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Samedi 30 mars 2024
Agra. Une famille indienne de Kanu Behl. Yurt de Nehir Tuna. La Base de Vadim Dumesh. Dieu est une femme de Andrés Peyrot. Festival de Brive et Festival Misic et cinéma
Article mis en ligne le 31 mars 2024

par CP

Agra
Une famille indienne
Film de Kanu Behl (3 avril 2024)

Yurt
Film de Nehir Tuna (3 avril 2024)

La Base
Film de Vadim Dumesh (3 avril 2024)

Dieu est une femme
Film d’Andrés Peyrot (3 avril 2024)

Entretien avec Andrés Peyrot

Agra
Une famille indienne
Film de Kanu Behl (3 avril 2024)

Après quelques visions psychadéliques colorées, couleurs en fusion en prélude du générique, le film débute sur une scène torride et totalement débridée de sexe au milieu de la bouffe, qui se termine par un coït halluciné avec un écureuil démesuré… Frustration cauchemardesque d’un jeune homme, Guru, obsédé par le sexe.
Guru a une vingtaine d’années et habite chez ses parents, au rez-de-chaussée avec sa mère, tandis que le père occupe le premier étage avec sa maitresse. Il travaille dans un centre d’appels téléphoniques, et tout en étant fou amoureux de l’une de ses collègues, Mala, il est obsédé par le sexe sans avoir la possibilité d’assouvir ses pulsions, sinon en se masturbant en même temps qu’il discute sur des sites de rencontres.

À chaque plan, la tension monte d’un cran, certes décuplée par l’exiguïté de la maison familiale, qui symbolise l’enfermement et est un véritable cul de sac sur tous les plans. Hors de lui et à bout, Guru revient un jour de son travail dans cette maison de dingues et annonce à sa mère, qu’il va se marier avec Mala et installer leur chambre sur la terrasse du premier étage, pas question rétorque la mère qui a déjà promis la terrasse à sa nièce pour y installer une clinique dentaire. C’est alors que se produit une explosion de violence inouïe, liée aux frustrations, aux haines ravalées, aux suspicions latentes et aux jalousies, relancées par une promiscuité insupportable. Fantasmes et projections de la frustration affective et sexuelle sont les reflets d’une société indienne dominée par le patriarcat, les coutumes inamovibles et les tabous. Pour vivre sa sexualité, se marier, avoir son intimité, il faut de l’espace et de l’argent, ce que n’a pas Guru. Et même lorsqu’il rencontre Priti, c’est la famille de celle-ci qui s’en mêle pour la déposséder.

Entre scènes d’hystérie générale et insultes sans nuances — Guru traitant sa mère de « sale pute » et celle-ci lui lançant un « va te se faire enculer » —, débarque un médecin qui ne voit qu’une manière de résoudre le conflit familial, attacher ses mains de Guru et l’assommer de médicaments. Guru va se libérer en mordant le médecin et en tuant l’écureuil qui semble être une autre de ses obsessions, alors que la nièce dentiste arrive pour installer son cabinet sur la terrasse et rentabiliser ses études. L’histoire s’emballe alors et on a l’impression d’être dans une comédie burlesque à la Female trouble, un Pink Flamingo indien que ne renierait pas John Waters, autrement dit, les limites sont balayées dans les représentations des dérives familiales.

Il faut aussi préciser que Agra est la ville du Taj Mahal, tombeau de la passion pour un roi envers son épouse défunte, mais c’est aussi la ville où se trouve l’asile psychiatrique le plus important du pays. Pour revenir sur la question de la violence inhérente à la société indienne, Kanu Behl en analyse les racines : «  j’ai voulu partir du refoulement et de la frustration ressentis par un personnage en particulier et les inscrire dans un cadre économique et culturel plus large permettant de comprendre, ne serait-ce qu’en partie, pourquoi un jeune homme peut se sentir à ce point empêché dans l’expression de ses désirs et de ses sentiments. Nous vivons dans une société fermée sur elle-même. Nous sommes censés être le pays du Kama Sutra, mais tout cela a en vérité été oublié depuis longtemps. »

Le film de Kanu Behl est à coup sûr un film carrément déglingué et subversif, qui ne s’encombre pas de figures de style quant à la critique de la famille patriarcale, elles se valent toutes dans la violence. Un film où l’on a pas fini de s’étonner, à ne pas manquer !
Agra. Une famille indienne de Kanu Behl à voir en salles le 3 avril.

