Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Alexandre, Marius Jacob, Écrits
(L’Insomniaque, 2 volumes et 2 CD, 1996)
Article mis en ligne le 6 mars 2008
dernière modification le 4 mars 2008

par CP

Alexandre Jacob rêvait d’une société libre, au sein de laquelle la misère, la domination et l’injustice auraient disparu. L’illégaliste, l’anarchiste, le théoricien de la “reprise individuelle” qui mettait à mal la bourgeoisie en l’attaquant là où cela la blesse (au capital), semble oublié alors que Ravachol ou Jules Bonnot restent des exemples d’ennemis publics. Jacob est un personnage hors du commun qui, des “travailleurs de la nuit” au bagne, ne dérogea pas à ses principes. Ces deux volumes, qui rassemblent ses écrits, sa correspondance, celle du bagne notamment, sont importants tant du point de vue de la découverte et du témoignage sur les conditions pénitentiaires du début du siècle, que pour comprendre pourquoi cet empêcheur de tourner en rond du système est ignoré du public.

Après l’ouvrage de William Caruchet, Marius Jacob, l’anarchiste-cambrioleur (Séguier, 1993), les Écrits d’Alexandre-Marius Jacob rassemblent une multitude de documents remarquables qui nous le font mieux connaître. Son itinéraire, sa lutte, son refus de plier devant les hiérarchies, ses principes nous le rendent plus proche. La légende rejoint la pratique anarchiste au quotidien.

Du Pourquoi j’ai cambriolé, au Souvenirs d’un révolté, de son abondante correspondance de prison et du bagne avec sa mère, avec Jean Maitron… un nombre considérable de textes qui révèlent le combat de cet anarchiste. Deux volumes denses sur le parcours d’un libertaire en révolte contre le système : "La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît, l’homme ne peut même pas se passer de travailler ; ses muscles, son cerveau possèdent une somme d’énergie à dépenser. Ce qui m’a répugné, c’est de suer sang et eau pour l’aumône d’un salaire, c’est de créer des richesses dont j’aurais été frustré. En un mot, il m’a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité c’est l’avilissement, la négation de toute dignité."

Dès seize ans, Alexandre-Marius Jacob participe au journal anarchiste L’agitateur et, dénoncé, il est condamné à plusieurs mois de prison.

Révolutionnaire et cambrioleur, il rêve de guerre sociale aux "parasites bourgeois" pour un monde plus juste. Le vol est une révolte des pauvres confrontés quotidiennement au culte de la marchandise, une redistribution, une réappropriation : "Le vol c’est la restitution, la reprise de possession." Pour propager la "Cause", Jacob prône la "réappropriation sociale" et la redistribution du butin. Bel exemple de libertaire qui applique dans le vécu ses théories et se bat pour ses principes, Alexandre-Marius Jacob s’attache à saper un système qu’il refuse et dont il dénonce l’arbitraire. "Jacob rêvait d’une société où la plus grande liberté serait possible, d’où la douleur serait exclue et l’injustice bannie." Et voilà Jacob devenu un mythe alors qu’il est le témoin, l’idéaliste.

Document unique et accablant sur le bagne, ses écrits sont une dénonciation virulente de la condition pénitentiaire coloniale. Un enfer qui fera dire à Louis Rousseau, médecin ami de Jacob et auteur d’un livre sur le bagne de Cayenne : "C’est au bagne que j’ai vu combien il était dangereux de donner plein pouvoir à un homme assermenté. […] la preuve sans cesse renouvelée que le pouvoir corrompt fatalement celui qui le détient. À pareille école tout observateur réfléchi, qui sait voir et se souvenir, ne peut, s’il est humain, trouver le salut que dans la suppression des pouvoirs absolus et de leurs policiers." Les représentants du système, ses défenseurs, ne trouvent pas grâce à ses yeux : "On ne guérit pas en réprimant. Des magistrats, ça
ne peut exister que dans une société corrompue.
"

Cette seconde édition des Écrits d’Alexandre-Marius Jacob permet aussi la découverte de deux documents sonores : des saynètes mises en scène pour illustrer les écrits et l’ambiance de l’époque avec des chansons. La fausse perquisition du mont-de-piété de Marseille est un véritable morceau d’anthologie de la cambriole et de la dérision. Les voleurs sont les moralistes et les gardiens de l’ordre social les criminels. "Tout homme a droit au banquet de la vie. Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend." Une déclaration si juste encore aujourd’hui. Les "casses" des boutiques, regorgeant de tout ce que les jeunes ne peuvent pas s’offrir, expriment leur révolte contre un système qui les exclut et leur laisse le choix de devenir chômeur ou délinquant.

mars 1997