Chroniques rebelles
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Samedi 24 février 2001
Tazmamart, cellule 10 d’Ahmed Marzouki (Tarik éditions-Paris Méditerranée)
La Chienne de Tazmamart De Abdellah Serhane (Paris Méditerranée). Mise en scène de Maréva Carassou
Article mis en ligne le 10 mars 2008
dernière modification le 25 juin 2011

par CP

Les prisons marocaines sous Hassan II, nous en avions déjà parlé avec la sortie de la bande dessinée de Abdelaziz Mouride — On achève bien les rats ! — une bande dessinée décrivant l’incarcération et dénonçant la torture des opposants marocains.
Aujourd’hui, il s’agit du bagne de Tazmamart, « tabou terrifiant », prison-mouroir, prison de la mort lente dont l’existence même était niée par les responsables marocains.
La négation de l’horreur, c’est ce que raconte le livre d’Ahmed Marzouki :
« Tazmamart n’existait pas et n’avait jamais existé. Une radio occidentale ayant posé la question à un parlementaire marocain, un certain Fayçal El Khatib, celui-ci avait répondu avec un aplomb inoui : “Ce prétendu bagne n’a jamais existé que dans l’imagination des ennemis de notre démocratie.” »

La négation de l’existence de ce bagne a continué, même après les interventions de l’étranger, les dénonciations, même après la parution, en septembre 90, du livre de Gilles Perrault — Notre ami le roi —, et même encore après la libération des survivants de Tazmamart — sommés de se taire et remis en forme, pour sauver les apparences — devenus des témoins gênants. Les tentatives d’effacer ce bagne sont allées jusqu’à bander à nouveau les yeux des hommes, y compris des blessés, pour les transporter du bagne à une prison-transit avant leur libération.

« Le 1er mai 1990, le roi annonça, lors d’un discours, que le dossier des droits de l’Homme allait connaître une solution définitive. Il précisa qu’il demanderait aux membres d’un Conseil consultatif des Droits de l’Homme d’examiner tous les dossiers litigieux et de lui remettre un rapport afin de régler l’ensemble du contentieux dans un délai d’un mois. »

Les discours, les promesses du pouvoir, les espoirs de changement… Le livre d’Ahmed Marzouki les évoque, les reprend en analysant le vide, le silence qui ont suivi les grandes déclarations. Dans un entretien accordé à Libération, le 27 janvier 1994, Omar Azimane — ministre marocain des Droits de l’homme — déclarait : « Beaucoup de choses ont changé, Hassan II aussi. […] Je crois qu’on peut faire énormément de choses à partir de l’État : avec ses moyens et en exerçant, à l’intérieur de ses rouages, une fonction de persuasion. »

En février 1994, Omar Azimane recevait les survivants de Tazmamart et leur promettait des indemnités, des soins gratuits, des aides de l’État…
Autant de déclarations destinées à une campagne dans la presse officielle.
Six mois plus tard, rien n’avait bougé : après 18 ans d’enfermement arbitraire, ils pouvaient se montrer patients ces prisonniers revenus de
l’enfer !
Quelques mois plus tard, Omar Azimane était démis de ses fonctions et remplacé par Mohamed Ziane qui leur déclarait avec cynisme : « Il n’y a absolument rien pour vous. D’ailleurs, vous devez vous estimer heureux d’être encore en vie. »

S’estimer heureux et rendre « hommage à la “bienveillance” des autorités qui avaient condamné [Ahmed Marzouki] à cinq années de prison mais qui, par excès de générosité, [lui] avaient fait purger presque vingt avec l’intention très claire de [le] liquider lentement mais sûrement comme un raton galeux dans les égoûts de la honte. »

Les survivants de Tazmamart gênaient beaucoup de monde, le pouvoir, les tortionnaires, ceux qui avaient peur, ceux qui craignaient pour leur carrière et ceux qui voyaient en eux l’image vivante de l’arbitraire et du totalitarisme.

En parlant des prisonniers du bagne de Tazmamart et de l’univers concentrationnaire dans lequel ils avaient survécu depuis 1972, c’est l’oppression et le système policier du pouvoir marocain qui se retrouvaient sur la sellette : les soulèvements populaires écrasés en 1958 dans le Rif, ceux de 1965 et de 1981 à Casablanca, les morts des émeutes de 1984, la répression des mouvements d’opposition, les intimidations, le harcèlement policier, les enlèvements, les arrestations, les séquestrations, la torture, et tous les disparu-e-s… Alors, il fallait enterrer leur histoire comme ils avaient été enterrés pendant 18 ans.

Tazmamart, cellule 10 , c’est aussi cette lutte contre le silence, contre l’oubli, pour le droit de mémoire…

« Je ressentais le besoin pressant de témoigner, de dénoncer les atrocités de Tazmamart. Insupportable m’était l’idée d’avoir à me conformer aux ordres des responsables et de me taire lâchement alors que les gémissements des diparus ne cessaient de hanter ma mémoire.
Les Marocains ont besoin de connaître la vérité, toute la vérité. À mes yeux, il était impératif de vider complètement l’abcès afin de ne pas laisser l’odeur nauséabonde du sinistre bagne se propager sur l’ensemble du Maroc comme un nuage lourdement pollué. De cette façon seulement, en mobilisant les citoyens, on empêcherait la répétition de telles horreurs, dont les victimes seraient nos enfants.
 »

« Changerons-nous un jour ce pays ? » se demande Ahmed Marzouki à la fin de son livre-témoignage, Tazmamart, cellule 10 .
C’est en effet toute la question : existe-t-il un réel espoir de changement
dans le Maroc d’aujourd’hui ?