Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
La Semaine d’un lézard de Fred Morisse (éditions du Monde libertaire) et Manifestations et répression d’État
Samedi 2 mai 2009
Article mis en ligne le 3 mai 2009
dernière modification le 14 mai 2009

par CP

Fred Morisse, La Semaine d’un lézard (éditions du Monde libertaire)

Un lézard noir et rebelle pour nous conter sa semaine, la semaine d’une galère ordinaire.

Manifestations et répression d’État

Témoignages sur les événements qui se sont déroulés à Nation lors de cette grande manif’ du 19 mars.

La revue Gavroche

Fred Morisse, La Semaine d’un lézard (éditions du Monde libertaire)

« Leur plus haute conception de la morale exigeait qu’il prît un emploi. Ils n’avaient que ce mot-là à la bouche. Un emploi ! C’était leur unique précepte. Travaille. Pauvres esclaves bornés […] Les esclaves ne croyaient qu’à l’esclavage. Le travail était un veau d’or devant lequel ils se prosternaient. »

C’est par cet extrait dans Martin Eden de Jack London que débute le récit de Fred Morisse d’une semaine de la Vie d’un chômeur ordinaire.

Lundi. Sensation de troupeau comme dans le film de Jean-Michel Carré, J’ai très mal au travail, mais là ce n’est pas pour aller au taf, mais pour avoir du taf… En tous cas pour pointer et avoir le droit à la survie :

« Il y avait foule. Une troupe de lundi matin. Un troupeau aux yeux chassieux, aux gueules déformées par de longs bâillements sonores. File d’attente défaite et mouvante, se pressant, se heurtant, masse trépignante dansant d’un pied sur l’autre, à l’affût d’un quignon d’espoir, d’un rai de lumière. Même jaillie d’une ampoule de 40 watts, ils prenaient. À défaut de soleil… » Fred Morisse, la Semaine d’un lézard .

Cette cohorte de « vrais paumés qui mendiaient un hypothétique salaire, de « motivés sans répit, [de] désabusés, [de] désespérés qui n’y croient plus et acceptent leur condition » et de quelques «  flâneurs impénitents », cette cohorte n’était malheureusement pas assez critique et déterminée « pour espérer un avenir, désirer une autre vie [ou] un changement salvateur. » Ce qui n’exclut pas la révolte de certains et certaines, et la conscience d’être méprisés et opprimés par les «  Lèche-culs du pouvoir, coprophages encravatés, enfanteurs de la misère », ces « dodus gallinacés [qui] pondaient des œufs nauséabonds, des lois visant des chercheurs d’emploi ».

Le miroir aux alouettes ne marchait plus pour une partie des ami-e-s de Francis-le-lézard :

« J’voterai jamais pour qui que ce soit ! Jamais ! Je l’ai fait une fois : j’me suis senti sale… Acquiescer à leur système, je pourrais plus… »

La révolte sourde, elle est latente même chez ceux qui paraissent cassés, comme Abdel, Abdelgalère. Et la révolte éclate à l’annonce de la mort inacceptable d’un jeune du quartier. La cité s’enflamme quand un gosse meurt, poursuivi par les flics pour avoir piqué une veste de survêt. « Sûr, qu’une veste de survêt volée mérite la mort » diront les lobotomisés, adeptes de l’ordre. Fallait pas piquer une veste, ni rien d’ailleurs. Il faut avaler la pub qui vante cette consommation à outrance comme une reconnaissance sociale, mais il faut rester derrière la vitrine, faut pas toucher la marchandise et rester à sa place de laissé-pour-compte.

« À l’autre bout du monde des enfants sacrifiaient les plus belles années de leur vie pour fabriquer ces vestes pour lesquelles d’autres, ici, mourraient pour avoir voulu les porter sans passer par la caisse. La beaufrerie n’en a cure. Le vol d’un vêtement lui apparaît plus criminel que l’exploitation de millions d’enfants pauvres. »

La boucle de l’exploitation est bouclée, acceptée, avalisée, érigée en principe, banalisée. Mais s’il existe « une vraie force de rébellion, ici et dans des centaines de cités pauvres, […] cette force n’[a t-elle] pas d’autre ambition que ces flambées, de temps à autre » ?

La Semaine d’un lézard est le journal d’une cité, de la misère, de l’oppression, des effets du système, des amitiés, de la résignation, de la révolte, de l’absurdité de notre société. Un journal sans concessions. Aucune.

Manifestations et répression d’État

« Le pouvoir craint la contestation qui enfle »

Témoignage

19 mars 2009.

La fin du cortège arrive entre 18h30 et 19h à Nation, le ton est festif, pas de problème jusqu’à maintenant, les gens ne sont pas encore prêts à partir, et ça tombe bien, ils ont officiellement le droit de rester jusqu’à 21h.

