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Christiane Passevant
« Un cinéma sous influence » ? Les films de la Révolution espagnole
Entretien avec Richard PROST
Article mis en ligne le 10 mars 2008
dernière modification le 24 septembre 2009

par CP

Un cinéma sous influence, dernier film documentaire de Richard Prost [1], retrace l’histoire d’une période à part dans le cinéma espagnol, celle qui va de 1936 à 1941 : d’une part le cinéma des anarcho-syndicalistes — dont la production prolixe illustre l’intérêt qu’ils accordaient au pouvoir de l’image —, d’autre part celui du camp franquiste.

Il faut préciser en effet que, dès juillet 1936 et en réaction au coup d’État des généraux — dont le futur généralissime Franco — contre la République espagnole de Front populaire, se déclenchait en Espagne dans le camp resté sous l’autorité de la République, une formidable révolution sociale qui se traduisit notamment par une vague de collectivisations anarchistes, principalement en Aragon et en Catalogne.

À Barcelone, «  À partir du 19 juillet, les anarchistes décident d’intervenir dans cette industrie culturelle aussi importante qu’est le cinéma. Ils collectivisent l’industrie du cinéma : Avec les premières forces de guérilleros révolutionnaires, marchaient aussi, sous le signe libertaire, les premiers guérilleros du cinéma de la révolution. [2] ». C’est ainsi que l’industrie du cinéma — production, structures de distribution et de diffusion — se retrouva collectivisée par la CNT (Confederación Nacional del Trabajo) [3].

Cette expérience, unique dans l’histoire du cinéma, a permis des expressions diversifiées, militantes, surréalistes, classiques, surprenantes, transgressant tabous et convenances sociales. La CNT espagnole a, en 1936 et 1937, produit et réalisé des films documentaires, des reportages sur le front, mais aussi des fictions ancrées dans la réalité de l’époque (pas moins de deux cents documentaires et de huit fictions). Nosotros somos asi, Aurora de esperanza, Nuestro culpable, Barrios Bajos sont des films tout à la fois critiques de la société capitaliste et destinés à un très large public. Grâce aux Films du Village [4] , les fictions de la CNT ressortent aujourd’hui de l’oubli et témoignent du pouvoir des images dans un contexte de lutte révolutionnaire.

Dès l’été de 1937, la production anarcho-syndicaliste diminue, les communistes mettant un point d’arrêt aux collectivisations, dont celle de l’industrie cinématographique. Le cinéma devient plus didactique, la production concerne essentiellement les documentaires et les actualités. La victoire franquiste marquera la fin de l’élan novateur de la production cinématographique espagnole [5].

Après la victoire franquiste, comment ces films, au regard de leur contenu critique et révolutionnaire, ont-ils pu être conservés ? Et comment ensuite ont-ils été retrouvés ?

Richard PROST : La guerre terminée, les franquistes n’ont pas cherché
la destruction du matériel audiovisuel, probablement parce que les préoccupations étaient ailleurs et que le pouvoir des images n’a heureusement pas été pris en compte. Les bobines ont été oubliées jusqu’à la fin des années soixante-dix. Il n’existait alors qu’un vague répertoire et une connaissance diffuse des documents et des films. La CNT a produit plus deux cents films — documentaires et fictions — et ce matériel n’a pas été touché. C’est un peu l’histoire du film sur la Commune de Paris, tourné en 1913 par Armand Guerra [6], conservé à la cinémathèque et retrouvé par hasard. La filmothèque a toujours existé et, à partir de 1976, la gestion du stock a été reprise par des professionnels qui ont commencé à restructurer le catalogue. Les films républicains sont nombreux dans ce catalogue et ils ont été les premiers réhabilités.

— La production cinématographique de cette époque a été très prolixe, mais du côté franquiste elle s’est limitée à une cinquantaine de films tout au plus. Ce déséquilibre de la production signifie-t-il que du côté de la République espagnole, on avait compris l’enjeu des images ?

Andres GARCIA-AGUILERA [7] : Certainement. L’expérience populiste de Primo de Rivera avait laissé des traces et le pouvoir des images et de la propagande était connu. D’où sans doute cette production importante de la CNT [8].

Richard PROST : J’ai travaillé quinze ans sur ce sujet et ce qui m’a surpris c’est l’oubli de ces films par les vieux militants espagnols. Ils se souvenaient de films, mais n’en gardaient aucun souvenir précis. Il n’y a pas eu de transmission de la réalité, de ce qu’il y avait de très fort dans ces films, par les militants. Est-ce parce que c’est une génération de l’écrit, très imprégnée de littérature et très peu par ce que représente le cinéma ? Je cherche toujours à comprendre pourquoi il n’y a pas eu de publicité faite autour de ces films. Ces films étaient oubliés même du côté des exilés anarchistes espagnols. Et quand j’ai parlé de les distribuer, même mes amis
à Madrid n’ont pas réalisé leur intérêt. Et pourtant, certains détails étaient inscrits dans les esprits, par exemple l’image du crochet dans Barrios Bajos  [9].

