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Samedi 27 mai 2023
L’Hypothèse du Quai de Conti de Philippe Sisbane. L’Île rouge de Robin Campillo. De l’eau jaillit le feu de Fabien Mazzocco. L’odeur du vent de Hadi Mohaghegh. Livres. Archives 2009 : Michel Rosell
Article mis en ligne le 28 mai 2023
dernière modification le 29 mai 2023

par CP

L’Hypothèse du Quai de Conti
Philippe Sisbane (éditions Infimes et Scenent)

L’Île rouge
Film de Robin Campillo (31 mai 2023)

De l’eau jaillit le feu
Film de Fabien Mazzocco (31 mai 2023)

L’odeur du vent
Film de Hadi Mohaghegh (24 mai 2023)

L’Hypothèse du Quai de Conti
Philippe Sisbane (éditions Infimes et Scenent)

Entretien avec Philippe Sisbane

Et voici que l’on retrouve le projet Manhattan, la course à la bombe atomique que remporteront les États-Unis en 1945 par l’anéantissement de deux grandes villes japonaises, Hiroshima et Nagasaki, en même temps que la population civile, sur le coup ou bien après des souffrances atroces. À quelques années près, cette course à la destruction aurait pu servir d’autres pouvoirs, le pouvoir nazi par exemple. Et ce n’est pas faute d’avoir tenté de s’approprier les recherches dans ce domaine, notamment de la part des scientifiques français dont les études étaient avancées à cet égard. Il est également vrai qu’à la fin des années 1930, des initiatives analogues étaient menées par les grandes puissances et que de nombreux physiciens nucléaires s’y étaient attelé.
Le roman de Philippe Sisbane, l’Hypothèse du Quai de Conti, porte bien son titre en l’occurrence, puisque l’intrigue, située en 1942, se nourrit à la fois de l’époque complexe de la Collaboration, de l’implication zélée des autorités françaises envers les forces occupantes, de l’opportunisme de beaucoup, de l’accélération du pouvoir nazi dans ses velléités conquérantes et, bien sûr, de son intérêt pour des raisons évidentes à propos de la recherche nucléaire. La guerre se trouvait être à un tournant décisif, notamment après l’entrée en guerre des États-Unis en 1941 et la résistance à l’Est, et il ne faut pas oublier la Conférence de Wansee de janvier 1942 qui avait entériné la « solution finale », à savoir le génocide de la population juive européenne, de même que des Roms ou encore des politiques, enfin de toutes les personnes considérées par l’idéologie nazie comme « déviantes ».
Cette « hypothèse », qui est le nœud du roman de Philippe Sisbane, part donc de la collaboration d’un homme, Pierre-François, administrateur de l’Académie de Physique sous contrôle allemand, qui accepte de livrer aux nazis le résultat de recherches nucléaires poursuivies par des chercheurs, bien que retardées par certains et certaines membres de l’équipe scientifique pour entraver la fameuse course devenue la priorité des responsables nazis.
Conscient de la discrétion nécessaire à cette transaction, Pierre-François acquiert pour quasiment rien un appartement récemment confisqué, y installe son fils Thibault et l’amie de ce dernier, Hélène, étudiante en chimie, avec pour condition de permettre à des officiers allemands (en civil) de disposer des clefs de l’appartement pour accéder au coffre-fort installé par Pierre-Francois. C’est une « boite aux lettres » pratique pour procéder aux échanges d’informations et du paiement pour leur obtention. Thibault est méfiant, mais il est difficile de dire s’il est réticent par rapport aux possibles magouilles de son père, ou simplement en raison de relations filiales compliquées.
Or, une nuit, le fils des précédents propriétaires, Lucien, débarque dans l’appartement. Il vient de s’évader du camp de Drancy et ignore tout de la vente de son domicile. Thibault comprend alors les transactions de son père pour acquérir l’appartement, un bien juif aryanisé́. Le jeune couple décide alors d’héberger l’évadé. Par ailleurs, Hélène est contactée par un réseau de la Résistance, en la personne du serrurier kabyle venu installer les serrures, et notamment le passe pour le coffre-fort. Elle accepte de photographier un rapport de synthèse transitant par leur domicile avec l’aide de Thibault et de Lucien. L’aventure les rapproche et un trouble s’installe entre Hélène et les deux garçons. Le décor de l’Hypothèse du Quai de Conti est en place…
On dirait presque : moteur ! Car avec Philippe Sisbane, le cinéma n’est jamais loin… Littérature et cinéma sont des formes narratives différentes évidemment, mais certainement pas à opposer, et pour notre auteur elles se rejoignent, se complètent et s’enrichissent l’une l’autre… l’Hypothèse du Quai de Conti en est une illustration.
Les illustrations musicales de cette rencontre avec Philippe Sisbane sont : La Java de la bombe atomique (Boris Vian par Olivia Ruiz). Les Flamboyants (par Tony Hymas et Sylvain Girault). Seul ce soir (par Django Reinhart). Lili Marlene (par Marlene Dietrich). Je suis seule ce soir (par Léo Marjane). La Complainte du Partisan (par Anna Marty). Le Chant des marais (de Johann Esser, Wolfgang Langhoff, Rudi Gogel par Serge Utgé-Royo). La Mémoire et la mer (de Léo Ferré par Tony Hymas). Enfin la BOF Dracula de Francis Coppola agrémentaient les extraits du livre de et lu par Philippe Sisbane.

