Chroniques rebelles
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samedi 22 mars 2008
Autour des revues – État des lieux.
Drôle d’époque (numéro 20) et Chimères (numéros 64-65)
Article mis en ligne le 23 mars 2008
dernière modification le 2 avril 2008

par CP

« En réfléchissant au projet d’un travail collectif autour des revues, nos intérêts se sont
penchés sur la dimension politique qui leur incombe, selon nous, et quels que soient les
domaines représentés : philosophie, littérature, et art, esthétique.
Proposer à d’autres revues de s’interroger sur l’évolution de leur position politique
revient en somme à une question plus vaste de la revue comme espace de contestation.
Contestation pour désigner ici, au delà du paradigme révolutionnaire de
l’émancipation, un écart, une tentative de différence, d’autonomie d’avec des discours
ambiants ; pour dire aussi la création d’un partage de forces, et d’une zone de conflit.
 »

L’expérience des revues sur la question politique.
Des articles et des réflexions sur les revues Vacarmes, Lignes, Atopia, Pratiques, Partisans, Études, Internationale situationniste, Alternatives

Et les deux derniers numéros de Chimères, revue des schizoanalyses.

Autour des revues… Les revues s’invitent souvent dans les Chroniques rebelles, qu’il s’agisse de Réfractions (dont les deux derniers numéros : Écologie, graines d’anarchie et La politique de la peur) ; de L’Oiseau-tempête  ; de la revue d’histoire populaire, Gavroche  ; du bulletin de critique bibliographique, À contretemps  ; de La Question sociale , d’ Échanges , de Combat syndicaliste , des Temps maudits  ; de L’Homme et la société , de Lignes , de Drôle d’époque ou de Chimères
Autant de revues pour une réflexion dissidente… Des revues qui prônent, comme Réfractions, « différentes manières de ne pas se conformer, de briser l’uniformité de la pensée établie. »

« Plus que jamais, les intellectuels doivent être attentifs en ces temps difficiles au caractère multiple et complexe de la domination — un processus (ou une forme) dont l’exploitation directe de la force de travail ne constitue qu’un dispositif particulier. Oui s’il est un legs de Mai 68, c’est bien cette injonction. » Alain Brossat.

C’était il y a dix ans, dans le second numéro de Drôle d’époque au titre évocateur de Pas de chrysanthèmes pour Mai 68.

La vigilance est d’ailleurs de plus en plus nécessaire dans une période d’offensive du libéralisme capitaliste.

« En France, les libertés publiques ont connu une dégradation constante depuis quelques années, au point que notre pays est assurément devenu l’État policier […] le plus brutal d’Europe occidentale […] L’émeute est, dans ce désert peuplé de somnambules, [un] cri qui déchire la nuit. Mais qui veut l’entendre ? Ceux qui dorment les yeux ouverts sont prompts à faire un mauvais parti à qui les réveille. »

Dans les Chroniques rebelles aujourd’hui, il sera donc question — autour des revues — de résistance, de révolte, de conscience et du rôle des revues dans le débat politique. Des revues engagées qui développent une autre réflexion et dégagent d’autres perspectives, au-delà des polémiques rituelles et prisées des intellectuel-le-s médiatisé-e-s.

Des polémiques, pourquoi pas ? Mais pas celles — stériles et convenues — qui se bornent aux joutes oratoires des chantres de la pensée unique.

Fi donc des joutes ! Place à la réflexion, au débat, à la découverte avec Mathilde Girard qui est, aujourd’hui, à l’initiative de cette émission sur les revues.

Vie et mort des revues

À quoi servent les revues ? C’était le premier titre qui avait été proposé pour ce dernier numéro de Drôle d’époque et que j’ai refusé. Les revues ne servent à rien, à moins que rien pourrait-on dire, sinon à produire des agencements temporaires de singularités. Et à leur donner forme, les faire entendre. Sans doute participent-elles à « organiser le pessimisme » comme l’écrit Benjamin, précisant ainsi qu’« organiser le pessimisme signifie…dans l’espace de la conduite politique…découvrir un espace d’images. Mais cet espace des images, ce n’est pas de façon contemplative qu’on peut le mesurer. Cet espace des images que nous cherchons est le monde d’une actualité intégrale et, de tous côtés, ouverte ».