—  Nosotros somos asi de Valentin R. Gonzalez [10] est un film très particulier, joué par des enfants…

Richard PROST : C’est une comédie musicale — un court métrage — interprétée en effet par des enfants. J’ai cherché des informations sur le tournage car le jeu des enfants dénote parfois une telle conviction que je ne serais pas étonné si, parfois, ils avaient mis un peu d’eux-mêmes dans le scénario et la mise en scène. Par exemple, dans leurs revendications pour plus de récréation, pour du pain et du chocolat et moins de maths ! Quand j’ai vu pour la première fois le film, en 1985, Aimé Marcellan [11], m’a signalé que les dialogues étaient en vers et nous avons tenté de garder le rythme et cette ambiance particulière dans les traductions sous-titrées. Nosotros somos asi est une comédie musicale inspirée du cinéma américain. On retrouve en effet dans des revues anarchistes de cinéma, comme Mi Revista, de nombreux articles sur Hollywood et sur les comédies musicales. Le film comporte des numéros de claquettes, des compositions florales, des fondus. Tout cela sur le mode de l’insolence et de la morale, une leçon que donnent les enfants aux adultes.

— La morale passe peut-être plus facilement grâce au jeu et à la spontanéité des enfants ?

Richard PROST : Le jeu des enfants et leur conviction donnent une grâce au film.

— La prise de conscience de l’un des enfants est une belle démonstration, mais la scène la plus étonnante est celle du débat politique où il est question de l’émancipation des femmes, de l’égalité entre les classes et du processus de domination dans un système capitaliste. Dans cette séquence, les enfants montrent une conviction qui pose des questions sur les conditions de tournage.

Richard PROST : Un de mes projets est de réaliser un documentaire sur le tournage de ce film, mais il faut en retrouver les acteurs. Nous sommes peut-être sur la piste de l’une des enfants du film grâce à un ami cinéaste, mais il faudrait retrouver plusieurs des protagonistes.

— Où se tournaient les films entre 1936 et 1937 ?

Richard PROST : À Barcelone pour la plupart, vu la situation. Nuestro Culpable et Carne de fieras ont été tournés à Madrid. Dès juillet 1936, une grande assemblée du Syndicat des spectacles avait déclaré la collectivisation de l’industrie du cinéma. La collectivisation concerne la production, mais aussi la distribution et la diffusion. L’enjeu de l’industrie cinématographique n’avait pas échappé aux libertaires. La CNT était toute puissante à Barcelone et avait réquisitionné les deux grands studios de la ville : Orphea-films et Trilla devenus Studio n° 1 et Studio n° 2. De même que les deux laboratoires.

Andres GARCIA-AGUILERA : Autre indication intéressante, d’après l’accent des personnages, on s’aperçoit que les acteurs venaient de toute l’Espagne.

— La production de Nosotros somos asi a démarré avant le 19 juillet 1936. Les scènes de barricades qui y sont montées sont-elles mises en scène ou sont-elles réelles ?

Richard PROST : Sur les cinq plans montés dans le film, deux plans ont été extraits d’un documentaire et les trois autres sont reconstitués, notamment le très joli, mais invraisemblable, plan de cette femme aux cheveux longs. Ces plans sont de la fiction.

— Quelle a été la réaction du public à ces films ?

Richard PROST : En consultant la presse de l’époque, nous n’avons rien trouvé sur Nosotros somos asi , ou très peu de choses. Ce film était projeté en première partie, avant le film long métrage. Les articles de presse retrouvés sont essentiellement sur Aurora de esperanza et Barrios Bajos. Nuestro culpable est un des derniers films de cette vague de production et il n’a certainement pas bénéficié d’une distribution suffisante.

—  Aurora de esperanza de Antonio Sau [12] se déroule en 1935, en pleine crise économique ?

Richard PROST : C’est un drame social qui se démarque des autres films. Il est sérieux dans sa forme, dans ses dialogues, et classique dans la mise en scène. Le film se rapproche du cinéma soviétique. Dans la dernière partie, il y a beaucoup de plans en contre-plongée qui ajoutent à la dramatisation de la marche des chômeurs. C’est moins un film dans le style de Renoir ou de René Clair qu’un film politique. La démonstration est sans ambiguïté, le point de départ est un individu qui, isolé par le chômage, retrouve sa lucidité et son courage dans le groupe. C’est le schéma classique du militantisme. Nous sommes avec ce film dans une culture du cinéma social de revendication. Certaines séquences sont intéressantes d’un point de vue critique. Par exemple celle où la famille, de retour de vacances, retrouve le logis : la femme met son tablier et s’active à la cuisine pendant que l’homme, futur militant de la CNT, s’assoit et prend un livre. C’est le cliché de l’époque et le réalisateur a choisi de montrer la réalité courante plutôt qu’un couple idéal où le sexisme n’aurait pas cours. Le réalisateur ne met pas en scène un héros, mais un homme ordinaire. Un ouvrier qui, comme beaucoup, une fois licencié, ne comprend rien à la situation. Dans sa vie de famille, il adopte donc le comportement que lui assigne la société. Le scénario induit que n’importe qui peut prendre conscience, se révolter et s’engager dans la lutte.