Hasard des émissions, nous voilà, après le temps de la Collaboration, à nouveau dans un passé de l’histoire française pas tout à fait conforme au roman national qui nous est enseigné et répété… Cette fois, ce sont les derniers temps de la colonisation, avec les bases militaires conservées après l’indépendance, notamment à Madagascar, L’Île rouge. Ce que retrace le nouveau film de Robin Campillo, c’est une parenthèse enchantée en apparence vécue dans les soubresauts du colonialisme. L’Île rouge de Robin Campillo, le 31 mai au cinéma.

L’Île rouge
Film de Robin Campillo (31 mai 2023)

En prologue du film, la séquence Fantômette, héroïne de Thomas, est issue de l’imagination du jeune garçon et illustre en quelque sorte son désir d’échapper à cet espace de l’entre soi militaire, privilégié certes, mais néanmoins pesant. Thomas a huit ans et vit sur une base de l’armée française, à Madagascar, au début des années 1970, son père est militaire, sa mère, un peu fantasque comme lui, s’ennuie entre le machisme de son mari et sa communauté repliée sur elle-même. Les militaires et leurs familles vivent les dernières illusions du colonialisme sans pour autant gommer le racisme de leurs apriori. L’Île rouge, le film de Campillo, marque la fin du colonialisme à travers le regard d’un pré adolescent, qui pressent le bouleversement s’opérant à la fois en lui et autour de lui, mais sans en être pleinement conscient.
Douze ans après la déclaration d’indépendance de l’île de Madagascar, le colonialisme français perdure sur la base, enclave coloniale qui a tout du paradis volé. « Si j’ai fait ce film [confie Robin Campillo] c’est précisément pour mettre à jour les coulisses de cette nostalgie. Mettre à nue la violence silencieuse d’un quotidien apparemment paisible, pourtant chargé des échos de la répression de 1947. […] Et je voulais faire sentir qu’on ne volait pas seulement des ressources, on volait aussi les nuages dans le ciel, les paysages… On volait le bonheur de vivre sur cette île. Alors que notre présence dans ce pays avait une raison très simple : la France voulait garder une place stratégique dans l’Océan indien. » L’intérêt géopolitique français réside dans cette occupation, qui sous prétexte d’aide stratégique, maintient une forme de dépendance de la population… et l’esprit colonial demeure.

Les « autochtones », qui servent sur la base sont des silhouettes, n’existent pas en tant que personnes, sinon à l’occasion d’un scandale. Lorsque Bernard, jeune militaire fraîchement arrivé, s’éprend de Miangaly, jeune femme qui travaille à la confection des parachutes pour l’armée, les langues vont bon train. Le médecin et le curé conçoivent même qu’il soit sous emprise. On est pas loin de penser aux règles d’hygiénisme pratiquées à l’origine dans les colonies. Bernard est le seul qui a des rapports d’amitié avec la population, avec Ange par exemple qui est militaire et travaille comme lui au mess de officiers. Tous les autres protagonistes ont connu la guerre d’Algérie, certains même l’Indochine. Le racisme est latent chez tous et toutes, profondément ancré dans les mentalités, et nourrit la conviction d’une supériorité en même temps que l’appréhension de perdre le statut de privilégiié.e inhérent aux forces occupantes.
Robin Campillo s’inspire d’observations, de souvenirs personnels qu’il met en perspective, à hauteur d’enfant, et qualifie son film de « traversée sensorielle » d’une époque. L’originalité du film est là, sans doute accentuée par l’impression diffuse de regarder depuis l’intérieur du groupe et depuis l’extérieur. L’entourage de Thomas vit entre illusion coloniale et crainte de la fin d’un mode de vie au retour en France. L’enfant ressent cette inquiétude, se protège et se retranche dans les lectures de Fantômette, personnage sans famille, sans attache, autonome et volontaire. Peut-être représente-t-elle aussi cet ailleurs qu’il fantasme… Et c’est en endossant le costume de son héroïne, en épiant dans la nuit à la veille de partir de Madagascar que tout arrive, il grandit, prend conscience et le film bascule dans une autre langue, celle des colonisé.es qui confrontent soudain leur indépendance. Le prisme de l’enfance n’est plus, c’est tout à coup l’Histoire d’un pays en marche, libéré… une révolution. La langue, les manifestations, les discours politiques jaillissent spontanément et jettent une lumière sur le passé colonial subi. Comme la séquence de début avec Fantômette, le film se termine sur une réappropriation de l’histoire par une population qui se libère.
Très beau film, double perspective sur l’histoire peu connue de Madagascar et de son indépendance.
L’Île rouge de Robin Campillo à voir en salles à partir du 31 mai 2023

