Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Guerre civile et cinéma populaire (3)
Entretien avec Ziad Doueiri
Article mis en ligne le 27 mars 2008
dernière modification le 24 septembre 2009

par CP

Christiane Passevant : Et ton projet de film, Man in the Middle ?

Ziad Doueiri : J’ai écrit ce film avec ma co-scénariste. Je devais le faire après West Beyrouth. L’histoire est assez complexe. 3B productions voulait produire mon second film et j’avais une idée : si je travaillais au State Department, si j’étais Colin Powell ou James Baker et que je sois envoyé au Moyen-Orient, que pourrais-je faire de mieux ? Habitant les États-Unis et connaissant le Moyen-Orient, qu’y ferais-je en tant qu’émissaire ? J’ai donc inventé un personnage inspiré de la réalité, après beaucoup de recherche. Mon personnage est assez indépendant, il travaille au ministère des Affaires étrangères et est mandaté au Moyen-Orient pour régler les problèmes.
TF1 a accepté de financer le projet et je savais qu’il me fallait deux ans pour l’écriture et la recherche sur le milieu et les caractères. J’ai écrit le film, en pensant à un acteur, Bill Murray, qui était mon personnage. La directrice de casting — l’une des meilleures aux États-Unis, Bonnie Timermann — m’a obtenu un entretien avec Bill Murray. Je l’ai rencontré à New York, je lui ai donné le scénario qu’il a aimé. Nous allions passer à l’étape suivante quand il y a eu le 11 septembre.

En voyant les tours s’écrouler, j’ai tout de suite pensé : c’est la fin de Man in the Middle. Cela devait être une production franco-américaine, alors il fallait oublier le projet car je savais que la réaction serait énorme. Malgré cela, nous avons continué — jusqu’à Universal — et rencontré la productrice de Traffic, qui a adoré le script. Mais elle nous averti que, vu les événements, et même si je traitais le problème israélo-palestinien de manière modérée et équilibrée, je n’étais pas dans la meilleure position pour faire ce film. Donc, après deux ans et demi d’écriture et un an de rencontres pour le financement, nous avons suspendu le projet. Il fallait attendre que les choses se calment.

Tarantino aimait beaucoup le scénario — il a trouvé le titre, Man in the Middle — et en 24 heures, il m’a mis en contact avec Warren Beatty avec qui il travaillait pour Kill Bill. Tarantino a écrit Kill Bill pour Warren Beatty. Je le rencontre et il visionne West Beyrouth. Il aime le film et accepte de parler du projet. Cela ne pouvait pas se faire avec Bill Murray, John Travolta était trop cher, De Niro ne voulait pas tourner dans un film sur le Moyen-Orient, idem pour Bruce Willis, Kevin Spacey. Beaucoup étaient intéressés, mais ne voulaient pas prendre le risque car le sujet était trop sensible après le 11 septembre (il faut se souvenir ce qui s’est passé pour Sean Penn après qu’il se soit déclaré contre la guerre en Irak). Pourtant le film ne prend pas parti, puisque le personnage est entre les deux camps. Finalement, une semaine plus tard, Tarantino et Warren Beatty se disputent et Warren Beatty ne fait plus Kill Bill. Et je n’ai plus revu Warren Beatty.

Nous avons compris qu’il fallait attendre pour faire ce film. Je le réaliserai peut-être un jour, cela dépend si Lila dit ça marche, si j’ai plus de notoriété. Je n’abandonne pas. Je voudrais que le film soit plein d’humour, qu’il permette de comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient. Toutes les négociations secrètes entre Arabes, Palestiniens, Israéliens, États-Uniens sont très intéressantes, très humaines, sans théories compliquées.

CP : Comment traduire Man in the Middle ?

Ziad Doueiri : Je ne sais pas, mais on trouvera si le film se fait.

CP : Quel est le synopsis de ton second film, Lila dit ça ?

Ziad Doueiri : C’est difficile de raconter ce film sous forme de synopsis parce que, par rapport à West Beyrouth, il est plus complexe du point de vue des personnages. Quelqu’un tient son journal, chaque jour, et rencontre une fille dont on ignore tout. Elle a 16 ans, elle croise la vie du personnage principal et lui raconte des histoires fulgurantes, érotiques, crues dontt il ne peut plus s’en passer. Il note tout à propos de cette fille. Ce personnage, Chimo, est passif. Les dix premières minutes du film décrivent sa vie sans espoir. Il traîne dans la rue et sa vie est assez merdique jusqu’au moment où Lila apparaît. Elle le motive pour se reprendre car ce qu’elle raconte est si troublant qu’il lui est impossible de demeurer passif. C’est un voyage entre ces deux personnages, à travers leur relation et celle-ci aux autres. Une histoire qui reste mystérieuse, allusive.

Quand j’ai reçu le livre pour une adaptation, j’ai d’abord eu beaucoup de réticences. Le livre était écrit à la première personne, sans dialogues, sans structure, une histoire racontée. Ce qui faisait son charme, mais ne fonctionnait pas pour un film. Construire l’histoire nous a pris du temps, à trois : Joëlle, un écrivain américain et moi. Aujourd’hui, après des doutes, notamment durant l’écriture, ou même pendant le tournage, je suis très content du résultat. Le film est assez stylisé. Il n’en reste pas moins qu’il est difficile de caser ce film dans une catégorie : film français, film d’auteur ou film commercial. L’actrice [1] est formidable, elle a déjà tourné pas mal de films et elle est connue grâce à Marie, baie des anges de Manuel Pradal (1998). Elle a 22 ans et elle porte le film sur ses épaules.

