Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Les oubliées de Juarez/Bordertown de Grégory Nava
Meurtres occultés dans les maquiladores

Les « oubliées de Juarez », c’est officiellement 300 à 400 femmes assassinées, et 700 disparues. En réalité, il s’agit sans doute de 5000 femmes assassinées ou disparues ; des ouvrières mexicaines qui sont exploitées dans les maquiladores pour un salaire de misère, sans aucune protection sociale.

Article mis en ligne le 14 décembre 2007
dernière modification le 27 mars 2011

par CP

« Le journalisme d’investigation n’existe plus. Les médias sont régis par les multinationales, l’ALENA et la globalisation ! C’est cela l’avenir de la presse. » réplique le directeur de la rédaction d’un journal de Chicago à une journaliste pour justifier son refus de publication d’une enquête sur des meurtres en série d’ouvrières mexicaines travaillant dans les usines de la ville frontières de Juarez.

Les « oubliées de Juarez », c’est officiellement 300 à 400 femmes assassinées, et 700 disparues. En réalité, il s’agit sans doute de 5000 femmes assassinées ou disparues ; des ouvrières mexicaines qui sont exploitées dans les maquiladores pour un salaire de misère, sans aucune protection sociale.

Loren, journaliste carriériste, a accepté une enquête avec pour objectif obtenir un poste de correspondante, mais peu à peu elle se trouve confrontée à ses propres souvenirs. Devenue très jeune orpheline, elle a été adoptée par une famille états-unienne. Ses parents biologiques, ouvriers agricoles mexicains, ont été assassinés sous ses yeux.

Sa rencontre avec Éva, jeune fille de 17 ans qui échappé à la mort après avoir été violée et enterrée dans le sable, est déterminante. Sans même qu’elle en soit consciente, l’engagement de la journaliste dans sa recherche des enjeux et des coupables prime alors sur le désir de faire un “bon papier”.

Le comportement suspect de la police mexicaine, des autorités, des propriétaires et des patrons de maquiladores poussent également Loren à s’intéresser de plus en plus à cette affaire de femmes disparues. Impressionnée par la détermination d’Éva, et sa panique, elle veut démasquer les responsables de ses atrocités.

Sur le cynisme des autorités, la brutalité du système et la corruption de la justice, le constat du film est sans ambiguïté et les accusations n’y sont pas allusives : « Il vaut mieux se taire, c’est mieux pour les deux gouvernements, mexicain et états-unien. » En effet, des deux côtés de la frontière, les autorités sont complices et préfèrent faire le silence pour éviter d’alerter l’opinion et mettre ainsi un frein au profit juteux réalisé dans ces usines des Temps modernesBig Brother surveille les ouvrières.
La corruption fonctionne aussi des deux côtés comme le révèle l’un des patrons des usines qui bénéficie de la double nationalité, a fait ses études à Harvard et couvre les meurtres. Faut-il d’ailleurs se préoccuper de ces femmes qui sont, n’importe comment, condamnées à une vie misérable ? Et la justice est à deux vitesses, celle pour les riches et celle pour les pauvres, comme partout.

Mais Loren refuse cette logique, s’identifie à ces femmes dont elle aurait pu faire partie et décide d’aller jusqu’au bout de son enquête en servant d’appât pour attirer les meurtriers. Elle se fait embaucher dans l’usine où Éva était ouvrière et se prépare à vivre le même cauchemar. Tout ce qu’a décrit la jeune fille est vrai, tout se déroule de la même manière, l’usine, la sortie, le car de transport des ouvrières, le mensonge du chauffeur. Mais au lieu de se diriger vers l’endroit désertique décrit par la jeune fille, le car stoppe dans une décharge. En blessant le chauffeur, la journaliste échappe au viol et découvre un charnier de femmes disparues. L’agresseur est arrêté, mais évidemment pas le commanditaire des crimes.

De la mort et de la disparition de toutes ces jeunes femmes, que seules les mères des victimes recherchent, qui est responsable ? Des tueurs en série ? Des malades ? On a retrouvé des morsures sur la poitrine de certains des corps. Des trafiquants d’organes ? Des amateurs de snuff movies (1) ?
« Vous voulez tuer une femme, venez à Juarez ! » s’écrie Diaz, ami de Loren et directeur d’un journal indépendant à Juarez. Il se bat avec son équipe de journalistes pour dire la vérité sur cette ville-champignon qui produit de l’esclavage.

Harcelé par les autorités — son journal est saisi en permanence —, il ne se décourage pas. Ancien collaborateur de Loren, il l’aide à faire la lumière sur l’affaire et sur ses ramifications politiques, sans pour autant se faire d’illusion sur le journal pour lequel Loren travaille.

Ce film renoue avec le cinéma critique états-unien et dénonce la corruption des autorités et une presse sous influence. On pense à L’Homme de la rue (Meet John Doe) de Frank Capra qui met également en scène une journaliste “aux dents longues”, intégrée dans le système, mais toujours quelque peu naïve quant à l’indépendance de la presse, des médias dirait-on aujourd’hui, face aux puissances d’argent.

L’utopie selon laquelle la vérité peut agir sur les opinions cadrées par les médias de masse peut paraître candide, mais finalement l’union des deux femmes, protagonistes du film, est ce petit grain de sable qui, s’il n’enraye pas le buldozer de la globalisation, le grippe quelque peu et redonne espoir d’une lutte pour la prise de conscience des opprimé-e-s. Il n’y a pas de fatalité, même si le rapport de forces est certainement déséquilibré en faveur des multinationales.

Les oubliées de Juarez raconte le combat d’une, des femmes contre un système inhumain poussé à son extrême. La description des conditions de travail dans les usines et du système de production provoquent des questions sur la responsabilité face à la consommation. Qui frabrique les objets que nous utilisons ? Dans quelles conditions ? À quel prix ? Après Fast Food Nation de Richard Linklater, sur l’industrie alimentaire, l’abattage des bovins et la main d’œuvre immigrée, Les oubliées de Juarez de Grégory Nava, aborde le problème des conditions de travail dans ces villes frontières où sont notamment délocalisées les usines de fabrication du matériel hi-fi et d’ordinateurs.

La question est posée dans un film grand public, porté par des comédien-ne-s célèbres. Cela indique peut-être aussi que, malgré les années Reagan, Bush et autres gouvernements lobotomisants, le capitalisme est encore dénoncé.


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