Chroniques rebelles
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Samedi 10 décembre 2005
Le cinéma méditerranéen, un cinéma caché ?
Rond point Chatila, documentaire de Maher Abi Samra. Mémoire en détention, film de Jillali Ferhati.
Article mis en ligne le 29 janvier 2008

par CP

27ème festival du film méditerranéen de Montpellier
Ce qui caractérise les cinémas méditerranéens c’est, d’une part, leur richesse, leur créativité et leur diversité, et, d’autre part, l’absence de distribution dont ils pâtissent en Europe et en France.
Si l’on prend l’exemple des films — longs et courts métrages de fiction, documentaires — présentés à Montpellier en octobre dernier au cours du 27ème festival du cinéma méditerranéen, on peut se demander combien bénéficieront d’une distribution sur nos écrans ? À Paris — la ville où il y a encore le plus grand nombre de salles de cinéma—, combien de ces films seront projetés ?

Et pourtant les qualités cinématographiques de ces œuvres ne sont pas remises en question, qu’il s’agisse de films d’auteur-e-s ou de films populaires, ni d’ailleurs de l’engouement d’un public potentiel… Pour preuve le nombre croissant des publics du festival de Montpellier. Il semble que ce manque de curiosité dépasse même la logique marchande.
S’agissant du cinéma méditerranéen, le choix est vaste. Les films proposés à Montpellier viennent en moyenne de 43 pays.

À l’honneur cette année, les réalisatrices espagnoles, Chus Gutierrez, Iciar Bollain, Patricia Ferreira, Pilar Miro, Daniela Fejerman, Ines Paris… Et une rétrospective remarquable de Vittorio de Seta — cinéaste atypique dans le cinéma italien des années 1950 et 1960 — dont les documentaires étaient une découverte pour beaucoup, comme les longs métrages.

De l’ex-Yougoslavie venaient aussi des films d’une très grande force, non seulement par le sujet mais aussi par le travail de la bande son et de l’image qui prouvent que la jeune génération des cinéastes est de toutes les expériences novatrices. Et que les moyens ne sont pas toujours des freins à la recherche d’un langage cinématographique original. Par exemple, Une merveilleuse nuit à Split d’Arsen Anton Ostojic (Croatie-2004) — mention spéciale du jury à Montpellier —, Songe d’une nuit d’hiver de Goran Paskaljevic (Serbie et Montenegro-2004) couronné par l’Antigone d’or, ou encore Go West de Ahmed Imamovic (Bosnie-Herzégovine/Croatie-2005).

Le festival est également riche en rencontres et, aujourd’hui, il sera question de deux cinémas particulièrement foisonnants : le cinéma libanais et le cinéma marocain.

D’abord le cinéma libanais, particulièrement intéressant et diversifié grâce au nombre de réalisateurs et de réalisatrices. Je rappelle qu’à Beyrouth, il n’existe pas moins de huit écoles pour l’audiovisuel et que la ville est un pôle cinématographique dans la région pour la production publicitaire. Donc grâce au nombre, mais aussi grâce à la motivation, à la volonté des cinéastes de la nouvelle génération qui se caractérisent pour beaucoup par l’exigence, l’engagement, la critique… C’est le cas du nouveau documentaire de Maher Abi Samra, Rond Point Chatila qui remporte cette année le prix Ulysse du documentaire.

Ce documentaire de 51 minutes traite d’un sujet rarement abordé — les réfugié-e-s palestiniens au Liban — et d’une manière absolument nouvelle. Ce n’est pas un reportage. Maher Abi Samra plante sa caméra dans le camp de Chatila et laisse les personnes s’exprimer, vivre, rester silencieuses ; les gestes sont parfois plus explicites et les silences « assourdissants » selon l’expression de Serge Utgé-Royo.

Rond Point Chatila fait fi du misérabilisme et pose la question du déni des droits des réfugié-e-s palestiniens — au nom d’un droit au retour impossible malgré toutes les résolutions internationales. Pas question non plus de la victimisation d’une population réfugiée par ailleurs accusée de tous les maux. Le film est sans concessions, il montre les réfugié-e-s sans complaisance, tel(le)s qu’ils et elles sont dans une zone de non-droits — le camp —, ignorée d’ailleurs par la grande majorité de la population libanaise et occultée par les politiques, sinon à des fins conflictuelles. Le lieu évoque la mort, les massacres et, actuellement, il est oublié, comme « figé dans le temps ».