Les deux revues, Drôle d’époque et Chimères, relèvent ainsi d’un agencement, de rencontres et de généalogies particulières. Elles ont leur histoire et portent avec elles les expériences qu’elles ont sucitées, des étapes politiques et des processus de subjectivation. Si l’une est à son déclin, l’autre est à son aurore. Pour chacune d’elle, la même nécessité d’engager la politique au cœur de l’expérimentation d’écriture.

Drôle d’époque (1997-2007) s’est ouverte et s’est branchée sur des séquences politiques particulières (le délitement de la gauche, la progression de l’idéologie et des dispositifs sécuritaires, le traitement des sans-papiers et demandeurs d’asile, la guerre des Balkans…) ; elle s’est interrompue sur le constat de ses difficultés à faire part, à accueillir la politique et lui donner corps dans l’écriture. Si les raisons de l’arrêt de Drôle d’époque sont d’abord financières, il conviendrait d’analyser ce « manque de désir » dont elle a finit par souffrir terriblement. Aussi, travailler dans ce dernier numéro sur l’expérience d’autres revues nous a, me semble-t-il, permis d’observer et de comprendre ce qui soutient une revue : ce qui peut la combler (politiquement, par des sursauts politiques), ce qui l’anime intérieurement (les singularités d’un comité, des auteurs, une communauté).

Chimères part de la question du désir ; et c’est parce qu’elle manquait de désir que la revue a fait appel à nous. Pour se donner un « nouveau souffle ». Je ne sais pas si nous sommes dignes d’une telle image, mais nous l’avons endossée, nous l’avons même poussée assez loin, et cela a donné ANTI !

Du coup, dans un tel climat transférentiel, la politique s’impose : elle s’impose au niveau des subjectivités qui prennent la parole et la plume, elle s’impose au niveau institutionnel dans les réunions du comité, elle s’impose par des affects, des intensités en débat, des générations en conflit.

D’une certaine manière, ANTI est un numéro politique au sens où Blanchot engageait la politique dans la littérature : de façon indirecte. Chimères, comme Lignes et Drôle d’époque , comme Vacarme encore, se ressemblent sur ce point : ce sont des revues sans révolution, ni communauté. Ni directement engagées, ni directement militantes comme pouvaient l’être les revues partisans, l’Alternative, ou différemment l’Internationale situationniste. Pour Chimères, ce sont les machines d’écritures, l’agencement collectif d’énonciation constitué par ANTI, qui a fonction politique, en tant, aussi, qu’il a fonction désirante. Cela signifie tout simplement que des singularités aient eu envie de travailler ensemble à l’élaboration de ce projet.

Relever ceci, ce n’est pas dire que nous changeons d’époque comme le précise Stéphane Nadaud en revenant sur 68 et sur le fait que nous serions aujourd’hui, comme le déclarent de nombreux intellectuels, dans un « moment bête ». C’est rappeler le désir à la politique, assez simplement, relier le désir à la politique. Et pouvoir se déplacer, déplacer son désir d’un objet à l’autre, changer de position.

De nombreuses propositions de déplacement sont ainsi faites par Chimères  ; de nombreuses possibilités d’analyse sont portées par Drôle d’époque , comme par exemple la question du support internet, dont nous parlerons avec Elias et Gonzague, qui ont repris en main le site de Chimères .
J’aimerais, pour ouvrir cette émission, lire les dernières lignes de l’édito de Drôle d’époque et de l’appel de Chimères, afin de faire entendre quelques échos de ces nous, invisibles et parfois secrets, puissants bien qu’indéterminés, qui peuplent le monde des revues, dans leur hétérogénéité :

« Plus rien, depuis longtemps me direz-vous, ne nous autorise à nous dire "de gauche", ce serait même ces temps-ci tout à fait décadent ; rien davantage ne nous retients par ailleurs, nous serions même bientôt tentés de quitter le territoire.

Mais quels sont les mots pour accuser ces glissements ? Quelle puissance nous faut-il développer pour ne pas devenir des revues de "culture politique", des journalistes intéressés et intelligents ? Simplement, déjà et pour l’instant, ne pas gémir. Drôle d’époque s’arrête, et c’est essentiellement de notre fait. Si maintenant nous voulons écrire encore, nous le ferons autrement ou nous ne le ferons pas. Une revue ne peut être la seule raison d’écrire. »

« Nous refusons l’assignation subjective principale de notre temps présent : nous refusons d’être des victimes. Être de la gerbe ou de la merde vaut encore mieux ! Nous regardons déjà dans l’abîme et, ensemble, nous supportons qu’il regarde en nous ».