Yurt
Film de Nehir Tuna (3 avril 2024)

Ahmet a 14 ans lorsque son père décide de l’envoyer dans un internat religieux, un Yurt. Dans la journée, Ahmet poursuit ses études dans un lycée privé laïc et le soir il rentre à l’internat, tout en le dissimulant à ses camarades de classe. Pour son père récemment converti, c’est un chemin vers la rédemption et la pureté. Pour Ahmet, c’est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et nationaliste ; le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures d’études coraniques et les brimades. Mais grâce à son amitié avec un autre pensionnaire, Hakan, il va défier les règles strictes du système religieux, dont l’objectif est d’embrigader la jeunesse.

Nehir Tuna, comme son personnage, a fréquenté un pensionnat religieux pendant cinq ans et a vécu la même séparation brutale d’avec sa famille, l’obligation de se comporter selon les règles… Ahmet apprend l’hypocrisie que ce soit dans l’internat ou dans son lycée... D’après le réalisateur, les raisons du père découlent d’« un désir d’ascension sociale, l’affirmation de sa foi et de ses responsabilités d’un point de vue religieux, le souci de s’ériger en exemple au sein de la congrégation... » En fait, c’est son propre salut qu’il espère obtenir en envoyant Ahmet dans le Yurt. Et comme Ahmet, en élève studieux, pas du tout rebelle, veut contenter tout le monde, évidemment en premier lieu son père, il joue le jeu du bon petit musulman hypocrite.

D’un point de vue symbolique, Nehir Tuna filme en noir et blanc dans le yurt, le pensionnat, où il n’existe pas d’autre alternative que choisir son camp, être lié à la religion ou être un mécréant, l’entre deux n’est pas envisageable et pas question de plaisanter sur la question, sinon gare aux coups et aux sévices. C’est dans le pensionnat qu’Ahmet rencontre Hakan, qui joue double jeu et triche pour échapper à la pression continuelle de l’institution. Ahmet admire Hakan pour une forme de liberté, qu’il affiche auprès de son ami, en effet celui-ci connaît les règles et joue avec. D’ailleurs il fait partie du « cercle » auquel Ahmet souhaite être admis. Les deux garçons viennent de milieux bien différents, Ahmet vient d’une famille bourgeoise, dont le père est nouvellement converti et fait des affaires avec les islamistes, tandis que Hakan est un jeune issu de milieux défavorisés, un gosse des rues, des jeunes que les religieux forment.

Le film se passe en 1996, une époque où l’opposition du laïc et du religieux était très marquée, le pouvoir religieux était alors contesté de la part de l’État en Turquie, mais le souligne le réalisateur : « Aujourd’hui c’est différent : le religieux a gagné, les pressions ne sont plus nécessaires, mais cela signifie aussi que ces institutions existent toujours et que l’endoctrinement y est plus fort que jamais. Pour mon histoire [[ajoute Nehir Tuna],] j’avais besoin de cette petite distance dans le temps, besoin de cette lutte, de cet aller et retour entre une école laïque et un pensionnat religieux. Mais pour le reste, rien n’a vraiment changé, et il m’apparaissait essentiel que Yurt dise cela : Ahmet est toujours là, parmi nous. » L’idéologie et l’institution sont plus fortes que jamais.