« 150 mètres de rue et le premier étage de l’hôpital de Gaza. Voilà à quoi se résume l’espace de ce film. » nous dit Maher Abi Samra qui connaît bien le camp et la familiarité existant entre lui et les protagonistes — les personnages du film — sont perceptibles et donne la dimension de la situation : vivre dans une sorte de no man’s land, sans droits et sans pouvoir retourner dans un pays quel qu’il soit…
Rond Point Chatila est un film d’une grande justesse, non réducteur, qui tente une approche de la réalité politique et quotidienne.
On oublie la caméra, il n’y a plus de mise en scène de conditions de tournage, nous sommes à Chatila…

Le film de Jillali Ferhati, Mémoire en détention , aborde la mémoire ou plutôt l’absence de mémoire de la répression politique au Maroc durant les années 1970 qui a laissé, et laisse encore aujourd’hui, des marques profondes dans les esprits et dans les comportements. L’ouverture se fait peu à peu, mais les structures de l’oppression existent encore.
Le cinéma comme la littérature jouent là un rôle essentiel dans le dénouement d’un passé recouvert d’une chape de plomb durant de très longues années.
Le film mêle aujourd’hui et hier comme pour retisser une mémoire niée, travestie, engloutie…

Que connaît la jeunesse actuelle de répression politique ?
Des images fugaces. C’est le cas de ce jeune délinquant qui, le jour de sa libération, se voit confié un vieux détenu politique devenu amnésique. Sans l’avoir consciemment choisi, il remonte le temps pour retrouver des liens avec le passé, non seulement celui du vieux militant mais aussi le sien. Des passerelles s’opèrent car son père aussi a été arrêté à la même époque et a disparu de son enfance. Car il fallait ne rien dire de ce qui pouvait mettre en danger une famille.
C’est finalement plus la reconstruction de cette jeunesse d’aujourd’hui dont il est question, d’un pan de l’histoire du Maroc que de l’histoire de ce vieil opposant qui a vécu la plupart de sa vie en détention.

La conscience de l’histoire, c’est cette femme qui revient d’exil et se met en recherche des traces de son ancien amour et de son engagement aussi…
Elle est le fil rouge de l’histoire.
Le jeune délinquant est perdu, vit sans comprendre une vie morcelée et sans passé.
L’amnésique est égaré dans un monde imaginaire, recréé pour supporter la torture physique, la torture de la perte de l’être aimé, le rejet de ses compagnons aussi.

Mémoire en détention de Jilali Ferhati soulève aussi une réflexion sur le rapport à l’image. À quoi servent les images ?
Quelle est la réalité de l’oppression dans la transcription de l’image ? Comment la montrer, la faire ressentir après trois décennies ?
Comment lui rendre sa réalité dans le cadre d’une mémoire prisonnière et comment la dépasser ?

Et puisque nous parlons de cinéma, et de cinéma courageux, si vous avez un seul film à voir cette semaine, il ne faut pas manquer Pour un seul de mes deux yeux de Ravi Mograbi. Un documentaire qui fait le lien entre deux occupation, l’occupation romaine de la Palestine au premier siècle de notre ère et l’occupation israélienne aujourd’hui des territoires palestiniens. Un lien également entre les cultures de résistances et de sacrifices. Plutôt mourir que de se soumettre.
Un film qui se penche sur la situation actuelle et montre encore une fois que les cinéastes israéliens ont une vision très critique de cette occupation militaire. Pour mémoire également le film d’Eran Riklis, La Fiancée syrienne (2004) et le dernier film d’Amos Gitai, Free Zone (2005).

De même que les cinéastes palestiniens font une analyse très intéressante d’une situation qui semble sans issue et dramatiquement ubuesque, je pense au film d’Hani Abu Assad, Paradise now (2005) et à son docu-fiction, Ford Transit récompensé à Montpellier en 2003.