Chroniques rebelles
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Les anarchistes contre le mur
Rencontre avec Matan et Michal
Article mis en ligne le 7 mars 2009
dernière modification le 12 mars 2009

par CP

Le retrait unilatéral d’Israël de la Bande de Gaza, qualifié de « geste de paix » par les gouvernements et la plupart des medias occidentaux, est loin de permettre une autonomie réelle à la population palestinienne de Gaza. Les frontières sont contrôlées par Israël, il n’existe ni port ni aéroport sur le territoire, 80 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté — pour beaucoup dans des camps et des décombres — et 65% de la population active est au chômage. C’est donc une paix bien illusoire pour une population prise au piège. Dans une région surpeuplée et sans possibilité d’avenir.

Et pendant ce temps la construction du mur d’annexion se poursuit…

Quatre jeunes Palestiniennes — étudiantes à l’université de Birzeit, près de Ramallah — ont raconté le quotidien de l’occupation dans les Chroniques rebelles.

Cette fois, deux jeunes israélien-ne-s, Matan et Michal (étudiante en français), condamnent l’occupation militaire israélienne et la menace que cette situation représente pour les deux populations — palestinienne et israélienne — de la région.
Matan et Michal font partie des Anarchistes contre le mur, qui manifestent — en Israël et dans les territoires palestiniens occupés — contre l’occupation israélienne et contre le mur, mur de sécurité pour les autorités israéliennes et mur de la honte pour les autres…

Chroniques rebelles : Qui sont les Anarchistes contre le Mur, et de quel milieu venez-vous ?

Matan : Il y a un peu plus de trois ans, notre groupe s’est formé avec des jeunes ayant en commun la lutte non violente contre l’occupation israélienne. Nous n’avons aucun lien avec des partis et nous sommes, pour la plupart, des anarchistes. Nous travaillons et prenons les décisions ensemble, sans aucune hiérarchie. Beaucoup d’entre nous ne sont pas encore dans la vie professionnelle, mais à l’université ou au lycée, et nous venons plutôt d’un milieu privilégié.

CR : Quelles sont les actions du groupe ?

Matan : Depuis le début, nous organisons des actions directes contre l’occupation et la construction du mur plusieurs fois par semaine. Nous soutenons les populations touchées par la construction du mur et nos actions non violentes sont destinées à en entraver le processus. Nous manifestons aussi quand les Palestiniens ne peuvent se rendre dans les hôpitaux.

Michal : La majorité des militant-e-s viennent de Tel Aviv ou de Jérusalem. En dehors des grandes villes, s’informer, militer, organiser des actions n’est pas simple, même avec Internet. Il y a beaucoup d’activisme dans le milieu universitaire, à l’université de Tel Aviv par exemple, et les rencontres se font aussi à l’occasion des manifs.

En Israël, le système scolaire, les livres, la télévision, les films font l’apologie de la violence et de l’armée : être soldat, c’est servir l’État et se sacrifier pour le pays. L’éducation comme la culture sont nationalistes et font rapidement de nous, depuis l’enfance, des soldats. Le mythe du soldat-héros est perpétré et il est difficile d’aller à l’encontre de cette idéologie et de devenir objecteur. Il faut affronter quotidiennement la propagande.

CR : Le fait de mener des actions avec la population palestinienne est déjà une lutte contre la propagande qui propage l’idée de deux populations ennemies ?

Michal : C’est pourquoi il est important que nos actions soient menées ensemble. La propagande du gouvernement concernant le mur écarte les raisons politiques pour mettre en avant la question sécuritaire. Le mur n’aurait pour but que de protéger Israël des attentats-suicides.

Matan : Ce que nous constatons sur le terrain, c’est que la construction du mur, de fait, annexe à certains endroits jusqu’à 30 kilomètres du territoire palestinien. Le mur se construit en effet au-delà de la ligne verte de 1967. Or 80 % de l’eau d’Israël vient de Cisjordanie. L’eau serait-elle dangereuse ?

Comment croire la propagande de l’État qui, pour la construction du mur, a fait arracher 150 000 oliviers ? En tant qu’Israélien, soi-disant menacé par l’« Autre », je découvre au cours de ces actions des êtres qui sont semblables à nous, nos égaux. Nous agissons ensemble, hors de la relation occupant/occupé, et c’est là un changement essentiel. Il s’agit non seulement de briser une barrière physique, mais aussi une barrière mentale érigée depuis l’enfance. Nous pouvons travailler et lutter ensemble pour les droits et la justice ; les barrières disparaissent.

CR : Quelles sont précisément les actions et leurs conséquences ?

Matan : Nous nous rassemblons plusieurs fois par semaine avec les Palestiniens et des internationaux pour manifester sur les sites de construction du mur. Nous marchons mains levées pour montrer que nous sommes non-violents et sans intention de blesser quiconque. Nous manifestons, dans la non-violence, contre l’occupation et les crimes de guerre.

