora Mekmouche et Olivier Le Cour Grandmaison

Tengo sueños electricos
Film de Valentina Maurel (8 mars 2023)

Eva a 16 ans lorsque ses parents se séparent, sa mère ne supporte plus son compagnon et ses accès de violence. Pourtant l’adolescente est attirée par ce père marginal et un peu paumé, qui écrit des poèmes, et dont elle se sent proche. Incomprise par sa mère qui a quelques difficultés à gérer la révolte de sa fille adolescente et alors que les scènes se multiplient entre elles, Eva déclare vouloir vivre avec son père et se met à la recherche d’un appartement dans la ville de San José, car ce dernier vit en transit chez un ami. La relation père-fille est faite de complicité et de brusquerie, comme « une sorte de reconnaissance et de familiarité dans cette rage qui les anime et qui est à la fois mêlée à de l’affection et de la tendresse. » De plus, Eva, un pas encore dans l’enfance, veut jouer à l’adulte vis-à-vis de son père dans un milieu marginal et bohème.

Valentina Maurel a choisi de filmer la ville de San José dans laquelle elle a grandi, car elle est considérée comme laide dans un pays généralement associé à des paysages touristiques et paradisiaques. « Mon expérience du Costa Rica [raconte la réalisatrice] a été de grandir entourée de béton ensoleillé, dans une ville densément peuplée et assez chaotique. Je voulais m’autoriser à raconter cela, et ne pas montrer que la dimension touristique de ce pays, [d’une part, et] ne pas céder à l’exotisation ou à la sociologisation du cinéma latino-américain, et de l’autre ne pas tomber dans l’universalisation totale en copiant des schémas de cinéma européen. »

Le film décrit une famille en crise, en rupture, Eva revendique sa liberté et refuse qu’on lui dise ce qu’il faut faire, sa petite sœur et le chat l’observent. Le film se décline comme le poème, j’ai des rêves électriques, et se poursuit en allées et venues de la jeune fille, volontaire mais indécise, qui se cherche, butte sur des désirs avortés et ses frustrations. Valentina Maurel construit le personnage d’Eva sans aucune complaisance, par éclats de scènes, Eva qui parfois semble gagner une autonomie et même parvient à s’échapper des schémas habituels pour découvrir l’amour, la vie d’adulte ou son propre désir, mais elle se heurte aussi à une réalité qu’elle refuse.

Comme le dit la réalisatrice, « aujourd’hui, il y a cette tendance à vouloir raconter des personnages féminins héroïques, qui ont tous les outils pour être des femmes exemplaires, des féministes qui défendent leurs droits. Pourtant, on ne nait pas avec les mots-clés qui nous permettent d’analyser le réel de cette façon-là, et je pense que l’apprentissage de la vie est extrêmement compliqué. Je voulais ainsi raconter la découverte du sexe dans ce prisme-là. […] Je crois que j’ai envie de montrer la vie dans ce qu’elle a de cruel aussi, et je pense que la découverte du sexe est quelque chose qui est à la fois merveilleux, terrible, drôle, gênant, tout cela en même temps. J’ai voulu filmer cette scène en permettant que toutes ces émotions la traversent. Ce n’est justement pas une position morale mais plutôt un constat de ce que je connais de la vie. Je ne voulais ni édulcorer les choses, ni les noircir, car j’ai l’impression que dans l’acte sexuel il y a un millier de choses qui se passent en même temps. Et qu’on a tendance à les simplifier, les codifier, les faire balancer dans un sens ou dans l’autre, en effaçant toutes les nuances. » Valentina Maurel réussit là un film déroutant, avec une incarnation étonnante des personnages.
Tengo sueños electricos de Valentina Maurel en salles le 8 mars 2023.

Nayola
Film de José Miguel Ribeiro (8 mars 2023)

La guerre et ses conséquences en Angola. Trois femmes prises dans une guerre qui perdure depuis 25 ans, Lelena (la grand-mère), Nayola (la fille) et Yara (la petite-fille). Trois générations pendant les guerres coloniale, puis civile, trois femmes au caractère entier, même si la lassitude marque le personnages de la grand-mère, qui a subi la perte de son mari pendant la guerre de libération, puis la disparition de son gendre et de sa fille durant la guerre civile. « Je ne pense pas que tes parents soient en vie. La guerre s’est terminée il y a huit ans et douze jours exactement. Ils ont eu beaucoup de temps pour trouver le chemin de la maison » répond-elle à la question récurrente de Yara sur le retour de ses parents.