— Le cheminement de cet homme vers la prise de conscience est très bien montré. Au départ, c’est plutôt un ouvrier docile, qui ne revendique que du travail. Puis, d’humiliations en constat d’une société injuste, c’est la révolte et la marche de la faim. Les pauvres ne mendient plus, ils revendiquent. C’est un militantisme de nécessité ?

Richard PROST : Oui. On peut d’ailleurs se poser la question sur la production des films de cette époque. En 1936, le syndicat du spectacle est collectivisé. Alors pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de scénarii réellement militants ? Pourquoi, dans Aurora de esperanza , le personnage n’est-il pas un membre de la CNT ? Pourquoi ne met-on pas en scène de héros militant ? Un couple idéal de militants ? En fait, les personnages mis en scène sont ceux et celles qui pourraient ensuite rejoindre la CNT. Il s’agit de toucher des gens pour qu’ils rejoignent le mouvement. Le film était destiné à un large public.

— Ce film fait penser aussi aux films de Ken Loach sur le chômage ?

Richard PROST : C’est vrai. D’ailleurs, le film se termine par une grande marche des chômeurs et cela rappelle aussi les marches européennes se dirigeant vers Amsterdam. Avec Aurora de esperanza , on est en plein dans l’actualité : le droit au logement, le droit à un travail digne.

— Et la réaction anarchiste de Juan, le personnage principal, déjeunant au restaurant et refusant de payer ?

Richard PROST : C’est aussi dans cette scène qu’apparaît l’un des seconds rôles intéressants dans le film : le flic débonnaire, qui comprend la situation de cet homme poussé à bout par la misère — une situation qu’il connaît peut-être aussi autour de lui. Il arrête Juan puis, une fois dehors, le laisse partir en lui recommandant de ne plus revenir dans son secteur pour éviter les ennuis. Le film n’est pas manichéen et provoque la réflexion.

—  Nuestro culpable de Fernando Mignoni [13] est un film dans un tout autre registre, celui de l’humour décapant et subversif. Le film fait penser à Haute pègre de Lubitsch, ce qui souligne encore le lien du cinéma espagnol de cette époque avec le cinéma des États-Unis.

Richard PROST : Il semble que ce film ait été l’unique film de Fernando Mignoni qui était décorateur dans le cinéma d’avant 1936. Mignoni était certainement un homme très libre, dont le scénario était prêt et qui a bénéficié de l’opportunité de l’époque. Le ton du film et les dialogues sont d’une insolence étonnante. Le héros est à la fois Arsène Lupin et Durruti. Le film démarre dans une moralité révolutionnaire, notre héros cambriole un banquier pour offrir un cadeau de mariage à des amis. Il rencontre sur les lieux la maîtresse du banquier qui profite de la présence du voleur pour prendre une valise avec deux millions de dollars et le faire accuser. Le film est à la fois une dénonciation de l’hypocrisie des convenances bourgeoises, de la corruption, de la justice et du système pénitentiaire. Une satire du système en général. Les dialogues entre El Randa, le voleur, et le banquier sont extraordinaires. Par exemple, quand El Randa prend le banquier à témoin : « J’ai volé deux millions de dollars, vous savez ce que c’est, vous ! » Ce qui sous-entend que le plus grand voleur n’est pas celui qu’on pense. Et tout est ainsi.

— La vie en prison est d’ailleurs assez idyllique dans le film. Évidemment quand on a de l’argent… car, pour faire parler El Randa et retrouver les deux millions de dollars, on le fait bénéficier d’un traitement de faveur. Le voleur au grand coeur devient, depuis sa prison, une célébrité populaire dans une cellule VIP. Sur le fronton de la prison s’inscrit « Hais le délit et prends pitié du délinquant », un détail dans l’esprit de cette satire ?

Richard PROST : Chaque détail est soigné dans le film où les jeux de mots sont nombreux ainsi que les phrases à double sens. Nuestro culpable fait penser à certains films de l’époque, tels La belle équipe de Julien Duvivier (1936), Quatorze juillet (1933) de René Clair, etc. Le titre aussi, Notre coupable , est significatif : le coupable une fois désigné, la justice n’accepte pas d’en changer. La dernière partie du film est une charge féroce contre la justice. La véritable coupable, qui décide de rendre le butin, est reçue par le juge qui lui fait remarquer avec ennui que l’affaire est close, qu’un coupable est en prison et qu’il n’est pas nécessaire de venir bousculer un ordre bien établi avec ses aveux. Une parfaite illustration de juge corrompu, aux ordres du banquier et des autorités.

