Chroniques rebelles
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Un Novio para Yasmina de Irene Cardona
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 26 janvier 2009
dernière modification le 6 octobre 2010

par CP

Un novio para Yasmina (Un fiancé pour Yasmina) de Irene Cardona [1] est comédie sur un sujet grave. L’immigration évoque en effet immédiatement un contexte dramatique, la misère, l’exploitation, la discrimination, la violence, la mort. Les récits de voyages dans des conditions inhumaines, les témoignages sur les trafics d’êtres humains ne cherchant qu’à survivre ne portent guère à sourire. Mais la réalisatrice, Irene Cardona, réussit la prouesse de nous montrer une réalité simple et de nous divertir. Elle porte sur l’immigration un regard différent, acquis sur le terrain, et s’inspire de son expérience dans une association avec les anecdotes, les rencontres, l’amitié et la solidarité. Sa mise en scène s’enrichit ainsi de petites trouvailles, comme dans le faux départ de Yasmina ou l’embrouillamini entre Lola et le marchand de fruits.

L’histoire repose pour l’essentiel sur le personnage de Yasmina, jeune femme décidée à obtenir coûte que coûte des papiers et à s’intégrer dans une société qu’elle a choisie. Yasmina se bat contre les difficultés, les refus, les complications sans se décourager même dans les moments de déception. Pas question de baisser les bras quand les chances d’aboutir s’amenuisent.
Le film commence sur sa marche rapide dans la ville et se poursuit au même rythme. Elle avance… Et pourtant, au départ tout semble lui échapper, Javi qu’elle veut épouser ne semble pas prêt à se décider, son amie Lola craint qu’elle ne perturbe son couple, son frère frôle la délinquance, bref la perspective de s’intégrer dans la société espagnole s’éloigne. Mais Yasmina est volontariste. La solution du mariage blanc, le mariage de complaisance est la solution. Faut-il encore trouver le prétendant, qu’il soit libre et qu’il accepte le contrat, soit par amitié, soit par profit. Car le mariage blanc se négocie très bien.

Autre personnage féminin de caractère, Mari, elle regarde le monde et ses injustices sans la moindre illusion, mais elle est prête à s’y investir. Mari est assistante sociale dans l’association d’aide aux immigré-e-s, elle a les pieds sur terre et considère le mariage pour ce qu’il est : un papier pour légaliser une situation aléatoire. Un papier pour des papiers qui permettront à Yasmina de poursuivre des études si elle le désire, de travailler, en un mot d’être autonome. Et cela Mari le conçoit comme un droit élémentaire des femmes. Car le film soulève aussi la question de l’indépendance des femmes et donc de leur autonomie financière.

Un novio para Yasmina (Un fiancé pour Yasmina) de Irene Cardona est un film tendre et ironique sur une actualité difficile, sur des questions graves tout en gardant une générosité et beaucoup d’humour. Les malentendus font rebondir cette comédie comme autant de saynètes de la vie. La réalisatrice, comédienne elle-même, excelle dans la direction d’acteurs : « J’ai voulu parler des gens simples, de ceux et de celles qui travaillent au quotidien pour rendre le monde un peu meilleur, mais sans éloquence ni grands discours, naturellement. » Pari réussi. Le naturel et la sincérité des personnages les rendent proches de même que leurs contradictions, leur faiblesse, leur humanité. Une chose est certaine, Yasmina, Lola, Mari sont des femmes fortes. Soumises ? Certainement pas. Les hommes du film sont plus fragiles, hormis Jorge, le compagnon de Lola. Et les femmes mènent la danse.

Un regret toutefois concernant l’affiche du film qui montre Yasmina portant un foulard alors que cette image ne correspond pas au personnage. Cela induit des amalgames inutiles à propos d’une jeune femme immigrée qui lutte pour son intégration dans la société espagnole. La décision viendrait de la production qui n’a sans doute pas mesuré l’effet produit sur un public européen. En soulignant un aspect de l’immigration qui n’est en fait pas abordé dans Un novio para Yasmina, le résultat peut-être contre-productif. Yasmina est une jeune femme qui ne fait guère de concessions aux traditions, qui ne porte pas le foulard et se bat avant tout pour son autonomie. Le port du voile ou du foulard n’interfère pas dans le récit et le choix de l’affiche suscite une confusion. En Europe, le port du voile ou du foulard implique immanquablement la religion musulmane pour la plupart, ce qui peut freiner la curiosité du public. Or, Yasmina envisage le mariage avec un non musulman pour vivre en Espagne, ce qui est une transgression. L’affiche nourrit ainsi des associations quelque peu primaires et des idées préconçues. Une affiche est la première image du film et celle de Yasmina marchant dans la ville est autrement plus attractive.

Un novio para Yasmina (Un fiancé pour Yasmina) de Irene Cardona a été récompensé par le Prix du public au 30e Festival du Cinéma méditerranéen de Montpellier.

Irene Cardona : L’immigration est un sujet très important aujourd’hui et il s’est imposé à moi parce que j’ai habité une région d’immigration, surtout d’immigration marocaine. Je n’ai pas vraiment choisi un sujet, mais je connais bien ce type d’histoires car j’ai travaillé dans une association. Je me suis d’ailleurs inspiré de mon expérience personnelle. Ma mère est présidente et coordinatrice d’une association dans une petite ville au nord de Caceres. J’ai rencontré beaucoup de cas semblables à celui de Yasmina et j’ai de nombreux amis étrangers. Bien des histoires sont similaires à celle du film. Pour les mariages blancs, j’ai eu moi-même des propositions de la part d’un ami cubain pour lui procurer des papiers. C’est quelque chose que j’ai vécu.

