Chroniques rebelles
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De la violence en politique. Lignes n° 29
Samedi 20 juin 2009
Article mis en ligne le 21 juin 2009

par CP

Le mot «  crise  » en cache un autre – encore qu’à peine  : le mot «  violence  ». La violence est sur toutes les lèvres. Comme une tentation  ? Ce n’est pas impossible  ; comme une inquiétude  ? Ce n’est pas douteux. L’inquiétude est que de l’une résulte l’autre. La violence, la plupart la redoutent  : le gouvernement, bien sûr  ; les médias aussi qui sont toujours de tous les gouvernements  ; une bonne partie de l’opinion enfin (selon qu’elle lui mesure ce qu’elle a à y perdre). Une autre partie la «  comprend  », du moins en comprendrait-elle la possibilité (c’est ce que les sondages lui font dire). Mais la tentation  ? Une chose est sûre  : personne n’en appelle plus à elle. Le mot, la chose ont été une fois pour toutes bannis. Du moins le sont-ils d’un monde sur lequel tout le monde s’accorde à très peu près – ne s’accorderaient-ils pas toutefois sur les moyens de répondre aux crises qu’il traverse (l’accuseraient-ils même d’aller de crise en crise). Il semble donc qu’aux yeux du plus grand nombre, si ce n’est de tous, la violence ne soit plus possible ni permise, ne serait-ce que parce qu’il ne saurait y avoir d’autre monde que celui-ci.

Ce qui veut dire encore  : que la violence était possible, si ce n’est permise, aussi longtemps que l’hypothèse d’un autre monde, d’un monde alternatif, était elle-même possible et permettait qu’on la formât jusqu’à la violence. Cette violence qu’on disait révolutionnaire. Or il n’y a plus personne à se laisser tenter par la révolution au point de penser qu’elle doive en passer par la violence. Et si quelques-uns craignent que la situation soit pré-révolutionnaire, c’est qu’eux-mêmes vivent, pensent, sentent et dominent comme sous l’Ancien Régime. Joyeux jeu de dupes où prétendent redouter la violence de la révolution ceux qui seraient prêts à tous les moyens violents pour l’empêcher, quand ceux que la révolution tenterait encore doutent qu’elle doive «  coûter  » quelque violence que ce soit. Fin d’un cycle. Fin d’une histoire (sinon fin de l’histoire, ainsi qu’annoncée il y a 20 ans – mais pour cynique que fût cette annonce, elle touchait assez juste pour qu’on ne voie pas, vingt ans après, que rien la dés-annonce).

À moins que… À moins que ce que ce monde a à craindre lui soit moins extérieur qu’intérieur. À moins qu’on ait surestimé la logique qui est la sienne  ; à moins que celui-ci ait plus à craindre d’elle que de n’importe quelle autre qui prétendrait s’y opposer. Autrement dit, la question est  : et s’il n’y avait plus nul besoin qu’un autre monde soit possible pour que celui-ci ne le soit plus. Et si la violence naissait de lui et de lui seul sans que nul n’ait besoin d’en appeler à l’hypothèse d’aucun autre. Nul besoin donc de quelque principe d’adversité que ce soit, le système nourrissant sa propre adversité, une adversité vide, ou fantôme. Que la violence y survienne, et il ne pourra que s’en accuser lui-même. C’est le prix que lui en coûtera d’en appeler continûment, et sur tous les tons, à la démocratie avec laquelle c’est lui-même qui en a fini – mieux qu’aucun des autres systèmes qui ne l’aimaient certes pas davantage mais qui n’avaient pas su faire en sorte qu’elle ne restât pas au moins à l’état d’espérance. Il se pourrait bien que ce monde touche enfin au fond de son nihilisme constitutif. Si c’est le cas, une violence en résultera en effet. Une violence intérieure ou intrinsèque  ; sans but ni fin  ; le livrant à la violence qui est la sienne.
(Michel Surya)

De la violence en politique

Lignes n° 29

Avec Mathilde Girard et Jacob Rogozinski

« La stratégie policière fabrique tactiquement l’ennemi tel qu’elle le veut, de toutes pièces. Il ne s’agit plus de punir le coupable d’un méfait, mais de créer le méfait et son coupable pour criminaliser, effaroucher, désolidariser, et donc prévenir la grogne qui monte. »

19 mars 2009, place de la Nation : 300 jeunes sont arrêtés à la suite de la manifestation, et après des provocations policières.

