Chroniques rebelles
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Christiane Passevant et Larry Portis
The Golden Door (Nuovomondo), film d’Emanuele Crialese
L’immigration choisie
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 24 décembre 2011

par CP

« C‘était donc elle,
le symbole de l’espoir
et d’une vie nouvelle !
Elle tenait haut sa torche,
comme pour éclairer
le chemin de cette terre promise,
terre d’asile
pour les opprimés de tous pays.
 »

Emma Goldman, Living My Life

Sicile, 1910. Deux hommes montent sur une colline, une pierre dans la bouche pour la déposer au pied d’un calvaire et posent la question : « devons-nous rester ou partir ? Nous attendrons ici un signe. » Dans ce décor rude et sec, on pense au magnifique Bandits à Orgosolo de Vittorio De Seta. Même misère et même fatalité.

Deux jeunes filles visitent Fortunata, une vieille femme pour qu’elle exorcise l’une d’elles : « elle a un serpent dans le ventre ». Elles montrent des photos envoyées du pays de Cocagne, l’Amérique, là où se cultivent des légumes géants, où les poules ont la taille d’un veau et où le lait coule en abondance dans les ruisseaux. Réalité et fantasmes, pauvreté et rêve d’un ailleurs qui chante. La jeune fille est délivrée de son serpent et les images prétendument véridiques d’hommes minuscules à côté de légumes géants, qui circulent dans toute l’Europe pour attirer une nouvelle main-d’œuvre, sont le signe et la réponse qui scellent la décision et le destin de la famille Mancuso. Salvatore vend tous ses maigres biens et, avec Pietro et Angelo ses fils, et sa mère Fortunata, prend le bateau de l’exil.

Le film nous plonge dans un monde de l’imaginaire, le monde paysan italien du début du XXe siècle, celui des croyances de la terre, des esprits, de la magie simple et de la superstition… Le vieux monde, celui qui conduit une main-d’œuvre affamée et misérable vers un Eldorado fictif et lointain.

Les deux jeunes Italiennes, promises outre-Atlantique et qui « doivent arriver comme elles sont parties », sont placées sous la responsabilité de Salvatore. Le périple commence, les autorisations, les petits rackets, la rencontre avec Lucy, personnage mystérieux et décalé que cette jeune Anglaise perdue parmi les migrants italiens. La traversée est interminable, la promixité pesante, la tempête un cauchemar. Une femme devient folle après la mort de son bébé.

« Que viennent les sans-abri, malmenés dans la tempête, misérable rebus de vos côtes, pour eux j’élève mon flambeau près de la porte d’or ! ».
Gravés sur le socle de la statue de la Liberté, ces mots contrastent fort avec l’accueil fait aux immigré-es aspirant à une vie nouvelle et meilleure.

L’arrivée sur Ellis Island est rude et bat en brèche la vision idyllique de cette Amérique légendaire, accueillante, libre et généreuse. Il faut, après avoir subi l’examen médical, passer les tests d’aptitude. Il faut vérifier que tous et toutes sont aptes à entrer dans le Nouveau monde et les handicaps décelés valent pour une déportation et un retour au pays natal. Pietro, le fils muet, et Fortunata, la simple d’esprit, sont refoulés.
Ellis island, l’île de la quarantaine, est alors un centre de sélection. « L’intelligence se transmet génétiquement. C’est en un sens contagieux » affirme un responsable des tests, ce à quoi Lucie réplique « quelle vision moderne ! » L’intelligence ou son absence serait génétiquement transmissible, il faut donc empêcher « les petites gens de se mêler au reste de la population du nouveau Monde ». C’est l’immigration choisie !
Protéger les citoyens des dégénérescences du vieux monde n’exclut pas ces mariages sur l’île du tri qui tient de la foire aux bestiaux et de l’abattage.
Durant cette suite d’épreuves, la vieille Fortunata refuse de se plier aux règles et retourne sur le vieux monde, et Pietro le muet retrouve sa voix — peut-être un don de Fortunata ? Reconstruire une mémoire et garder les souvenirs, c’est aussi la trame de ce film construit et basé sur des témoignages.

Si la dernière image de The Golden Door (la Porte d’or) renoue avec les photos de propagande du début du film, est-ce pour coller une fin heureuse ? Ou bien est-ce pour dire que les illusions d’une vie meilleure sont encore d’actualité aujourd’hui, pour d’autres, et se terminent en drame parfois, en désillusion souvent ? Dans la perspective des lois anti-immigration et de « la préférence nationale » (si bien développée par la droite libérale et bien peu controversée par la “gauche” opportuniste), le retour des camps — Ellis island du XXIe siècle — pour faire barrage à l’immigration non “choisie” est-il une solution envisagée par nos dirigeants ?