Le problème de l’immigration est grave et il est rare que l’on en parle avec légèreté. Alors j’ai voulu traiter le sujet avec humour. L’idée était aussi de délivrer le message que l’immigration n’est pas forcément une tragédie comme les médias s’en font l’écho. L’immigration est une réalité avec des histoires d’amour et de solidarité aussi.

Jérémi Bernède : C’est la première qualité de votre film. En France, un tel sujet passerait par des émotions plus violentes, les naufrages, les rafles, les emprisonnements. Quand on pense immigration, on a immédiatement en tête l’horreur qui attend les immigré-e-s. Du coup le message de votre film est positif. Ce qui ressort du film, ce sont les solutions et non l’abandon des problèmes. Avez-vous voulu prendre un fait de société à revers ?

Irene Cardona : Comme Jorge [compagnon de Lola] dans le film, je pense que le monde est un lieu tragique, mais cela ne signifie pas qu’il faille baisser les bras et se décourager. Il faut toujours réagir. Les immigré-e-s sont des personnes qui luttent, qui se battent pour vivre et pour s’en sortir. On les voit parfois comme des victimes passives, mais ce n’est pas le reflet de la réalité. Je pense même que c’est tout le contraire. Le personnage de Yasmina n’abandonne jamais. Elle est très représentative de cette lutte.

— C’est la vie réelle. Hier, Jaime Camino [2] tenait ce même type de discours. C’est-à-dire qu’il n’y a pas les bons et les méchants et que, parfois, dans des situations exceptionnelles, des individus révèlent leur générosité.

Irene Cardona : Certes, il existe des problèmes et des conflits entre les personnes. J’ai voulu parler des gens simples, de ceux et de celles qui travaillent au quotidien pour rendre le monde un peu meilleur, mais sans éloquence ni grands discours, naturellement.

Jérémi Bernède : Pour revenir au fait que ce ne sont pas des victimes passives, c’est en fait une posture occidentale de voir les pauvres comme passifs auxquels on serait tenu de faire la mendicité, ce qui exclut une aide réelle. Le choix de Sanaa Alaoui, qui est sublime dès le début du film quand elle marche d’un pas décidé, cela veut peut-être dire que la solution au problème de l’immigration passera par les immigré-e-s eux-mêmes et non par des décisions extérieures.

Irene Cardona : Il faut dire que parfois les structures accentuent cette passivité. Les immigré-e-s viennent dans les associations pour recevoir de l’aide. Certaines associations cherchent toutefois à susciter une responsabilisation chez les immigré-e-s pour les rendre autonomes et aptes à résoudre leurs problèmes. Yasmina n’est pas un cas unique, elle n’est pas la seule à prendre son destin en main. Les femmes qui viennent à l’association ne sont pas des femmes soumises.

Jérémi Bernède : C’est plus un commentaire qu’une question. Ce qui est plaisant dans le film, c’est qu’au-delà du problème de l’immigration, il en ressort une foi dans le genre humain. Les personnages ont de la bonté, ce qu’il est plutôt rare de voir dans un film.

Irene Cardona : Certains commentaires ont souvent souligné ce fait : les personnages du film sont de bonnes personnes. Mais je dois dire que je ne connais pas beaucoup de méchantes personnes comme on en voit dans les films. Il n’empêche que parfois la bonté n’atteint pas le but voulu et l’on peut faire du mal sans en avoir l’intention.

Christiane Passevant : Plusieurs films de femmes, de cinéastes espagnoles, abordent la question de l’immigration. Je pense à Flores de otro mundo [3] de Iciar Bollain et Poniente [4] de Chus Guiterrez [5] qui ont traité ce sujet de manière plus dramatique. Pensez-vous que les femmes sont plus sensibles à ce type de sujet ?

Irene Cardona : Je ne sais pas. Je pense cependant que les femmes sont sans doute plus sensibles au quotidien, elles sont plus pratiques. J’aime bien ce que disait Virginia Wolf à propos du fait qu’il ne faut pas penser que l’on vit plus intensément les grandes choses de la vie plutôt que les petites. Je crois que l’on est plus sensibles à cela en tant que femmes. Des réalisateurs ont aussi traité de l’immigration, mais peut-être vu d’un angle plus dramatique. Le film d’Iciar Bollain, Flores de otro mundo, fait figure de référence sur la question car elle traite du sujet de l’immigration dans le milieu rural. Un Novio para Yasmina est plus une comédie.

Jérémi Bernède : Yasmina, qui veut absolument s’intégrer, rencontre ce garçon qui refuse de s’intégrer. C’est un effet de miroir dans le film ?

Irene Cardona : Oui, c’est ce qui se passe. Quand je parle de l’intégration, je ne parle pas seulement de l’intégration des immigré-e-s dans la société qui les accueille. Le sujet est plus large, cela se passe entre l’individu et la société. Chaque personne peut se positionner d’une façon ou d’une autre face à la société. Les personnages du film, presque tous, sont en conflit avec leur milieu, surtout Alfredo qui s’éloigne de la vie et de la réalité. Il est sans désir et se contente de regarder la vie passer. Yasmina, c’est tout le contraire. Elle est dans la réalité, se fixe un but pour l’atteindre. Elle est remarquable par sa détermination et fonce sans vraiment regarder autour d’elle. Quand tous deux changent, une réflexion s’ébauche de part et d’autre et la rencontre devient possible.