Chroniques rebelles
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Samedi 5 mars 2005
Bab-Errih
Ghania Hammadou (Paris Méditerranée)
Article mis en ligne le 10 février 2008

par CP

Bab-Errih , La porte du vent, passage obligé de tous les égarés, les paumés. C’est par cette porte que passe aussi l’histoire de deux femmes, d’une ville, d’un pays pris entre la corruption et la violence contre les civils.
Deux femmes, deux consciences dans une ville où tout semble irrémédiablement détruit et sans espoir…

D’abord Selma à l’esprit mordant, qui constate : « Dans ce pays où l’essentiel est inaccessible à la moyenne de la population, l’aspiration des plus démunis est d’acquérir l’accessoire. »

Selma, la rebelle, l’éveillée, «  femme à la langue bien pendue, atteinte de lucidité » et capable de colère contre la peur et le conformisme.
Celle qui observe son pays soumis à la corruption et à la terreur, sa ville déchirée : « Des forcenés dangereux sont sacrés émir ou khalife, les détraqués de la cervelle, prétendant communiquer avec l’au-delà, sont lâchés dans les rues pour prophétiser. »

Selma n’oublie rien, ni la réaction de la sage-femme à la naissance de sa fille unique qui s’écrit : « Encore un vagin ! » ; ni de sa mère — sa pire ennemie — qui interrompt des études qui l’empêcherait de trouver un mari.

Selma qui n’en finit plus de dénoncer les normes, les coutumes, la barbarie et l’inconscience des autres :
« Si vous n’étiez pas aveugles, vous verriez peut-être mieux qui sont les auteurs des crimes, de l’incendie de votre garage aujourd’hui, de la terreur qui vous presse à pousser vos verrous avant l’heure du couvre-feu, à se terrer dès que la nuit tombe. D’où viennent ces hordes d’assassins ? Mais de vous !… Ils sortent des ventres de vos femmes, de vos mères. Ce sont vos fils, vos frères qui tuent… Voilà des décennies qu’on vous inocule la thèse du complot international, de la collusion de voisins envieux. C’est bien commode et ça ne mange pas de pain. » Ghania Hammadou, Bab-Errih (Paris-Méditerranée)

L’autre femme, c’est Hélène : l’amie d’enfance de Selma, la complice aussi, celle qui revient au pays et s’interroge : «  J’avais quitté un peuple insurgé, vais-je retrouver un troupeau résigné ? »
Ensemble elles vont manifester avec les femmes, recueillir des témoignages, résister à leur manière… Hélène est journaliste, cherche à comprendre et est différente de ceux et celles que Selma critique : «  Les journalistes sont en général aussi volages et inconstants que ceux qu’ils mettent en vedette ; ce qui les intéresse ce n’est pas le fait mais sa nouveauté, ce n’est pas notre vie mais notre mort… Quoique celle-ci s’est tellement banalisée qu’elle ne les emballe plus guère. »

Dans ce récit à plusieurs voix, on croise des personnages, des souvenirs, la poésie aussi quand le basilic embaume, caressé par la main qui effleure les tiges fragiles et odorantes, le passé de la Kasbah, la réminiscence des luttes, des engagements et des espoirs… Et les souks, le quartier populaire de Bab El Oued où l’on se promène avec le danger qui rôde. Au fait, comment reconnaître un passant d’un assassin ?

Les violences vécues de l’intérieur par Selma et Hélène qui relatent la terreur, la population sacrifiée, les menaces, l’intimidation pratiquée par les sbires du pouvoir, le désespoir, les massacres dont le pouvoir s’arrange — quand on a peur, on pense moins à revendiquer des droits.