Chroniques rebelles
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Samedi 20 mai 2023
Une Petite histoire de l’anarchie de Marianne Enckel. Prison 77 d’Alberto Rodriguez. L’odeur du vent de Hadi Mohaghegh
Article mis en ligne le 22 mai 2023
dernière modification le 30 mai 2023

par CP

Une Petite histoire de l’anarchie
Marianne Enckel (Nada)
Rencontre avec Marianne Enckel en compagnie d’Héloisa Castellanos

Prison 77
Film d’Alberto Rodriguez (VOD 2( mai 2023)

L’odeur du vent
Film de Hadi Mohaghegh (24 mai 2023)

Une Petite histoire de l’anarchie Marianne Enckel (Nada) Rencontre avec Marianne Enckel en compagnie d’Héloisa Castellanos

Une Petite histoire de l’anarchisme de Marianne Enckell (éditions Nada). Avec cet essai, Marianne propose « une promenade dans les mouvements anarchistes de par le monde », mais c’est aussi une « histoire transversale », rythmée par des chansons. Chansons et paroles qui se retrouvent en titres des douze chapitres de cet essai. Balades et ballades en anarchisme.
Le choix des chansons : Le Drapeau rouge (1877) ; Droit du travailleur (la Jurassienne) (1873) ; Don’t Mourn, Organize (dernière lettre de Joe Hill avant son exécution en 1915) ; Puño en alto, Mujeres del Mundo (Hymne des Mujeres libres) ; War einmal ein Revoluzzer (Erich Mühsam) (1907) ; « Ils ne nous auront pas tant qu’on aura la colère » (Désert culturel, On a faim) (1990)… Autonomie culturelle et mouvements syndicaux révolutionnaires, résumé des luttes et des résistances aux pouvoirs, combattre l’État dans la tête, transmettre… C’est un peu la continuation du travail au sein du CIRA ? Rencontre avec Marianne Enckell autour de ce « petit livre », une synthèse qui donne des repères et fait découvrir une partie du mouvement anarchiste et de ses moments forts.
« Les anarchistes aiment se raconter des légendes, s’inventer des ancêtres et des héros. Il n’y a pas de mal à ça : sans dieu ni maître, le culte de saint Durruti, des saintes Louise Michel et Emma Goldman, voire de saint Ravachol ne fait guère de dégâts, leur geste finit en chansons ou en T-shirts. Mais l’histoire de l’anarchisme est avant tout une histoire bien réelle d’hommes et de femmes en lutte, avides de savoir et de changement social, de culture et d’idéal. C’est aussi une histoire d’erreurs et d’avancées, de confrontations et de succès, et d’une volonté jamais abattue. Être exploité ou opprimé ne suffit pas à faire des anarchistes, il faut vouloir en finir avec la domination et porter en son cœur un monde nouveau. »

« L’histoire du mouvement anarchiste commence avec la fin de cette organisation générale du mouvement ouvrier qu’était l’AIT en ses débuts, quand les courants socialistes étaient encore indifférenciés, qu’il n’existait ni syndicats ni partis ouvriers. Le mot "anarchiste” circulait tant parmi ses partisans que ses adversaires, l’utopie d’un monde nouveau faisait partie des rêves et des objectifs à atteindre de plusieurs groupes.
En septembre 1871, la Fédération régionale espagnole de l’Internationale déclare à sa conférence annuelle “que la vraie république démocratique fédérale est la propriété collective, l’Anarchie et la fédération économique, c’est-à-dire la fédération libre et universelle des libres associations d’ouvriers agricoles et industriels”. Une fédération qui se veut négation de l’État, des partis politiques et des assemblées constituantes, et affirmation de l’organisation spontanée et révolutionnaire des communes et des groupes autonomes librement fédérés.
Au printemps 1873, ce sont les Italiens de l’AIT, réunis en congrès à Bologne, qui affirment que “l’anarchie, pour nous, est le seul moyen pour que la Révolution sociale soit un fait, pour que la liquidation sociale soit complète,
[...] pour que les passions et besoins naturels, reprenant leur état de liberté, accomplissent la réorganisation de l’humanité sur les bases de la justice”.
Le 3 mars 1877, Élisée Reclus (1830-1905), exilé en Suisse depuis la chute de la Commune de Paris, donne à Saint-Imier une conférence sur l’anarchie et l’État.
 »
(Extraits d’Une Petite histoire de l’anarchie de Marianne Enckel, édition Nada)

Musiques au cours de la rencontre : Les Anarchistes (Léo Ferré. Int. Serge Utgé-Royo. Joe Hill’s Last Will (Fred Alpi). Wake Up (Nana Pancha). Sur la Commune (Serge Utgé-Royo). Casseurs de gueules (Bruant par Kristel). Hymne des Mujeres Libres (Fanfare libertaire de Pampelune). How to Walk in Freedom (Marc Ribot). L’Bon dieu dans la merde (1892. anonyme). Hijos del Pueblo (Christiane Courvoisier). Le Temps des cerises (Natacha Ezdra). Il est cinq heures (chanson détournée de Jacques Dutronc et Jacques Lanzman. Int. Jacques Leglou). A las barricadas (Serge Utgé Royo). Fille d’ouvriers (1887. Jules Jouy. Int : Jean-Luc Debattice). BOF de Désordres, chanson des ouvrières.