— Le ministre de la Justice à cette époque était anarchiste ?

Richard PROST : Au moment du tournage, Garcia Oliver, membre de la CNT, était ministre de la Justice. Sans doute que Mignoni ne s’est pas senti bridé dans sa fresque satirique et parfois surréaliste. La critique fuse dans les dialogues et il n’a pas rencontré d’opposition à son insolence. Malheureusement, le film n’a pas été largement distribué — il a été achevé tard — et nous n’avons trouvé aucun article sur son accueil auprès du public et sur les réactions qu’il a pu susciter. Sur Barrios Bajos et Aurora de esperanza , nous avons trouvé des articles, et là les avis sont souvent divergents. Certains sont opposés à la manière de traiter les sujets. Le mouvement libertaire était très diversifié dans ses goûts et certains libertaires avaient des goûts classiques, plus sobres, en fait plus tristes. Et d’autres, plus fantasques, plus libérés, utilisaient l’art et le cinéma pour donner libre cours à une créativité originale. Dans ces articles, certains semblent avoir désiré plus de rigueur, et peut-être plus de contrôle. Cette révolution se faisait dans la guerre après tout. Aujourd’hui les films sont accueillis avec beaucoup d’intérêt par le public en général, mais aussi par les cinéphiles.

—  Barrios bajos de Pedro Puche, c’est la version espagnole du film de Renoir ?

Richard PROST : Oui, comme celui de Renoir, le film est tiré d’une nouvelle de Gorki. Le film est certainement inspiré de Renoir et de Pagnol. Le personnage principal ressemble à Raimu. C’est un mélo. D’ailleurs, la critique reproche au film de faire pleurer. Notre coupable est alors en préparation.

— La production des films de la CNT a-t-elle commencé en 1936 ou avant, dans l’optique de changer les mentalités, les comportements ?

Richard PROST : La production des films par la CNT n’a pas commencé avant la révolution du 19 juillet 1936. De nombreux militants de la CNT étaient des techniciens et des artistes de cinéma. Ils appartenaient au syndicat tout simplement. Il fallut attendre la révolution, avec la collectivisation des moyens de production, des salles de cinéma, de spectacle, pour que le syndicat, les ouvriers prennent en main la production des films avec la création de scénarios, la préparation des tournages et leur démarrage.

— Quelle est leur chronologie dans la production et dans la distribution des cinq films de la CNT — Nosotros somos asi, Aurora de esperanza, Nuestro culpable, Barrios Bajos et Carne de Fieras ?

Richard PROST : Nous n’avons aucune certitude. On sait que Aurora de Esperanza a été le premier à être tourné, Nosotros Somos asi a été tourné en 1936, comme court métrage en avant-programme du long métrage. Les derniers sont Barrios Bajos et Nuestro Culpable , tournés à la fin de cette expérience, à Madrid. Carne de Fieras  [14] est un film très particulier, ce n’est pas réellement une production de la CNT. Il a été produit avant le 19 juillet 1936 par un producteur privé, et le tournage s’est arrêté au moment de la révolution. Le réalisateur, Armand Guerra, anarchiste et membre de la CNT, voulait partir au front filmer la guerre. Cinéaste connu, il avait tourné en 1913, à Paris, un film sur la Commune, et fondé la coopérative Le Cinéma peuple. Le syndicat lui demanda de terminer le tournage et d’honorer les contrats des techniciens et des acteurs, et de rejoindre le front seulement ensuite. Le tournage terminé, le film est resté à l’état de rushes dans les boîtes pendant toute la guerre. Puis les boîtes ont disparu et les rushes ne seront retrouvés qu’en 1992 par la cinémathèque de Saragosse.

— Dans quel état ?

Richard PROST : Dans un très bon état. Les images, en 35 mm, ont peu vieilli et, même si elles nécessitent un travail de réhabilitation, le film est très bien conservé. Le film n’a pas été monté par Armand Guerra mais en 1992 par Ferran Alberich, cinéaste et restaurateur de nombreux films pour la filmothèque d’Espagne.

— Pourquoi la production s’arrête-t-elle l’été 1937 ?

Richard PROST : Comme mon ami cinéaste Antonio Artero l’explique très bien dans mon dernier film, Un cinéma sous influence, les événements de mai 1937 marquent la fin de la production de films de la CNT : « À partir de ce moment, les appareils du PCE, comme Laya Films, ou du PC catalan, le PSUC, et le reste des appareils de propagande du gouvernement de Catalogne occupent tous les espaces. »
Après mai 1937, la collectivisation est terminée. L’intervention des communistes est très forte. Ils militarisent les milices et stoppent toutes sortes de collectivisations, entre autres celle du cinéma. À partir de ce moment, on termine les productions en cours, mais aucune autre fiction ne sera plus produite et c’est l’arrêt brutal de cet esprit libertaire et fantasque dans le cinéma espagnol. Désormais ne seront plus produits que des documentaires de propagande.

