Chroniques rebelles
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D’une Guerre à l’autre — parole sur l’Algérie — avec Chafia
Samedi 24 octobre 1998
Article mis en ligne le 11 janvier 2009

par CP

Pour commencer cette émission sur l’Algérie, j’aimerais vous lire le récit d’un témoin. Cela se passait entre Oran et Alger, dans la région du Dahra, là où de vastes grottes permettent à des villages entiers de s’y réfugier, mais dans ce cas… pour y être enfumés :

"Entendre les sourds gémissements des hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement des rochers calcinés s’écroulant, et les continuelles détonations des armes ! Dans cette nuit, il y eut une terrible lutte d’hommes et d’animaux ! Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée des cavernes, un hideux spectacle frappa les yeux des assaillants. À l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; leur instinct les avait conduits à l’ouverture de la grotte pour respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux, et entassés sous eux, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui, une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal. Les grottes sont immenses ; on a compté 760 cadavres."

Il ne s’agit pas là de sauvageries des islamistes, non cela s’est passé le 19 juin 1845 et les auteurs de ces tueries sont les troupes françaises qui, après avoir chassé la tribu des Oued-Riah de son village, les ont poursuivis jusque dans les grottes où les familles s’étaient réfugiés, avec les troupeaux. Et ce récit n’est qu’un exemple parmi les nombreux massacres perpétrés par les soldats français lors de la conquête de l’Algérie.

Villages saccagés, récoltes brûlées, arbres coupés, hommes décapités, femmes vendues — décidément les femmes sont toujours considérées comme un butin ! —, populations civiles égorgées… Quarante années de massacres, de pillages et de destructions depuis le débarquement à Sidi Ferruch, en 1830. Quarante années de souffrances pour des populations civiles à la merci de soudards. Tout cela pour ne pas rembourser une dette du gouvernement français au Dey d’Alger, pour l’achat de blé en 1794 et sous le Directoire.
Cent ans de capitalisme en Algérie 1830-1930. Histoire de la conquête coloniale de Robert Louzon, dont j’ai lu un extrait, fut publié en 1930 dans La Révolution prolétarienne. Ces textes ont été rassemblés et sont publiés dans une brochure éditée par Acratie.

Avant de parler de l’Algérie aujourd’hui, il est important de revenir sur cette histoire algérienne, de rappeler qu’en 1833, le Rapport de la commission gouvernementale d’enquête faisait ce constat :

“…Nous avons réuni au domaine les biens des fondations pieuses, nous avons séquestré ceux d’une classe d’habitants que nous avions promis de respecter… nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune ; et, de plus, nou avons été jusqu’à contraindre des propriétaires, expropiés de cette manière, à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d’une mosquée.
Nous avons avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits ; égorgé sur un soupçon des populations entières, qui se sont ensuite trouvées
innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints dans le pays, des hommes vénérés, parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leur malheureux compatriotes ; il s’est trouvé des hommes pour les condamner, et hommes civilisés pour les faire exécuter.

Et aujourd’hui ? Après le colonialisme, la guerre de libération, un quart de siècle de parti unique, le chômage, la violence, le terrorisme islamiste,
"Tout est chamboulé." L’Algérie est "une société complètement déboussolée, il n’y a plus de repères, plus de fonctionnement rationnel ni logique, ni par rapport aux traditions, aux valeurs religieuses, ni par rapport au modernisme. Les seules valeurs nouvelles sont les biens, l’argent."

Bibliographie :
 Robert Louzon, Cent ans de capitalisme en Algérie 1830-1930. Histoire de la conquête coloniale, publié en 1930 dans La Révolution prolétarienne (Acratie (30F).
 Khalida Messaoudi, Une Algérienne debout (Flammarion)
 Luisa Hanoune, Une autre voix pour l’Algérie (La découverte)
 Yasmina Khadra, Morituri, Double blanc, L’automne des chimères, (éditions Baleine) et son dernier roman, Les agneaux du seigneur (Julliard)