CP : Où se situe le film ?

Ziad Doueiri : Nous avons décidé de sortir de Paris et d’aller dans une ville française au bord de la Méditerranée. Nous avons choisi Marseille parce que les décors sont jolis, mais rien n’indique que c’est Marseille. C’est une ville générique. Je ne voulais pas localiser cette histoire, mais revenir à la Méditerranée que je connais très bien avec West Beyrouth. Je voulais recréer cette intimité entre les bâtiments, les petites ruelles qui zigzaguent, les gens dans les rues, sans rien faire, des scènes familières à Beyrouth. J’ai voulu recréer cette atmosphère méditerranéenne que j’aime beaucoup, celle qui m’a le plus marqué.

CP : Revenons à l’identification par rapport à toi, à ton œuvre : te considères-tu comme un réalisateur méditerranéen ?

Ziad Doueiri : Je ne sais pas où je me trouve. Je ne sais pas où me situer, m’installer, quel genre de cinéma je dois faire. De temps en temps, je me pose cette question, mais finalement il faut suivre son instinct, malgré le risque d’un échec commercial. Je suis en fait influencé par tout et rien à la fois, je ne peux pas faire un cinéma particulier et suivre une seule méthode.

CP : Que penses-tu du cinéma actuel libanais, des cinéastes de ta génération ?

Ziad Doueiri : Je connais mal le cinéma libanais parce que j’ai longtemps vécu aux États-Unis et qu’il n’y avait pas de distribution de films libanais ou arabes. J’ai commencé à en voir après le tournage de West Beyrouth. J’ai constaté une tendance importante des étudiants à vouloir s’essayer à l’audiovisuel, mais je crois que jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu encore le décollage désiré, parce qu’au Liban et dans les pays arabes il y a des problèmes de fond. Il n’y a pas le CNC pour aider à la création, une subvention d’État pour le cinéma. Donc la majorité des films qui se font au Liban sont financés par la France, la Belgique… C’est comme cela qu’on a pu faire West Beyrouth, et bien d’autres films libanais. Les films de Randa Chahal Sabbag (Le cerf-volant, 2003), de Ghassan Salhab (Terra incognita, 2002) aussi. Il y a beaucoup plus de demandes que d’offres et cela limite l’industrie cinématographique en renaissance. On dit que le cinéma libanais a atteint une certaine apogée entre 1940 et 1960, mais c’était avant ma naissance et je ne connais pas encore.

CP : Aux problèmes de financement de la production qui passent par l’Europe, s’ajoute un problème fondamental, celui de la distribution, inexistante au Liban concernant les films nationaux ou de la région ?

Ziad Doueiri : La distribution au Liban concerne en majorité les films américains et 10 % de films européens. Pourquoi les distributeurs ne distribuent-ils pas de films libanais ? D’abord, il y a peu de films libanais, deux ou trois par an. Les films distribués sont en priorité commerciaux. Pour les films d’auteur, les distributeurs ne veulent pas prendre le risque de faire peu d’entrées. Mais cela peut changer, si des films populaires peuvent toucher par leur humour, peut-être les distributeurs oseront-ils prendre des risques. Le cinéma libanais renaît, c’est vrai. Cela aurait pu être plus rapide, malheureusement les fonds manquent.

CP : Il y a certainement des cinéastes potentiels au Liban, qui est le premier producteur de cinéma publicitaire au Moyen-Orient ?

Ziad Doueiri : Oui mais le cinéma publicitaire concerne uniquement le marketing. Les films publicitaires n’ont rien à voir avec le cinéma de fiction. La seule chose en commun c’est la technique, les moyens techniques, sinon tout est différent : l’étude du scénario, le casting… C’est un autre monde. Pour aider le cinéma libanais, il faudrait des fonds, une organisation, et taxer — comme le CNC — de 5 % les billets de cinéma. Avec 10 % de la recette d’un film comme Titanic, je peux faire cinq films. Il n’y a pas encore cette vision et c’est toujours le commercial qui prime. Et il faut voir qu’aujourd’hui, le monde arabe importe beaucoup de choses, y compris la culture. C’est pourquoi cela stagne sur tous les plans, culturel, industriel, scientifique. J’en souffre car l’argent est gaspillé. Je dois dire qu’en comparaison avec l’Asie ou l’Amérique latine, le Moyen-Orient semble paralysé. Pour le cinéma, c’est certain, et cela malgré des tendances, des tentatives d’expression.

CP : Il existe cependant au Moyen-Orient, et c’est là peut-être une contradiction, une politisation qu’on ne trouve pas ailleurs ?

Ziad Doueiri : Les conflits politiques et le dynamisme qu’ils génèrent ? Oui, c’est vrai, il y a une grande conscience politique, mais ce serait bien de la voir exprimée sur les écrans.

Entretien réalisé par Christiane Passevant le 27 avril 2004 [notes et précisions de CP].