Chroniques rebelles
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Samedi 12 juillet
ALTERMED. La Méditerranée autrement (Non Lieu). Dossier : Lounès Matoub
Avec Yalla Seddiki
Article mis en ligne le 14 juillet 2008

par CP

ALTERMED. La Méditerranée autrement (n° 2) (Non Lieu)

Dossier : Lounès Matoub par Yalla Seddiki

Avec les « armes de la critique », Lounès Matoub a écrit des textes à la fois bouleversants, subversifs et mobilisateurs. Lire une de ses chansons, une de ses poésies, c’est ressentir un souffle de dignité rendu à une population reniée par les autorités et l’État. « Sans contestation, considérant la censure et la peur qui régnait pour tout ce qui concernait la Kabylie et la divulgation de la persécution qu’elle subissait, force est d’insister sur le courage de Matoub et la subversion qui s’y attache. »

« Notre terre est saignée de terreur,

Ses saints protecteurs eux-mêmes

S’en vont dans un exil sans retour.

Anéantis, les hommes justes ;

Ah, yeux, versez vos torrents !

L’injustice étend ses frontières.

Toutes ces années sans joie,

Nous grommelions de détresse

Et nous pleurions main sur la bouche.

De funestes années, combien ?

La terreur ne s’extirpa du peuple.

Le silence habite les langues.

Notre terre est source d’épouvante !

Un pauvre maudit rejoint des compagnons,

D’un bandeau, ils lui voilent les yeux. »

Regard sur l’histoire d’un pays damné.

Lounès Matoub est connu bien au-delà du Maghreb. Dix ans après son assassinat, son nom est loin d’être oublié, il est référence et ralliement pour ceux et celles qui se battent contre la fermeture des esprits et la violence d’État.

«  Opposant de toujours au pouvoir algérien, Matoub Lounès était, avant son élimination, la personnalité la plus populaire de Kabylie ; il n’était pas seulement un poète et un chanteur de génie mais, après les multiples déceptions suscitées par les hommes politiques de cette région rebelle, il constituait l’ultime espoir de réconciliation avec soi-même, l’ultime espoir
pour rester au moins culturellement toujours présent dans cette éternelle lutte contre l’injustice, contre toutes les injustices.
 »
Youcef Zirem, L’incroyable sincérité d’un poète.

Si l’on devait qualifier Lounès Matoub, l’homme, le militant, l’artiste…
le mot qui viendrait d’abord à l’esprit serait sans doute indépendance. Personnage complexe, à la fois rebelle et respectueux des autres, il est toujours resté loyal vis-à-vis du combat pour la reconnaissance et l’existence de la culture amazighe. Mais, même au sein de la lutte amazighe, il reste critique, il conserve une lucidité qui transparaît dans ses écrits, dans leur force universelle, dans son rejet de l’exploitation et de la discrimination. En fait, il est critique de tout et tout le temps avec une acuité étonnante.

« Le jour où mes yeux s’ouvrirent,

De mon âme la paix fut ravagée. »

La paix fut ravagée, écrit Lounès Matoub, et il chante pour ceux et celles forcé-e-s de garder le silence. Il affronte l’État avec des mots et prononce
des paroles qui bousculent les tabous, démasquent les propagandes dans un climat que Yalla Seddiki qualifie de racisme d’État.

« Des chères montagnes du Djurdjura,

Ils jurèrent le supplice.

Ils répandirent leurs meutes armées

Pour déchiqueter les Kabyles :

Deux ans, le brasier ne s’éteignit pas.[…]

La peur appelle l’injustice,

Le silence habite les langues.

Notre terre est source d’épouvante ! »

Lounès Matoub, Regard sur l’histoire d’un pays damné.

Il est difficile ici de comprendre la violence vécue par les Berbères, les Kabyles, les Imazighen, la colonisation et la violence d’État ayant joué tour à tour le rouleau compresseur de la spécificité de cette culture.

« L’ignorance m’a dépossédé.

Je rêve de ce qui n’adviendra pas. »

Lounès Matoub, l’histoire et le mythe, Lounès la lutte et la légende, la lutte avant tout.

« Advint l’instant où l’ère se renversa,

La mort en vint à la sagesse.

Tous elle les a emportés :

Qui jugeait à son tour est jugé.

Plus de jouissance dans la destruction,

Désarçonné, le despote tombe à terre. »

Lounès Matoub est sans concession, « il n’a épargné personne. Ni le pouvoir qu’il ébranle dans ses fondements, ni l’islamisme politique dont il cerne la nature et les objectifs véritables. Ni même l’opposition qu’il fustige pour ses divisions dévastatrices pour Tamazight et la démocratie ».

Mais…

« Avant de déployer mes ailes

Et de vous laisser, gens de ma terre,

Je vous souhaite l’espérance. »

Yalla Seddiki poursuit un travail sur l’œuvre et la lutte de Lounès Matoub et plusieurs projets sont en cours, notamment celui d’un documentaire à la rencontre de Lounès et des adaptations de textes inédits confiés par la famille de Lounès Matoub.
Yalla Seddiki est aussi co-auteur, avec Yazid Bekka pour les photographies, de Kabylie, belle et rebelle (Non Lieu).