Aux injonctions des soldats ordonnant de quitter une zone militaire où il est interdit de manifester, nous répondons que l’occupation est illégale et qu’ils ne peuvent pas nous priver du droit démocratique de protester. La réponse est alors invariable : la violence. D’abord avec des grenades lacrymogènes, puis le tir de balles en caoutchouc sur les manifestant-e-s pour nous effrayer et tenter de nous séparer. Le véritable enjeu est de nous empêcher de manifester ensemble.

Nos tactiques sont parfois spectaculaires. Nous nous enchaînons dans des cages, comme enfermé(e)s dans le mur. À Tel Aviv, nous avons bloqué des routes pour montrer ce que subit la population palestinienne aux check points.

CR : Comment réagissent les gens à vos actions ?

Matan : Les réactions sont différentes. Du côté palestinien, c’est ouvert, en Israël c’est le contraire. On nous considère souvent comme des traîtres soutenant les terroristes, et nous sommes dépeints comme violents bien que pacifistes ! La question soulevée est pourtant simple : peut-on vivre et cohabiter avec les Palestiniens ou non ?

CR : Des Israéliens-Palestiniens participent à vos actions ?

Michal : Pas encore. Ils sont dans les associations comme Tayyush, Gush Shalom, mais participent à nos manifestations. Nos liens avec la population palestinienne sont très forts dans plusieurs villages.
En Israël, la majorité ne s’oppose pas à l’occupation et oublie que les Palestinien-ne-s sont des êtres humains, avec des droits, et qu’il est nécessaire de dialoguer, de se rencontrer. C’est la seule solution pour vivre ensemble. Il faut cesser cette annexion et briser la barrière mentale qui sépare les deux populations.

CR : Dans les confrontations avec les soldats, pouvez-vous établir un dialogue ?

Matan : Non, ils obéissent aveuglément aux ordres. Ils ne cherchent ni à comprendre ni à anticiper les conséquences de la violence de l’occupation. Pour les soldats, nous sommes des ennemi-e-s à combattre, en tous cas une composante de l’ennemi puisque nous nous élevons contre le pouvoir. Aucun dialogue n’est possible avec le gouvernement et l’armée, leur réponse est donc forcément la violence.

Les refuzniks sont considérés comme des traîtres à Israël alors que c’est le contraire. Ils sont des centaines en prison à être classés comme traîtres dans les campagnes de propagande. La population leur est souvent hostile.

Michal : Pour les femmes, c’est plus facile de refuser le service militaire [1] et d’opter pour le service civil. J’ai refusé de faire mon service militaire, il y a deux ans. Je suis passée devant une commission après avoir rédigé une lettre expliquant que j’étais pacifiste, contre la guerre et les armes. La commission m’a interrogée pour savoir si je militais. À ma connaissance, seulement deux femmes ont fait de la prison pour être refuznik.

CR : Vos actions ont-elles une influence sur les jeunes ?

Michal : Oui. En Palestine, les Israélien-ne-s ne sont plus vu-e-s seulement comme des militaires ou des colons. Et en Israël les Palestinien-ne-s ne sont plus uniquement considéré-e-s comme des kamikazes. Les femmes refusent de plus en plus d’effectuer leur service militaire, même si elles ne sont pas, comme les hommes, sur le terrain, et choisissent le service civil. Sur Internet, on trouve une information pour refuser le service militaire [2] et le phénomène d’isolement est moins grand. Il faut souligner qu’il est différent de se déclarer pacifiste et de refuser de faire son service militaire dans une armée d’occupation.

Matan : Les actions — les nôtres et celles d’autres groupes — ont un effet. Au début de la construction du mur, il était prévu 20 % d’expropriations de terres palestiniennes, maintenant c’est 10 %. C’est le résultat des luttes. Notre but est 0 % de terres agricoles confisquées.

L’effet sur les jeunes grandit, pas beaucoup, mais c’est constant. Nous étions au début une poignée à manifester et nous sommes à présent des centaines. Nos actions constituent une alternative, même une alternative au service militaire.

CR : Tu as parlé des internationaux. Quelle est l’importance du mouvement international de solidarité ?

Matan : Il est essentiel de venir, de voir en direct ce qui se passe ici et de soutenir nos actions non-violentes. La police et l’armée font tout pour les intimider [3], pour les refouler. Mais si la violence est la seule réponse, c’est peut-être un signe que nous progressons. Les autorités veulent nous décourager et nous isoler de la population palestinienne.

Pour ce qui concerne Gaza et le retrait unilatéral, c’est un écran de fumée. Rien n’est dit réellement sur la réalité de la situation : 40 000 colons sont installés en Cisjordanie pour empêcher la création d’un État palestinien et pour mieux coloniser les terres palestiniennes.

Entretien diffusé dans les Chroniques rebelles le 15 octobre 2005.