De l’eau jaillit le feu
Film de Fabien Mazzocco (31 mai 2023)

Dans le marais Poitevin, des milliers de personnes sont aujourd’hui engagées dans une lutte contre un projet de méga-bassines.
De l’eau jaillit le feu suit cette lutte contre les méga-bassines et laisse entendre la résistance de personnes engagées dans cette lutte depuis des années, sinon plus, contre les décideurs et les groupes de pression. Dans le contexte de la crise climatique, la mobilisation pose des questions cruciales et montre l’importance des luttes. La situation s’aggrave encore concernant l’eau et le « après nous le déluge » est inacceptable. L’eau appartient à tout le monde et ne doit pas être détournée au profit d’une minorité, et surtout à des fins de profit. Le futur est en danger, la nature, l’agriculture responsable sont sacrifiées pour l’industrie agroalimentaire.
Le sujet central du film documentaire de Fabien Mazzocco est le marais, et celles et ceux qui l’habitent et le défendent. Un lieu où le terreau est aujourd’hui fertile pour faire émerger une lutte de cette ampleur. Le marais Poitevin est la deuxième plus grande zone humide en France et pour comprendre son importance, le film recueille des paroles, des témoignages poignants, le découragement aussi, la colère, mais surtout le sentiment d’impuissance et de ne pas être entendu. Pourtant, depuis l’annonce, en 2017, d’un nouveau projet de bassines, la contestation est vive et ne cesse de se développer. Aujourd’hui, cette lutte atteint une intensité inimaginable. Lors du dernier rassemblement à Sainte-Soline, 25 000 manifestant.es sont venu.es jusqu’aux grilles du chantier, dans une confrontation violente avec les forces de l’ordre.

« De l’eau jaillit le feu propose un contre-discours à celui des dominants et des porteurs de projets qui divisent le mouvement d’opposition aux bassines en deux clans, des manifestants et manifestantes de bonne augure d’un côté, tolérés car inoffensifs, et d’autres qui seraient des ultra violents radicaux, cagoulés, black block, écoterroristes et autres trouvailles sémantiques... Le film montre plutôt comment, devant l’acharnement des décideurs et face à l’urgence de notre époque, de nombreux militant.es acceptent aujourd’hui des formes d’action qu’iels n’auraient pas envisagées hier. » Les violences policières sont aussi à dénoncer.
Dans le film, il est également souligné que les pratiques agricoles intensives, l’aménagement du territoires, les travaux, le bitumage sont autant de facteurs qui assèchent la terre, limite l’infiltration de l’eau et, en revanche, favorisent le ruissellement qui équivaut à sa perte pour les terres agricoles. Il est donc urgent de freiner tout ce qui peut accentuer la catastrophe, non pas avec des bassines dont l’eau s’évapore en périodes de chaleur, mais en permettant l’infiltration de l’eau dans les sols. D’ailleurs l’eau restée à l’air libre est souvent rendue impropre à l’utilisation par le développement de micro organismes. Un rapport de 2022 affirme que 20 % de la population française a consommé une eau non conforme aux normes de qualité, notamment en raison d’une concentration trop élevée en pesticides.
« Ce film [explique le réalisateur] est une tentative de donner la parole aux militants et aux militantes, ainsi qu’aux libellules, aux grenouilles, aux nénuphars et […] à tous ces habitants du marais trop souvent ignorés. »
De l’eau jaillit le feu de Fabien Mazzocco est sur les écrans le 31 mai 2023.

L’odeur du vent
Film de Hadi Mohaghegh (24 mai 2023)

Dans une maison isolée au milieu d’une plaine en Iran, un homme vit seul avec son fils alité. Un jour, le transformateur électrique de la maison tombe en panne. Un électricien vient pour le réparer. Une pièce manque et il part à sa recherche qui sera semée de rencontres et d’obstacles...