— Pour ces documentaires de propagande, d’où vient la pellicule ?

Richard PROST : La CNT avait collectivisé les laboratoires, mais les éléments chimiques sont là, on peut penser qu’il y avait encore des stocks pour ces films et qu’au moment de la révolution il avait été encore possible d’en faire venir.

— Mai 1937 : l’élan de création et la production de fictions s’arrêtent. En 1939, malgré l’arrivée de Franco au pouvoir et la Retirada, les films sont préservés, conservés dans des cinémathèques. Sont-ils dispersés dans toute l’Espagne ?

Richard PROST : Il y a deux endroits principaux où ils sont conservés, Barcelone et Madrid. Des copies sont néanmoins passées en France. Elles repasseront en Espagne par l’intermédiaire de la valise diplomatique, après 1976. Des envois seront faits par la CNT de l’exil à la filmothèque de Madrid. C’est d’ailleurs ça qui contribuera en partie à faciliter la reconnaissance des droits de la CNT en Espagne de tous les films qu’elle a produits.

— Que deviennent-ils en 1939 les techniciens, les réalisateurs, les comédiens qui ont tourné dans les films de fiction dans la CNT ? Certains partent en exil, sont emprisonnés ?

Richard PROST : Armand Guerra, comme de nombreux militants anarchistes, a passé la frontière en 1939 et malheureusement, quelques mois plus tard, il est mort d’une rupture d’anévrisme en France où il s’était réfugié avec sa famille. Mignoni revient à son premier métier, décorateur, qu’il exerçait avant de réaliser Nuestro culpable . Certains des comédiens qui étaient des têtes d’affiche dans ces films continuent à tourner sous le régime franquiste, notamment des comédiens de Carne de Fieras . Mais comme ce film n’a été ni monté ni projeté, il n’existe pas. Les acteurs ne sont donc pas compromis par le film et continuent à tourner. Il faut souligner que certains de ces comédiens avaient simplement exercé leur métier, sans pour autant être engagés, ou militants de la CNT. Ils gardent leur place dans l’industrie du cinéma. En travaillant sur Cinéma sous influence , nous avons fait des recoupements, ce qui nous a permis de retrouver des comédiens ayant joué pour la production des deux camps, dans les films de la CNT et dans la production franquiste d’après 1939. Dans les années quarante, ils figurent toujours sur les registres des agents de comédiens et travaillent dans les quelques films produits en Espagne.

Andres GARCIA-AGUILERA : Certains techniciens qui avaient travaillé pour des productions anarchistes ont aussi travaillé sous le régime franquiste.

— Mignoni, par exemple, qui avait réalisé l’un des films libertaires les plus insolents n’a pas été inquiété ?

Richard PROST : Il n’a pas été inquiété, mais ces films ont-ils été vus ? La question se pose. J’ai rencontré des spectateurs de ces films, mais les autorités, elles, ont-elles pris le temps de les visionner après la guerre ? Mon impression est que non. En fait, aucune enquête n’a été menée sur qui avait fait quoi, et aucune analyse n’a été faite de ces films. C’est sans doute pour cela que Mignoni a pu revenir à son premier métier de décorateur de cinéma sans être inquiété. Le cinéma est un métier d’artisan et, quand on est compétent, les gens de la profession font appel à vous. Le nombre de techniciens et d’artistes du cinéma était aussi plus restreint à cette époque et comme un certain nombre était parti en exil, le choix des techniciens était certainement plus limité.

— Pas de chasse aux sorcières dans le milieu du cinéma espagnol ?

Richard PROST : Si certainement, mais pas nécessairement pour des raisons de métier. Cela s’est exercé sur des personnes impliquées dans le syndicat. Beaucoup sont parties en exil, d’autres ont été emprisonnées et même fusillées. Mais je n’ai pas d’éléments concernant une traque des techniciens et des artistes de cinéma en 1939.

Andres GARCIA-AGUILERA : Il y a aussi le cas inverse d’une actrice qui avait tourné dans Carne de Fieras , et qui a été fusillée par les républicains car elle était soupçonnée d’être une espionne à la solde des fascistes. Elle jouait l’épouse du personnage principal dans le film.

— Les films libertaires n’ont pas subi de censure rétroactive ou de destruction des à l’arrivée de franquistes au pouvoir ?