Pour compléter la liste des livres récents sur l’anarchisme, le livre de Guillaume Davranche et celui d’Édouard Jourdain, cités par Marianne Enckell, j’ajouterai une nouvelle publication : Le Peuple du drapeau noir. Une histoire des anarchistes de Sylvain Boulouque (éditions Atlande).

En bonus, un complément d’entretien à propos de la revue Réfractions, le numéro 49.

Prison 77
Film d’Alberto Rodriguez

Le 25 mai sort en VOD seulement, et je regrette qu’il ne soit pas montré en salles, un film espagnol sur la COPEL (coordination des prisonniers en lutte) qui se déroule en 1977, deux ans la mort de Franco. L’Espagne vit alors la dite « transition démocratique », de 1975 à 1978, « qui succéda au régime dictatorial du général Franco. Le pays fut alors gouverné avec une constitution censée restaurer la démocratie. Cette phase constitua la première étape du règne de Juan Carlos Ier soutenu unanimement par l’ensemble de la classe politique des franquistes aux communistes en passant par les socialistes. » Et comme le souligne Daniel Piños, « Prison 77 est un thriller classique qui dépeint un processus politique collectif, il raconte très fidèlement ce qui s’est passé en 1977 dans les prisons franquistes, avec les abus et les violences systématiquement appliqués par les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire contre les rebelles, les pauvres et les marginaux, mais aussi contre ceux qui luttaient contre la dictature. Le sort des prisonniers de droit commun fut différent de celui des prisonniers “politiques”. Ces derniers furent libérés grâce à la loi d’amnistie de 1977, les pauvres et les marginaux restèrent en prison. »

C’est dans ce contexte que Manuel, jeune comptable accusé de détournements de fonds, est incarcéré à la Modelo de Barcelone, et avec son compagnon de cellule, il s’associe au collectif de la COPEL, qui revendique une amnistie générale pour les prisonniers. La Modelo est la prison où « de nombreux anarchistes furent emprisonnés, Francisco Ferrer i Guàrdia, Salvador Segui, Helios Gómez, Salvador Puig Antich et des milliers de militants et de résistants anonymes. Salvador Puig Antich fut garroté, en 1973, dans la salle des colis de la prison. Ce fut le dernier prisonnier exécuté de cette manière durant la dictature franquiste. »
Prison 77 est un film impressionnant par l’ambiance — le film a été tourné dans la prison Modelo désaffectée —, par le jeu des comédiens qui incarnent parfaitement les prisonniers en lutte et les matons restés aux méthodes franquistes. Mais au-delà, le film est aussi, comme le précise Daniel Piños, la révélation « des événements très obscurs de l’histoire récente de l’Espagne, une période avec laquelle nous devons être ouvertement critiques, notamment sur ce qu’a été la Transition vers la démocratie. Les opposants au régime monarchique l’appellent “la Transaction” ».

Le film d’Alberto Rodriguez s’inspire donc de faits réels et s’avère être un véritable document sur les conditions carcérales, la lutte et la répression des prisonniers. « Après la mort du dictateur [explique le réalisateur], la liberté gagnait toute une société, tout un pays, et pourtant les prisonniers étaient laissés de côté. Il semblait qu’à l’intérieur des prisons, le temps s’était arrêté et que tout restait comme avant. Même si les crimes politiques étaient révisés et les prisonniers politiques étaient graciés, le reste des prisonniers, ceux que l’on appelle les prisonniers sociaux, restaient dans les prisons. Soumis à des conditions extrêmement dures et insalubres, et gouvernés par un système pénitentiaire dans lequel les droits [humains] étaient inexistants, les personnes [y étaient] emprisonnées pour des crimes insignifiants, des petits vols ou des lois obsolètes du XIXe siècle.
Bien que les événements que nous évoquons se soient produits dans tout le pays, nous avons fini par concentrer l’histoire sur la prison Modelo de Barcelone. Une prison renfermant toute l’histoire du XXe siècle, à une époque où elle était habitée par des anarchistes, des voleurs, et même par des membres de la fameuse troupe de théâtre Els Joglars. Mais aussi par des escrocs, des ouvriers de SEAT, et les artistes Nazario et Ocaña.