De longs plans séquences… Un homme, accroché à flanc de montagne, récolte des herbes médicinales traditionnelles. Il revient chez lui, dans sa maison éloignée de tout et on s’aperçoit qu’il est handicapé. Toujours en plans larges, il fait la toilette d’un adolescent alité, son fils sans doute. Il pile les herbes récoltées alors que le soir tombe et lorsqu’il actionne le bouton électrique, plus de courant.
D’une panne ordinaire au milieu d’un paysage grandiose et sauvage, découle un récit à la fois simple et tragique : la maison isolée, le manque de communication, le handicap du père, et l’adolescent malade. La lenteur et l’observation de la vie dans chaque détail donne à cette fable magnifique un caractère à la fois universel et bouleversant.
Le lendemain, l’homme part à la recherche de la lumière, rencontre un couple de villageois et leur demande s’ils ont un portable… Non, dit le vieil homme. Alors il repart, toujours en appui sur ses mains, et s’adresse à un homme qui s’occupe de ruches près de la petite route. Ce dernier lui prête son téléphone pour signaler la panne du transformateur à la compagnie électrique.

À partir de cette séquence, un autre personnage prend le relai, le réparateur constate la panne et trouve la pièce défectueuse. Mais lorsqu’il appelle le centre, son collègue lui annonce que la pièce de rechange est manquante et que cela prendra une quinzaine de jours pour la recevoir. Toutefois, il serait possible de récupérer cette pièce dans un autre village dont le transformateur n’est plus en service. Le réparateur, voyant la détresse du père handicapé et de son fils malade, décide alors de se rendre dans le village indiqué, et là commence une véritable odyssée dans un paysage sublime, mais parfois sévère et surtout coupé du monde. Les rencontres se multiplient et montrent les liens de solidarité entre les habitant.es… Il y a l’aveugle qui veut apporter des fleurs à son aimée, le paysan qui l’aide à faire démarrer sa voiture, le décès d’une femme gardienne du transformateur hors circuit, le maire d’un village qui permet la récupération de la pièce… et tant d’autres rencontres aussi naturelles, inattendues qu’émouvantes.

L’odeur du vent (le titre original du film est Derb dans la langue locale, ce qui signifie terre dure), L’odeur du vent est un conte humaniste et philosophique sur l’entraide entre gens simples, sur les difficultés au quotidien d’une population la plupart du temps oubliée, ignorée…

« J’ai souhaité montrer la dignité des habitants de cette région [raconte le réalisateur], malgré tous les problèmes et les difficultés qu’ils affrontent. Ce qui m’intéressait c’était d’approcher ces gens simples, solidaires et qui vivent dans la simplicité de la nature. […] Quant à savoir d’où je puise l’inspiration pour les “idées” de mes films, je préfère parler de “mes souvenirs” plutôt que d’utiliser le mot “idée”. Je m’en inspire. Par exemple […], j’avais rencontré un homme, un agent du service de l’électricité, Il s’appelait M. Eskandari et j’avais déjà entendu parler de lui. Il aidait avec une immense générosité les habitants dans les régions reculées. Il allait au-delà de son travail officiel et obligatoire !

Il consacrait beaucoup de son temps aux gens par ses propres moyens sans demander de salaire supplémentaire. […] Ce film est pour moi le film le plus important que j’ai réalisé. »
Sur son style, Hadi Mohaghegh ajoute : « je travaille depuis de nombreuses années sur l’affinité de la forme et du fond, c’est le fond qui fait que la forme émerge. Je pense que Derb [L’Odeur du vent] est plus rythmé, avec plus de narration, il différent de mes films précédents. Mais je voudrais ajouter que je ne change pas de voie en allant au travail, car cela signifierait que je me suis trompé de chemin. »
L’Odeur du vent est à coup sûr l’un des plus beaux films à voir depuis le film de Li Ruijun, le Retour des hirondelles (sorti en février dernier), depuis la Terre éphémère de George Ovashvili et les films d’Abbas Kiarostami. L’Odeur du vent est une leçon merveilleuse de dignité et de cinéma : un chef d’œuvre tout simplement.
L’Odeur du vent de Hadi Mohaghegh est au cinéma depuis le 24 mai.

ARCHIVES : Rediffusion de l’entretien avec Michel Rosell (juin 2009)

«  Il faut s’associer avec l’écosystème. Trois milliards d’individus sont stockés dans les villes et ça ne fait que continuer. »

PROPOSITIONS SUR L’OPPORTUNITÉ DE FORUMS ÉCOLOGIQUES ET SOCIAUX DÉCENTRALISÉS ET ÉPHÉMÈRES

Les 19, 20, 21 juillet 2009

ET CECI CHAQUE ANNÉE PENDANT 10 ANS

SUR LES TERRASSES PRIVÉES,

SQUATTÉES OU PUBLIQUES DE BARCELONE,

DÉMONTRONS L’AUTONOMIE RÉELLE :

ÉNERGIES, MATIÈRES PREMIÈRES,

INFORMATION AUTONOMISANTE

FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE
CRÉONS L’URBARURALISME