Richard PROST : La censure sur ces films s’est exercée par l’oubli et l’impossibilité de les voir pour les spectateurs : une censure de l’absence, mais pas de destruction. En revanche, Rojo y Negro [15], un film phalangiste dont je montre des extraits dans la dernière partie de Cinéma sous influence , a été détruit trois jours après sa sortie parce qu’il ne plaisait pas au régime franquiste. La destruction a été totale. Par chance, on en a retrouvé une copie en 1996. Il y a eu parfois de la part du régime franquiste une manière très virulente de tout détruire, négatifs et copies. Mais les films de la CNT ont simplement été stockés de manière administrative et fonctionnaire sur les étagères interminables de la cinémathèque.

— Quel est l’intérêt — sinon celui du témoignage historique qu’ils représentent — de montrer à présent les films de la CNT ?

Richard PROST : La réponse se trouve dans mon dernier film, mais aussi dans Un autre futur . Cet intérêt est multiple. Il est d’abord de donner plus de légitimité à l’Espagne au regard du cinéma européen, de la cinéphilie, en montrant que les cinéastes et le cinéma espagnols de cette époque n’ont rien à envier aux autres cinéastes ni aux autres cinémas européens. Malgré les difficultés que ces cinéastes ont connues pour faire du cinéma, ce cinéma, dans son ensemble, est de très grande qualité. Il n’y a pas de chef-d’œuvre, mais dans ces films il y a toujours une, deux, ou trois séquences très réussies, esthétiquement remarquables. Ce sont des films réalisés pendant la guerre et le manque de moyens est parfois évident. Les fins sont quelquefois bizarres et un peu rapides. Si des moyens normaux avaient accompagné cette originalité de la production, les films auraient été sans aucun doute meilleurs. Malgré tout, dans leur état, de très belles choses éveillent la curiosité. La qualité de cette production et sa richesse donnent une légitimité aux cinéastes espagnols par rapport à l’ensemble du cinéma européen. Il est, en outre, intéressant de replacer ces films de la CNT dans la perspective du mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste. Pouvait-on imaginer ce traitement pour des films militants ? Ces films sont décalés, qu’il s’agisse des mélodrames ou des formes d’expression artistique destinées à divertir. Mais ces films-là donnent du relief au mouvement anarcho-syndicaliste et nous permettent de voir la CNT d’une façon différente.

Andres GARCIA-AGUILERA : Beaucoup de militants de la CNT n’aimaient pas ces fictions parce qu’elles n’étaient pas explicitement politiques, pas assez militantes. Et surtout d’esprit elles étaient trop libertaires, avec aussi des messages moralisateurs. Ils considéraient par exemple que Nosotros Somos asi , cette comédie musicale avec des enfants, était inutile et osée dans le contexte de la guerre.

Richard PROST : Les critiques ont été sans complaisance. Nuestro Culpable a choqué. Barrios Bajos aussi a été attaqué. Mais c’est aussi pourquoi je parle de relief. Parmi les personnes de la communauté anarchiste de l’exil, les formes de pensée, les goûts étaient multiples. Certaines aimaient la rigueur, étaient des ascètes et n’aimaient pas ces films. Il n’empêche que le grand mouvement anarcho-syndicaliste, la CNT, a su rassembler toutes ces personnes de mentalités différentes et c’est cela l’intérêt. Dans un mouvement de masse, impossible de se ressembler tous et toutes. L’exemple de la CNT dans l’Espagne de 1936 est très fort : un mouvement de deux millions d’individus, ensemble, avec des visions différentes mais des principes fondamentaux communs. Quand on parle d’esthétique de cinéma, les avis sont variés. Et alors ?

—  Ces fictions montrent donc la révolution dans sa diversité, avec des approches différentes ?

Richard PROST : Filmer la révolution, c’est dans les documentaires : Bajo el signo libertario, Aguiluchos, La silla vacia, entre autres. Dans la fiction, les objectifs sont différents, les influences du cinéma européen et américain sont très présentes, divertir le public est important, même si les réalisateurs injectent des dialogues et des situations très libertaires et anticapitalistes dans les films. Aucun des scénarios de fiction n’était destiné à filmer la révolution.

— Quelle est l’importance de ces films pour la jeune génération en Espagne ?

Andres GARCIA-AGUILERA : Les fictions de la CNT ont été, pour moi, une découverte très intéressante d’un point de vue politique, idéologique. C’est un produit culturel et artistique qui provient directement d’une confédération des travailleurs, d’un syndicat, mais qui n’est pas uniquement politique. Ce n’est pas seulement un document de propagande. À cette époque, les anarchistes de la CNT ont cru possible, avec des artistes et des techniciens, de faire des films libertaires, de s’exprimer dans des conditions dignes et surtout de dire des choses sans consignes politiques rigides. C’est, à mes yeux la caractéristique la plus intéressante de cette production. Les films sont très diversifiés et les messages politiques sont parfois flous ou très subtils. Chacun est libre de l’interprétation. Autant dans les comédies que dans les mélodrames, cette liberté est très intéressante.