Yurt est l’histoire d’un jeune garçon à la recherche de l’amour, celui de son père qu’il admire, d’une élève de sa classe et attiré par l’amour-amitié que lui offre Hakan. Sa mère est la seule personne à lui témoigner de la tendresse et de l’amour. C’est donc un adolescent plutôt choyé, qui se retrouve dans les rigueurs du pensionnat et Hakan devient le grand frère, qui lui apprend à éviter les pièges, à esquiver les interdits. Hakan devient son modèle. Il le copie dans la gestuelle, les attitudes, les bravades cachées… Bien que les différences de classe rattrapent bientôt cette amitié, cette fausse connivence. À la fin du film, Ahmet a grandi et a conscience de sa place. Il comprend l’endoctrinement pratiqué, il joue le jeu comme Hakan, sans pour autant y croire, mais l’on peut poser la question : l’attitude hypocrite d’Ahmet est-elle la protection d’une forme de liberté ou bien un piège ?
Yurt de Nehir Tuna est un film témoignage sur la société turque, dans un contexte où la pensée radicale islamiste gagne encore du terrain.
Yurt de Nehir Tuna à voir au cinéma à partir du 3 avril.

La Base
Film de Vadim Dumesh (3 avril 2024)

Le film commence par de très longs travellings sur une architecture glacée, puis sur des files de taxis garés qui défilent à n’en plus finir, il peut y avoir 800 bagnoles… Et finalement la base ressemble à un immense campement plutôt sympathique après l’ambiance concentrationnaire du départ.
Réalisé par Vadim Dumesh, le film est en fait un travail d’équipe avec les chauffeurs de taxis, mis à contribution, pour mieux cerner leurs conditions de travail et la paupérisation qui s’y attachent avec l’ubérisation du métier. 11h par jour dans les embouteillages, les cris, l’attention de tous les instants, les contraintes, le stress et les attentes, il faut avoir la santé comme dirait l’autre.

Alors la base c’est quoi ? C’est un immense centre de transit isolé aux alentours de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, où de plus en plus de chauffeurs et quelques rares chauffeuses attendent d’être envoyé.es dans les terminaux pour charger la clientèle.

La base c’est aussi un lieu de repos où l’on mange, joue de la musique, on se détend loin de la trépidation et de la concurrence parisienne, où l’on cultive aussi des légumes — ça c’est celui qu’on appelle le jardinier —, où l’on plante des arbres ramenés du pays et où l’on se délasse en jouant au ping pong, à la pétanque, par exemple. Il y a même un marché… Bref un lieu de partage, de discussions, un lieu à vivre ensemble. Il y a là tous les pays, toutes les nationalités, toutes les musiques et toutes les langues.
Pas étonnant que le réalisateur, en découvrant cet endroit, ait eu l’envie d’y tourner un film, d’abord en lousdé avec son portable, sans autorisation de tournage… Mais tourner dans l’enceinte d’un aéroport hyper surveillé, c’est galère, et quasi impossible dans tous les cas pour faire un film. Une solution s’impose à Vadim Dumesh : mettre en place une équipe de tournage composée des chauffeurs de taxi, qui ont tous un téléphone portable, un dispositif tout à fait adapté à sa démarche. De plus comment approcher une réalité mieux qu’avec les protagonistes eux-mêmes. Cela donne des élans, des trouvailles et surtout le sentiment d’être réellement sur le terrain. Et puis certains des « assistants réalisateurs » improvisés se prennent au sérieux et jouent le jeu impeccablement : « il faut tout filmer parce que ça va être démoli ».
Il faut dire que Vadim Dumesh les connaissait depuis trois ans et avait clairement expliqué l’objectif du film. On parle de réappropriation de l’image dans le film d’Andrès Peyrot, Dieu est une femme, hé bien c’est aussi ce qui se passe dans La Base de Vadim Dumesh. Et on peu saluer le travail de la monteuse images du film, Clara Chapuis, qui a réussi des prodiges à partir d’une profusion géniale mais pas évidente.

Et ce sont des images qui restent et témoignent d’un temps, de cette base un peu bordélique et un peu village qui accueillait tout un monde en déclin depuis que les VTC (véhicules de tourisme avec chauffeurs) et autres moyens reléguaient les chauffeurs de taxi à l’ancienne. Et bientôt l’aéroport tentaculaire aménage un autre lieu, une autre base ailleurs et encore plus grande pour 1600 véhicules, mais surtout avec encore plus de contrôle et gérée par le privé… Belle démonstration du Meilleur des mondes ! Ah si ce progrès mercantile pouvait marquer une pause, ce serait reposant et moins angoissant !
La Base de Vadim Dumesh au cinéma le 3 avril 2024.