Avril 2009. Strasbourg est dans la « zone rouge » pour préserver le sommet de l’OTAN des « hordes d’anarchistes allemands » : « Comme une cité médiévale frappée par la peste, comme une ville soumise au couvre-feu par des troupes d’occupation, Strasbourg sera découpée en différentes zones, quadrillée par un imposant dispositif militaro-policier. […] Là où passeront les cortèges officiels, les autorités déconseillent vivement aux habitants de se montrer à leur balcon ou même à leurs fenêtres sans être accompagnés d’un policier en uniforme. [Et] À la demande expresse de la police, l’université tout entière doit être évacuée et fermée « préventivement » une semaine avant la tenue du sommet. »

Scénario incroyable ? Pas du tout. C’est une réalité qui prêterait à sourire si l’on ne voyait les conséquences d’une banalisation inacceptable de la violence étatique qui s’emballe. Et les exemples se multiplient : « Plan gouvernemental de prévention de la délinquance, envisageant une détection très précoce des « troubles comportementaux” chez les enfants afin de tracer leur avenir-programmé-de-délinquant », contrôles ADN, flics et chiens policiers dans les écoles, interdiction d’exprimer un avis contraire, de critiquer, harcèlement du pouvoir et intimidation au quotidien, criminalisation du mouvement social… La crainte, la peur font des ravages dans une société de plus en plus inégalitaire et sous haute surveillance.

« La matraque, c’est viril, ça fait bander tous les flics ! », un slogan qui traduit bien l’attitude des forces policières. La répression est un moyen de museler toute opposition puisqu’à présent on peut « suspecter » n’importe qui de dangerosité potentielle. Une suspicion basée sur des critères — mais lesquels ? — « classants » comme l’on dit dans les entreprises ?

Actuellement, nous vivons une situation de mise en place d’un état d’exception, un PATRIOT ACT hexagonal. La lutte antiterroriste est à la mode et l’on sait bien que, par exemple, lorsque « les colonisés se révoltent, les occupants les combattent au nom de la lutte contre le terrorisme. Tout résistant est donc qualifié de “terroriste” aussi illégitime que soit l’occupation. » Et bien entendu, « L’état s’innocente au nom du Bien public de la violence qu’il exerce ».
Vous avez dit démocratie ? Démocratie autoritaire pour le Bien public évidemment ! Le slogan « cause toujours ! » bascule peu à peu vers celui de « Ferme ta gueule ! ». Les principes de respect sont ainsi bafoués, biaisés et les concepts progressistes détournés ou récupérés.

Cela ramène évidemment à un questionnement sur la nature des pratiques de résistance au pouvoir. Les manifestations, aujourd’hui, sont-elles efficaces pour la lutte ? Sont-elles, comme certains le disent, des « soupapes de sécurité » encadrées par les syndicats ?

Et les illégalismes ? Le sabotage ? L’insurrection ?

S’« Il ne s’agit plus tant de prendre le pouvoir que prendre du pouvoir », si la colère monte, s’il est question de résister à la violence d’un système en déliquescence, le « rêve général » affiché dans les manifestations peut se transformer en grève générale qui amorcerait — et nous sommes nombreux et nombreuses à l’espérer — un processus de transformation sociale radicale.

SOMMAIRE :

Alain Brossat, Le paradigme du lancer de chaussettes

Jacob Rogozinski, Offensive de printemps en Sibérie occidentale

Frédéric Neyrat, Rupture de défense

Bernard Noël, Plutôt non que oui

Jean-Luc Nancy, Violente politique

Alain Naze, De la violence en milieu tempéré

Daniel Bensaïd, Une violence stratégiquement régulée

Laurent Margantin, Des mots dangereux, ou que peut une parole insurrectionnelle  ?

Mathilde Girard, Sabotages en quête d’auteur

Anselm Jappe, La violence, mais pour quoi faire  ?

Pierandrea Amato, L’indécidable et la violence

Alain Jugnon, Des morts tueurs  : un évêque est atteint

Sidi Mohammed Barkat, Octobre-novembre 2005 Les feux élémentaires

Mehdi Belhaj Kacem, L’architransgression

Dimitra Panopoulos, Le partisan de l’universel

Sophie Wahnich, Peuple et violence dans l’histoire de la Révolution française

Épilogue, contrepoint

Jean-Christophe Bailly, De la fragilité des statuettes. Pour une esthétique de la précaution

TOUS COUPAT TOUS COUPABLES

« L’affaire de Tarnac aura eu au moins le mérite de dégonfler cette baudruche du « terrorisme » à géométrie variable – mais sans que la critique de ce vocable corrompu aille jusqu’à sa complète récusation : nombreuses sont les bonnes âmes qui pensent que l’accusation de terrorisme lancée contre ces jeunes gens était abusive et scandaleuse, mais qu’au demeurant la lutte contre le vrai terrorisme justifie bien, dans des circonstances données, quelques atteintes aux libertés publiques. Or, la validation du vocabulaire et des schèmes discursifs de nos gouvernants n’est jamais que le début du consentement à ce qui nous réduit aux conditions du gouvernement qui établit comme sa règle légitime ce dont se nourrit l’état d’exception proliférant. »

par Alain Brossat

Téléchargez le texte intégral (gratuit) Pdf 236 ko, 16 pages A4

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Alain Brossat | Tous Coupat Tous Coupables

(lignes « bon@tirer »)

http://www.editions-lignes.com/IMG/pdf/TousCoupatTousCoupables.pdf

Le texte intégral de L’Insurrection qui vient est disponible gratuitement sur le site.