— Actuellement, ces films peuvent-ils avoir une influence ou sont-ils simplement vus comme des documents d’un passé lointain et révolu ?

Andres GARCIA-AGUILERA : Ces films sont méconnus en Espagne. Il y a déjà quelques années, un cycle de cinéma, notamment anarchiste, s’est tenu à la cinémathèque de Valence, à l’occasion de la commémoration de la Seconde République espagnole. J’ai parlé avec des spectateurs très intéressés qui avaient fait une véritable découverte, comme moi. Car, même aujourd’hui, ce n’est pas facile de voir ces films, de connaître la production de cette époque. Une grande parenthèse de quarante ans a effacé tout le cinéma de la République et le cinéma de la guerre. Voir ces films serait très positif pour les jeunes générations, pour comparer et suivre l’évolution artistique et politique de l’Espagne.

— C’est plus facile pour cette génération de l’image ?

Andres GARCIA-AGUILERA : L’image est plus présente actuellement qu’il y a trente ou quarante ans. C’est une voie directe et accessible pour les jeunes et les autres. C’est le deuxième moyen de se cultiver. L’image est essentielle.

— Des rétrospectives de documentaires de la CNT ont-elles suscité le même intérêt ?

Andres GARCIA-AGUILERA : Les documentaires intéressent davantage les personnes en raison du caractère « réel » des images. Les documentaires suscitent plus d’intérêt, mais moins de curiosité.

—  Un cinéma sous influence parle de la fiction et des documentaires de la CNT, et également de la production franquiste. Est-ce la suite logique de vos recherches ?

Richard PROST : Je travaille effectivement depuis quinze ans sur cette période et son cinéma. J’ai eu l’opportunité de traiter ce sujet pour la chaîne Ciné Classics en raison même de mes recherches. J’ai appris que la chaîne voulait programmer une série de quinze à vingt films espagnols de cette période — fictions et documentaires — et, dans ce cadre, elle voulait produire un documentaire sur le cinéma de cette période. J’ai alors écrit le projet de Un cinéma sous influence. Cinématographiquement, l’époque traitée va de 1936 à 1941-1942 et se termine avec le film franquiste Raza [16]. Bien sûr le documentaire remet les films dans leur contexte historique, et parle de l’Espagne du début des années trente, de l’arrivée du cinéma sonore, du nombre de films produits, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé après 1936. Les extraits de films montrés et utilisés pour mon documentaire ont été en grande partie produits pendant la guerre d’Espagne.

— En dehors de l’influence du cinéma états-unien, quelles ont été les autres influences depuis l’arrivée du cinéma parlant ?

Richard PROST : Grâce à la très belle revue de cinéma Mi Revista, on s’aperçoit que le cinéma russe — Eisenstein, par exemple — était également connu du public citadin, comme les films français — Renoir, René Clair. René Clair écrit d’ailleurs des articles dans la presse espagnole. On retrouve ces influences dans les fictions produites pendant la guerre.

— Les différences entre les productions de la CNT et les productions franquistes sont presque caricaturales tant les deux idéologies transparaissent dans les images. Dans la représentation des femmes par exemple.

Richard PROST : J’ai voulu montrer une certaine réalité, qui d’ailleurs saute aux yeux à la lecture des films. Les films du camp franquiste montrent des images, des caractères stéréotypés, les relations hommes/femmes y sont totalement inexistantes. Du côté républicain, surtout dans la période anarchiste de la production cinématographique, les films sont novateurs, dans la mouvance des films européens, ils dépassent même les films français dans l’insolence et la façon de transgresser les images convenues, de se libérer des tabous.

—  Un cinéma sous influence sera d’abord diffusé en Espagne, et ensuite en France ?

Richard PROST : La sélection de films et mon documentaire seront diffusés en Espagne en décembre 2001 sur Cineclassico, puis en France, quelques mois après, sur Ciné Classics.

— Comment ont réagi les réalisateurs qui interviennent dans le documentaire ? Quel a été le travail en commun ?