Le scénario du film est découpé en deux périodes distinctes qui « s’étendent, se compriment, se suspendent et se croisent dans l’intrigue : entre 1995 et 2011, qui révèle les mésaventures de Nayola dans sa recherche de son mari (Ekumbi), disparu au combat dans les terres lointaines de l’Angola. » Nayola a abandonné sa fille lorsqu’elle avait deux ans pour partir à la recherche de son mari au pire moment de la guerre civile. De champs de bataille en camps militaires, elle pose des questions, tente de trouver des traces, montre une photo… Les réponses sont vagues ou bien négatives, « comment peux-tu le retrouver si tu n’a pas son nom de guerre ? » Elle échappe à la mort à plusieurs reprises, tire sur un avion, est torturée parce qu’elle n’amorce pas les mines placées par les femmes dans la campagne… autour d’elle la mort partout… Le périple de Nayola se poursuit à travers la guerre, les villes et les villages bombardés, la mort semble être devenu le seul langage possible. À un moment donné Nayola traverse des images réelles, des femmes fuient les massacres, les ruines, les fusillades, les transports de troupe, les danses… la réalité filmée rejoint le souvenir et le voyage de Nayola… Chaque fois qu’elle est en danger, elle retrouve dans une ébauche dessinée sa vie de jeune femme, la naissance de son enfant, l’amour avec Ekumbi. Son voyage à travers la guerre dans le désert complète l’histoire et élargit la dimension poétique et magique du film.
Le passé et le présent s’entrecroisent au cours du récit, comme l’irréel et le réel. Et le rêve revient de cet homme sans uniforme, courant nu dans la forêt, poursuivi par des militaires. Touché à mort, son corps est absorbé par la boue et un arbre pousse immédiatement là où l’homme a disparu, un arbre immense, qui rejoint le ciel. Malgré la paix, Nayola n’est pas revenue, « la guerre ne s’efface pas », les traces demeurent. Raconter le réel et l’irréel presque conjointement permet d’installer une tension de plus en plus forte dans le récit jusqu’à la révélation finale avec le personnage masqué dont on se sait s’il est dans le présent ou surgi du passé, de même que le souvenir de la guerre.

Élevée par sa grand-mère, Yara est une adolescente rebelle et une chanteuse de rap très subversive qui revendique la justice et la liberté. Mais faire entendre sa musique est risqué — un chauffeur de taxi brousse s’est fait tabasser par les militaires pour avoir ses CD — et elle-même est traquée. « Ta musique leur fait peur » lui explique un ami, mais tant pis, rien ne l’arrêtera. En revenant chez sa grand-mère elle est presque arrêtée, mais finalement réussit à s’échapper. La grand-mère s’inquiète, l’exhorte à se tenir tranquille, mais Yara s’insurge. Elle est la jeune génération qui revendique la liberté d’expression. Elle s’endort en cachant le journal de Nayola sous son oreiller. Pendant la nuit, un étrange voleur, armé d’une machette, pénètre dans la maison des deux femmes et au même moment les flics font une descente dans le bidonville de Luanda où elles habitent.
Dès les premières images, le film navigue entre réalité tragique et magie, où la nature est essentielle, l’environnement et les animaux, comme protection et retour à la vérité face à la déraison humaine. Réussir à s’imprégner de l’imaginaire est fascinant dans le film et il n’est pas étonnant qu’il ait fallu à l’équipe de création « 5 ans et 2 voyages en Angola pour faire de longues recherches sur l’histoire et la culture de ce pays, si possible, du point de vue des femmes comme dans le livre Combater duas vezes de l’angolaise Margarida Paredes avec des témoignages de femmes individuelles qui ont combattu dans la guerre coloniale et civile. Pour les visuels, nous avons été influencés par les masques africains et l’art contemporain qui nous ont inspirés pour le design des personnages et la création des arrière-plans avec des couleurs fortes et des pinceaux rugueux. La musique angolaise occupe une place centrale dans le film. » Nayola est un film choc en même temps qu’éblouissant.
Nayola de José Miguel Ribeiro au cinéma le 8 mars 2023.