Dieu est une femme
Film d’Andrés Peyrot (3 avril 2024)

Entretien avec Andrés Peyrot

En 1975, Pierre-Dominique Gaisseau, ayant reçu un oscar pour son documentaire, Le Ciel et la Boue, décide de se rendre au Panama pour réaliser un film sur la population kuna, où les femmes bénéficieraient d’une forme de matriarcat. Pour ce faire, Gaisseau s’installe, avec sa compagne et leur fille Akiko, durant une année parmi les Kunas afin de les filmer et de préserver « les fondements de la dignité du peuple kuna ».

Le projet, auto financé, fait hélas faillite et la banque confisque la copie du film qui, peu à peu, devient une légende pour la population qui attend toujours de découvrir un film qu’elle considère comme le sien. D’où la frustration autour d’une confiscation absurde, puisque la banque ne fait rien du film et l’abandonne sans se soucier de sa conservation, cela soulève également le problème de la perte d’une trace cinématographique, culturelle et sociale, dans la mémoire commune.

Lorsque Andrés Peyrot rencontre en 2010 un jeune réalisateur kuna, Orgun, au cours d’un festival, la légende est ranimée en quelque sorte avec l’idée de retrouver le film et le sortir de l’oubli. Interviennent alors plusieurs rebondissements dans la quête de la copie disparue et dans la démarche d’Andrés Peyrot « de superposer les époques avec les mêmes personnes dans les mêmes endroits [et ainsi] retranscrire l’expérience de la projection de façon spirituelle ». Un autre point à souligner, dans la dernière partie du film de Peyrot : la scène de discussion extrêmement lucide, qui suit la projection du film restauré de Gaisseau, notamment sur le regard porté par celui-ci, qualifié en toute amitié de « romantique » ou même d’exotique, une sensation sans doute exacerbée par la voix off, et qui permet de remettre au centre du propos la vision de ceux et celles qui sont les véritables sujets du film, et de revenir sur la nécessité de la réappropriation de l’image et de l’histoire d’un peuple par lui-même.

Dieu est une femme est une très belle histoire de cinéma à la fois personnelle, plurielle, politique et universelle, c’est également une aventure humaine à la recherche d’un trésor perdu sur une île des Caraïbes… Beau programme, non !
Dieu est une femme d’Andrés Peyrot (3 avril 2024)

21ème Festival du cinéma de Brive
Rencontres internationales du moyen métrage
 DU 8 AU 13 AVRIL 2024 -
22 FILMS en COMPETITION INTERNATIONALE - https://festivalcinemabrive.fr/

Un HOMMAGE A LAURENT ACHARD
La peur, petit chasseur (2004 / France / 9’)
Dimanche ou les fantômes (1993 / France / 30’)
Une odeur de géranium (1997 / France / 30’)

Focus sur la nouvelle vague iranienne pré-révolutionnaire.
L’Attente d’Amir Naderi (1974 / Iran / 48’)
Wave, Coral and Rock d’Ebrahim Golestan (1961 / Iran / 48’)
Harvest and the See d’Ebrahim Golestan (1965 / Iran / 30’)
The Night It Rained de Kamran Shirdel (1967 / Iran / 38’)
ETC. https://festivalcinemabrive.fr/

Music & cinéma
du 1er au 6 avril à Marseille

Pablo Pico y sera pour organiser une master class…

Puisque le temps nous a manqué, nous diffuserons la semaine prochaine
deux films qui sortent le 3 avril :
Sidonie au Japon d’Élise Girard, (3 avril 2024)
« La mort n’efface nullement les liens que nous avons avec les disparus. » Très joli film à l’allure de conte simple et fantastique.

Le Vieil homme et l’enfant de Ninna Run Palmadottir (3 avril 2024)
Une belle histoire de rencontre qui commence de manière dramatique, un vieil agriculteur est exproprié de sa ferme et doit abandonner tout ce qui était sa vie.


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