Il y a de la musique aux quatre coins de la place, des djembés par ci, un concert de hip-hop sur la pelouse, des drapeaux qui flottent sur la statue centrale.

Mais très vite l’ambiance devient malsaine, quelque chose ne tourne pas rond, des dizaines, des centaines de crs affluent et bloquent toutes les artères de la place de la Nation, interdisant le passage. Des escouades prennent pied dans le métro, juste en bas des escaliers et dans les couloirs, et, de là, elles tirent des grenades, empêchant également l’accès aux personnes désirant s’en aller. Des manifestants qui ont tenté de passer par une petite rue à côté refluent en courant vers le centre de la place, à leur trousse des lignes de crs. Il y a du gaz dans l’air, dans tous les sens du terme, les flics se rapprochent progressivement, encerclent la place de la Nation petit à petit, les yeux piquent, la respiration se fait plus difficile : ça pue le lacrymo.

Quelques feux de poubelle se déclenchent içi et là, pas de quoi fouetter un chat. Des individus encagoulés, barre de fer à la main, jettent des projectiles en direction des hommes en bleu puis, quelques minutes après, surprise ! ils se ruent sur un manifestant et le rouent de coups, avant de le traîner vers leurs collègues rangés en ligne quelques mètres plus loin. Tactique perverse des flics en civil, vieille comme le monde mais qui surprend toujours ...

La place de la Nation se révèle être une souricière de premier choix, tandis que les policiers font le ménage, beaucoup de personnes se réfugient sur le terre-plein et autour de la statue (qui représente le "Triomphe de la République", tout un symbole ! ), espérant échapper aux arrestations arbitraires.

Mais bientôt ces dernières se retrouvent complètement encerclées, comprimées les unes contre les autres, sans aucune issue, abasourdies par la manœuvre policière. Parmi les personnes encerclées, trois hommes dégainent soudain des matraques télescopiques et s’attaquent à un jeune homme qui n’a pourtant rien fait, le frappent, et l’entrainent vers les lignes de CRS. Encore une intervention musclée des flics en civil, qui déclenche la colère générale. Certains "gardiens de la paix" tiennent en respect la foule à l’aide de flash-balls.

Après plus d’une heure d’encerlement, les condés décident enfin de libérer les captifs, brisant à coups de matraque la chaine humaine qui s’était formée autour de la statue, insultant et contrôlant l’identité de chaque personne présente, un par un. Ceux qui n’ont pas de papiers passent directement par la case commissariat.

À 21h30, on pensait la manifestation totalement dispersée, quelques groupes ça et là, encore sonnés par la violence de cette intervention, stationnent sur la place. Mais apparemment, les forces de l’ordre n’en ont pas fini puisque les CRS bloquent toujours l’accès au métro, gazant et frappant à tout va. La soirée se finira par une nouvelle flopée d’arrestations.

À noter que les journalistes, pourtant présents en nombre, n’ont relayé qu’une pale copie du communiqué de la préfecture de police.

Bilan de ce début de soirée : 300 arrestations, 50, ah ! non pardon 49 (ce chiffre fait plus crédible) personnes seront par la suite poursuivies en justice, interdites de manifestations au moins jusqu’à leur jugement, et peut être privées de leur droit de vote, ainsi que de plusieurs manifestants littéralement passés à tabac. Certains sont passés en comparution immédiate et sont toujours incarcérés.

Un coup de filet qui avait pour but de faire des exemples.

Le pouvoir craint la contestation qui enfle, c’est pour cela qu’il durcit sa répression : pour museler cette révolte qui gronde. Alors que Julien Coupat est toujours en prison malgré le manque flagrant de preuves, que des jeunes sont piégés, intimidés, incarcérés par la police, il est à craindre que cette emprise du pouvoir se reserre encore.

Je fais parti des 300 manifestant-e-s arrêté-e-s ce jour là, puis des 49 poursuivi-e-s ensuite.

Les procès se dérouleront les 4, 5, 9 mai et 22 mai.

anti.repression2009@yahoo.com

Gavroche

Revue d’histoire populaire

N° 158 : avril-juin 2009
Au sommaire :
 Un libertaire et antifasciste (presque) inconnu : George Seldes
par Larry PORTIS

 Sur six proscrits sarthois, compagons d’exil de Victor Hugo à Jersey
par Gérard BOELDIEU

 1000, le Mouvement ibérique de libération
par Jean-Claude DUHOURCQ et Antoine MADRIGAL
 Pelletier de Chambure et le bataillon des corps francs de la Côte-d’Or en 1815
par Pierre-Henri ZAIDMAN

 "Tout film est politique !" Entretien avec Régis Dubois
propos recueillis par Charles JACQUIER

 Anatole France (1844-1924), un sceptique passionné et engagé
par Pascal VANDIER