Richard PROST : J’ai travaillé essentiellement avec des amis, proches de ma recherche, et cela s’est fait naturellement. Il m’était possible de réaliser ce film depuis déjà plusieurs années ; la thématique correspond à mes travaux puisque je participe à l’élaboration du festival du cinéma espagnol de Nantes. Les deux intervenants principaux du film sont Antonio Artero — cinéaste originaire de Saragosse — qui connaît très bien le cinéma anarchiste, et Ferran Alberich, avec qui j’ai travaillé aussi dans le cadre du festival de Nantes, qui s’occupe de la restauration de nombreux films pour la cinémathèque. Il vient de terminer une merveilleuse réhabilitation du Chien andalou de Buñuel. Le documentaire a donc été naturellement réalisé avec eux.
La vision de Carlos Saura — autre intervenant dans le documentaire — est intéressante sur deux aspects : il connaît assez peu les films de cette époque et il vient d’une famille aux idées opposées pendant la guerre civile. Il a vécu son enfance dans sa famille, côté républicain, à Barcelone et, à la fin de la guerre, il est parti vivre à Huesca, chez ses grands-parents. Très jeune à cette époque, il ne comprenait rien à la situation et le souligne dans Un cinéma sous influence  : « La guerre terminée, j’ai quitté Barcelone qui avait toujours été républicaine pour aller à Huesca avec mes grands-parents. Ils étaient de droite, terriblement catholiques, ils allaient à la messe tous les jours. C’était de vrais puritains d’Aragon. La version qu’ils me donnèrent de la guerre m’a bouleversé. Les méchants étaient devenus les gentils. L’esthétique de la guerre est très dangereuse. Il faut distinguer les films de fiction sur la mémoire de la guerre de ce que fut réellement la guerre ».
C’est un témoignage très intéressant venant de cette génération d’Espagnols, qui ont vécu la guerre civile au sein de familles partagées. C’est aussi le thème du film, l’affrontement des deux camps. Le cinéma aussi était partagé, comme la société.

Andres GARCIA-AGUILERA : Cela n’a pas été le cas dans ma famille qui est issue de la classe ouvrière. Leur origine sociale était claire et les deux côtés étaient républicains. Mon grand-père maternel était parti très jeune dans le maquis et mon grand-père paternel était capitaine dans l’armée régulière républicaine. Mais, après 1939, parmi les jeunes engagés volontaires sur le front comme miliciens, qui n’avaient pas choisi l’exil, beaucoup ont été enrôlés dans l’armée franquiste. Ce fut un conflit très dur pour mon grand-père maternel. Après trois ans de guerre civile, il est parti encore trois ans comme soldat en Afrique. Resté dans son village où tout le monde le connaissait, il lui avait été impossible d’échapper à l’enrôlement. Partir en exil n’était pas facile, car les représailles s’exerçaient alors contre la famille. Beaucoup sont restés par crainte des représailles sur le reste de la famille. Mais sur la question du partage politique au sein de la famille, cela n’a pas été le cas pour la mienne.

— Comment les cinéastes participant au documentaire ont-ils découvert les films de la CNT ?

Richard PROST : Ferran Alberich [17] est certainement l’un de ceux qui ont permis de redécouvrir ces films, comme Alfonso del Amo qui travaille à la cinémathèque de Madrid et a répertorié tous les films dont les copies étaient conservées dans la cinémathèque ou ceux, non encore localisés. Pour eux, un film n’est jamais perdu. Il est toujours possible d’en découvrir. Le travail de restauration a démarré réellement après la mort de Franco, selon les moyens de la cinémathèque. Mais, déjà auparavant, ils avaient visionné les films, tous les films et avaient commencé à les répertorier. Ensuite a commencé le travail technique de restauration. Ferran Alberich a été l’un des premiers à redécouvrir les images filmées de cette époque. C’est d’ailleurs grâce à lui que je peux parler de ce réalisateur phalangiste, Manuel Augusto Garcia Viñolas [18]. J’aimerais d’ailleurs continuer ce travail de distribution en montrant un film de 1947, Vida en sombras de Lorenzo Llobet GraciaLorenzo [19] sur la guerre civile. Un film très étrange — placé entièrement sous le signe du cinéma — qui met en scène un réalisateur né devant un écran pendant les premières séances du cinéma Lumière. Le héros devient opérateur pendant la guerre d’Espagne. La carrière du film sera très restreinte alors que c’est un chef-d’œuvre.
Les films de la production anarchiste et de la production nationaliste — fictions et documentaires — ont une importance indéniable dans l’histoire et l’évolution culturelle et politique espagnoles. Ils renvoient aussi à l’Espagne contemporaine qui semble les ignorer pour ne pas réveiller les vieux démons de la guerre civile. Un constat de Carlos Saura dans Un cinéma sous influence  : « Il y a eu une espèce de désir, volontaire ou non, d’oublier tout ce qui concerne la guerre d’Espagne. C’est peut-être parce que la vie actuelle prend d’autres directions. Mais ils ont réussi à faire que les gens aient d’autres préoccupations, mais surtout pas la guerre d’Espagne. Je crois que ça fait partie de la frivolité qui nous entoure. On est dans une société nouvelle sans savoir où elle va. Le film sur la guerre d’Espagne n’a pas encore été fait. On a fait des films sur la guerre, mais pas celui qu’on aurait pu faire. »

(Propos recueillis par Christiane PASSEVANT et Morgane DU LIEGE. Présentation, transcription et notes, CP)

Article publié dans L’Homme et la société, Filmer le social, filmer l’histoire, n° 142, 2001/4, L’Harmattan.