En toute liberté
Film de Xavier de Lauzanne (8 mars 2023)

Après 9 jours à Raqqa, son film précédent qui montrait le travail d’une jeune femme dans cette ville qui avait été occupée par Daesh, En toute liberté́ est le deuxième volet d’une trilogie sur la reconstruction du lien social en Irak et en Syrie et à travers trois expériences : l’une politique, la seconde médiatique et la troisième, culturelle et éducative.

Pour s’adresser à toutes les communautés dispersées entre les différents camps, Radio Al-Salam emploie sept journalistes kurdes et arabes de toutes confessions, musulmane, chrétienne ou yézidie — femmes et hommes — qui s’expriment à l’antenne en trois langues : le kurde, l’assyrien et l’arabe, ce qui est rare dans le Kurdistan irakien.

Radio Al-Salam, qui est aujourd’hui la seule radio indépendante du pays, est animée par sept journalistes qui parlent de leurs convictions, de la paix et de la reconstruction. Cela change de « l’esthétique de la terreur aussi désolante que fascinante », qui fait partie généralement du paysage médiatique, c’est ce que le réalisateur désire montrer. « La radio est le média de la prise d’engagement par excellence [explique-t-il]. Le cinéma a beaucoup porté à l’écran cette dimension de la parole radiophonique dans le champ politique, social ou artistique : Le Dictateur, Le Discours d’un roi, Good Morning England... L’Histoire elle-même a lié la radio à l’appel à la résistance dans notre mémoire collective. Les sept journalistes font donc figure de résistants [et de résistantes] dans un climat peu propice à la réconciliation. […] Leurs reportages et leurs histoires personnelles se confrontent. » Ils et elles s’identifient aux personnes interviewées, comme elles victimes de la guerre et des conflits.

Xavier de Lauzanne suit au plus près les journalistes, leurs discussions, les propositions de sujets, les réunions et sur le terrain, ainsi en « rebondissant entre la sphère privée et radiophonique, [le film] donne à voir ce qui anime leurs vocations de journalistes : panser les blessures, redonner espoir, dénoncer le cercle vicieux de la vengeance, renouer avec une vie normale ». En fait, c’est regarder le futur. Radio Al-Salam n’est certes pas une radio importante, mais elle répond à des attentes et donne la parole à celles et ceux qui l’ont rarement.

En toute liberté de Xavier de Lauzanne sur les écrans le 8 mars 2023.

Nos Algérie(s) intimes
Ouvrage collectif sous la direction de Soraya Guendouz-Arab et Nora Mekmouche

Samiha Driss. Mémoires des Créneaux. Chroniques d’une démolition annoncée. 2008

Nouvelle collection dans le paysage éditorial marseillais, Silence représente l’aboutissement cohérent d’un parcours que l’on pourrait décrire comme initiatique.
C’est un ouvrage magnifique où les récits s’enrichissent, non pas d’illustrations, mais s’accompagnent plutôt d’œuvres picturales, photographiques. Il s’git donc de faire découvrir « différentes écritures afin de rendre la lecture plus dynamique, animée, afin d’en faire un récit choral. »

Kamel Khélif. Sur le chemin de la Madrague Ville. De pas à pas, de mots à mots (2007)

Treize auteur.es, huit femmes et cinq hommes, toutes générations confondues, qui disent leur rapport à la mémoire, à l’engagement, à l’exil, à leur vécu partagé, à leur vision de l’Algérie, autant de regards se croisant, se faisant écho pour faire émerger des voix singulières. « La “grande histoire” se déploie sur la base d’une multitude de “petites histoires” concrètes », écrit Saïd Bouamama et cet ouvrage en est certainement une preuve dans toute sa diversité.

Abed Abidat Chibanis, Chibanias : portraits d’une génération sans histoire ?

Des anecdotes, des histoires personnelles et collectives, des analyses qui secouent le déni : « ces récits mettent à jour les réalités de ce qui constitue un trauma colonial. En racontant comment l’histoire coloniale continue de se manifester dans nos espaces, nos corps, nos vies mais aussi en traçant les lignes d’une histoire des quartiers populaires aux frontières perméables. Une histoire qui se poursuit sans jamais être nommée. »

Samiha Driss Petites histoires populaires. Marseille nord (2009)

Rencontre avec Soraya Guendouz-Arab, Nora Mekmouche et Olivier Le Cour Grandmaison