La prison était le reflet d’un pays, le reflet d’une société. »
Prison 77 est un film important d’autant que le code pénal continue de se durcir, même sous le gouvernement socialiste et malgré la baisse de la criminalité. Prison 77 d’Alberto Rodriguez est à voir absolument. (25 mai sort en VOD)
Lire l’article de Daniel Piños…

L’odeur du vent
Film de Hadi Mohaghegh (24 mai 2023)

Dans une maison isolée au milieu d’une plaine en Iran, un homme vit seul avec son fils alité. Un jour, le transformateur électrique de la maison tombe en panne. Un électricien vient pour le réparer. Une pièce manque et il part à sa recherche qui sera semée de rencontres et d’obstacles...

De longs plans séquences… Un homme, accroché à flanc de montagne, récolte des herbes médicinales traditionnelles. Il revient chez lui, dans sa maison éloignée de tout et on s’aperçoit qu’il est handicapé. Toujours en plans larges, il fait la toilette d’un adolescent alité, son fils sans doute. Il pile les herbes récoltées alors que le soir tombe et lorsqu’il actionne le bouton électrique, plus de courant.
D’une panne ordinaire au milieu d’un paysage grandiose et sauvage, découle un récit à la fois simple et tragique : la maison isolée, le manque de communication, le handicap du père, et l’adolescent malade. La lenteur et l’observation de la vie dans chaque détail donne à cette fable magnifique un caractère à la fois universel et bouleversant.
Le lendemain, l’homme part à la recherche de la lumière, rencontre un couple de villageois et leur demande s’ils ont un portable… Non, dit le vieil homme. Alors il repart, toujours en appui sur ses mains, et s’adresse à un homme qui s’occupe de ruches près de la petite route. Ce dernier lui prête son téléphone pour signaler la panne du transformateur à la compagnie électrique.

À partir de cette séquence, un autre personnage prend le relai, le réparateur constate la panne et trouve la pièce défectueuse. Mais lorsqu’il appelle le centre, son collègue lui annonce que la pièce de rechange est manquante et que cela prendra une quinzaine de jours pour la recevoir. Toutefois, il serait possible de récupérer cette pièce dans un autre village dont le transformateur n’est plus en service. Le réparateur, voyant la détresse du père handicapé et de son fils malade, décide alors de se rendre dans le village indiqué, et là commence une véritable odyssée dans un paysage sublime, mais parfois sévère et surtout coupé du monde. Les rencontres se multiplient et montrent les liens de solidarité entre les habitant.es… Il y a l’aveugle qui veut apporter des fleurs à son aimée, le paysan qui l’aide à faire démarrer sa voiture, le décès d’une femme gardienne du transformateur hors circuit, le maire d’un village qui permet la récupération de la pièce… et tant d’autres rencontres aussi naturelles, inattendues qu’émouvantes.
L’odeur du vent (le titre original du film est Derb dans la langue locale, ce qui signifie terre dure), L’odeur du vent est un conte humaniste et philosophique sur l’entraide entre gens simples, sur les difficultés au quotidien d’une population la plupart du temps oubliée, ignorée…

« J’ai souhaité montrer la dignité des habitants de cette région [raconte le réalisateur], malgré tous les problèmes et les difficultés qu’ils affrontent. Ce qui m’intéressait c’était d’approcher ces gens simples, solidaires et qui vivent dans la simplicité de la nature. […] Quant à savoir d’où je puise l’inspiration pour les “idées” de mes films, je préfère parler de “mes souvenirs” plutôt que d’utiliser le mot “idée”. Je m’en inspire. Par exemple […], j’avais rencontré un homme, un agent du service de l’électricité, Il s’appelait M. Eskandari et j’avais déjà entendu parler de lui. Il aidait avec une immense générosité les habitants dans les régions reculées. Il allait au-delà de son travail officiel et obligatoire !
Il consacrait beaucoup de son temps aux gens par ses propres moyens sans demander de salaire supplémentaire.
[…] Ce film est pour moi le film le plus important que j’ai réalisé. »
Sur son style, Hadi Mohaghegh ajoute : « je travaille depuis de nombreuses années sur l’affinité de la forme et du fond, c’est le fond qui fait que la forme émerge. Je pense que Derb [L’Odeur du vent] est plus rythmé, avec plus de narration, il différent de mes films précédents. Mais je voudrais ajouter que je ne change pas de voie en allant au travail, car cela signifierait que je me suis trompé de chemin. »
L’Odeur du vent est à coup sûr l’un des plus beaux films à voir depuis le film de Li Ruijun, le Retour des hirondelles (sorti en février dernier), depuis la Terre éphémère de George Ovashvili et les films d’Abbas Kiarostami. L’Odeur du vent est une leçon merveilleuse de dignité et de cinéma : un chef d’œuvre tout simplement.
L’Odeur du vent de Hadi Mohaghegh est au cinéma le 24 mai.