Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Une femme de Damas. Imra’a min Dimashq. Dolls / A Woman from Damascus
Film documentaire de Diana El Jeiroudi
Article mis en ligne le 11 janvier 2009
dernière modification le 15 mars 2009

par CP

À lire dans DIVERGENCES de février 2009

http://divergences.be/spip.php?article1254

Diana El Jeiroudi [1] a réalisé un film passionnant en suivant au quotidien une jeune femme syrienne, Manal, qui vit à Damas et a cessé de travailler pour s’occuper de ses deux petites filles, Naya et Yara. Si les femmes travaillent en Syrie, les structures sont rares qui permettent à une mère de poursuivre une activité professionnelle. Jeune femme intelligente et déterminée, Manal est consciente de la société dans laquelle elle vit : « jamais on ne nous a encouragé à aller à l’université. »

Elle est prisonnière du modèle de femme idéale délivré actuellement dans une société moderne et pourtant en régression du point de vue des droits des femmes. « J’existe dans le travail » déclare Manal qui explique combien cela est important pour elle. Elle se heurte cependant à un retour en force du conservatisme et des traditions. Il n’est pas simple de revendiquer un droit à l’autonomie quand celui-ci passe obligatoirement par l’aval de l’homme, en l’occurrence le mari qui subit également les jugements de la famille et de la société. Le conservatisme — famille et religion — est actuellement un phénomène social en Syrie et Manal peut en constater les effets avec la vogue d’une poupée, Fulla, qui fait fureur auprès des fillettes grâce aux émissions récurrentes de la télévision et aux publicités. Fulla est conforme au modèle normé de la société.

Fulla est une « Barbie » orientale dont le concept a été mis au point pour correspondre au marché moyen-oriental. Basé sur des études menées sur la société, le succès de Fulla, depuis son lancement en 2003, reflète parfaitement le retour des valeurs conservatrices. Les moyens mis en place pour inonder le marché sont énormes, tant sur les créneaux publicitaires que pour les espaces télévisuels destinés aux enfants. La poupée est devenue emblématique de la jeune fille/femme syrienne. Fulla, née en Syrie, répond aux critères normés de la femme idéale : sérieuse, respectueuse des traditions et de la religion, souriante et certainement pas revendicatrice.

Fulla, modèle des petites filles dès la tendre enfance : un formatage totalement réussi si l’on en croit la popularité de la poupée. Un personnage que parents et enfants considèrent comme un membre de leur famille : « Elle est honnête et ne ment jamais, elle est aimante, dévouée et elle respecte son père et sa mère. Elle est bonne avec ses amies, elle aime la lecture et adore la mode. » Très important d’aimer la mode, cela signifie consommation car la poupée n’a pas moins de deux cents tenues différentes, dont un ensemble de prière avec tapis…rose ! Évidemment !

Le documentaire [2]de Diana El Jeiroudi est remarquable par cet aller-retour qu’elle opère entre la vie de cette jeune femme, Manal, sa famille et l’étude de marché concernant les jouets. L’enjeu est d’importance puisque l’éducation, la découverte passent aussi par cet univers des jouets : repères normés et critères imposés dès l’enfance. Un documentaire essentiel pour comprendre l’implication du marché dans le formatage des esprits. On serait presque tenté d’ajouter en sous-titre : Des poupées et des femmes…

Christiane Passevant